Gil Blas - Sunday, May 26, 1895

Londres, 24 mai. -- Le procès Oscar Wilde a repris ce matin.

Sir Edward Clarke présente la défense de l'accusé en faisant le procès du ministère public.

On entend ensuite Oscar Wilde, à qui on offre une chaise. Il nie de la manière la plus formelle toutes les accusations portées contre lui.

Le ministère public lit la fameuse lettre à lord Douglas dans laquelle Wilde s'exprime ainsi: « Vos lèvres purpurines sont faites pour la musique des chants et pour la folie des baisers. » Il demande à Wilde si c'est là une manière décente d'écrire à un jeune homme.

-- C'est une chose littéraire, répond Wilde. C'est comme un sonnet de Shakespeare; c'est une façon fantasque et extraordinaire d'écrire à un jeune homme. Mais la question n'est pas de savoir si la chose est convenable: c'est une expression littéraire.

L'interrogatoire se poursuit. Wilde continue à nier, même les déclarations du masseur et de la femme de chambre de Savoy hôtel.

Après cette déposition, l'avocat de l'accusé reprend la parole; puis le solicitor général commence sa réplique dont la fin est renvoyée à demain.

LOUIS ROZIER.

Le Journal - Saturday, May 25, 1895

Londres, 24 mai.

Le procès d'Oscar Wilde a repris ce matin devant la cour d'assises.

A dix heures et demie, Oscar Wilde fait son entrée, et, en attendant l'ouverture du procès, cause vivement avec son solicitor. A côté de lui se tient lord Douglas de Havick, le frère de lord Alfred Douglas.

Lord Douglas de Havick porte toujours sur l'oeil gauche des traces distinctes de sa rencontre avec son père.

Aussitôt que l'affaire est reprise, le ministère public cherche à montrer que le chef d'accusation se rapportant à Shelley peut être soumis au jury, et il cite un précédent tiré de l'affaire Mounier ; mais le magistrat s'en tient à l'opinion qu'il a donné hier et ce chef d'accusation sera soustrait au jury et pourra être soummis à la cour des cas réservés.

Sir Edward Clarke prononce la défense.

L'avocat de Wilde défend son client en faisant le procès du ministère public auquel il reproche d'avoir oublié que sa mission ne consiste pas à obtenir coup sur coup des verdicts de condamnation contre les accusés, mais bien à concourir à l'application d'une parfaite justice.

L'avocat refuse d'entrer dans tous les détails des preuves apportées par les témoins, parce que ces preuves sont très incomplètes.

Néanmoins il parcourt rapidement les diverses phases du procès.

Dès qu'il a terminé, Oscar Wilde est appelé à témoigner. On lui donne une chaise.

Interrogé par son défenseur, Wilde raconte qu'il a connu pendant des années la famille Queensberry et que, actuellement, il est encore dans les termes de l'amitié avec elle.

Il déclare que toutes ses affirmations dans les procès précédents ont été l'expression de la vérité, il n'a ni à expliquer, ni à modifier aucune d'entre elles.

En un mot, il nie de la façon la plus formelle toutes les accusations portées contre lui.

Oscar Wilde, interrogé par le ministère public déclare que lord Alfred Douglas habite actuellement Paris.

Il a été constamment en communication avec lui.

Lord A. Douglas resta à Londres pendant trois semaines, après le procès Queensberry; mais il alla à l'étranger, sur le désir même que lui a exprimé Wilde avant le premier procès contre lui.

Oscar Wilde reconnaît qu'il a constamment correspondu par écrit avec Alfred Douglas.

Le ministère public demande:

- Les deux lettres qui ont été produites peuvent-elles être considérées comme un exemple du style dont vous vous serviez pour lui écrire? -Non, répond Wilde. Cette lettre, datée de Torquey, était une sorte de poème en prose, répondant à un poème en vers que lord Alfred Douglas m'avait envoyé.

Wilde excuse son habitude de commencer ses lettres à lord Alfred Douglas par ces mots: «My own boy», en disant que lord Alfred Douglas était plus jeune que lui par les années, par le tempérament et par le caractère.

Le ministère public prend en main la fameuse lettre que Wilde considère come un poème en prose, et y relevant la phrase suivante: « Vos lèvres purpurines sont faites pour la musique des chants et pour la folie des baisers », demande à Wilde si c'était là une manière décente d'écrire à un jeune homme.

- C'est une chose littéraire, répond Wilde. C'est comme un sonnet de Shakespeare; c'est une façon fantasque et extravagante d'écrire à un jeune homme. La question n'est pas de savoir si une chose est convenable ou juste, c'est une expression littéraire. Je considère cette phrase, pour un artiste, comme une manière magnifique de s'adresser à un jeune homme d'esprit cultivé, plein de charme, de distinction.

Wilde affirme de nouveau qu'il est l'ami dévoué de lord Alfred Douglas et qu'il l'a été pendant des années.

Cette lettre est l'expression de ses sentiments pour lord Alfred Douglas.

Lord Queensberry n'a jamais produit d'accusation précise pour expliquer sa réprobation de l'amitié qui existait entre lord Alfred Douglas et Wilde. Lors du procès de lord Queensberry, ce fut sur l'avis de son conseil légal que Wilde accepta de retirer sa plainte.

L'interrogatoire de Wilde porte ensuite sur ses relations avec Taylor. Il avoua qu'il est allé chez Taylor cinq ou six fois, qu'il y a rencontré Mavor et Schwabe, ainsi que Wood. Il n'y a jamais rencontré les deux frères Parker.

D'ailleurs, la société qui se réunissait chez Taylor n'était pas uniquement composée de jeunes gens. Il y avait aussi des hommes de son âge. Wilde considérait Taylor comme un gai compagnon. Ces jeunes hommes n'avaient pour Wilde aucun charme intellectuel, mais ils intéressaient Wilde; car ce dernier aimait beaucoup la louange et l'admiration. Il aimait à être placé par eux sur un piédestal.

- La louange, dit-il, venant de n'importe qui, est toujours délicieuse. - Quel charme trouviez-vous dans Taylor? demande le ministère public. -Charme, ce n'est pas le mot propre, dit Wilde; mais je trouvais Taylor un homme de beaucoup de goût; ce n'était pas un intellectuel, mais il était adroit.

L'appartement de Taylor était très gai, placé tout auprès de l'admirable abbaye de Westminster. Taylor, qui avait décoré cet appartement avec une certaine science artistique, lui présenta sept ou huit jeunes gens des noms desquels Wilde ne se souvient pas.

Il connaissait déjà Taylor depuis cinq mois quand il lui offrit un dîner à l'occasion de sa fête.

C'est à ce dîner que Taylor lui présenta les deux frères Parker.

L'interrogatoire se poursuit sur tous les chefs d'accusation. Wilde nie tout, même les déclarations du masseur de l'hôtel Savoy.

L'interrogatoire se termine brusquement là-dessus.

Le marquis de Queensberry, pendant toute la durée de cet interrogatoire, se tenait debout, bien en vue de tous, écoutant avec attention les déclarations de Wilde.

Après la déposition d'Oscar Wilde, son défenseur reprend la parole, puis le solicitor général commence sa réplique, dont la fin est renvoyée à demain.

W.

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