Le Siècle - Wednesday, May 1, 1895

LONDRES, 30 avril. -- Les débats de l'affaire Oscar Wilde et Taylor ont continué aujourd'hui.

Les avocats défenseurs des accusés ont commencé leurs plaidoiries.

Sir Edward Clarke, pour Oscar Wilde, repousse toutes les accusations qui pèsent sur son client, il se plaint amèrement de la presse dont les commentaires ont causé à ce dernier un préjudice considérable.

Oscar Wilde déclare lui-même qu'il n'y a absolument rien de vrai dans toutes les allégations qu'on a formulées contre lui.

L'accusé, sur une question qui lui était posée, a fait les déclarations suivantes:

« Oui, dans cette pièce de vers, il s'agit d'amour; mais c'est un amour qui n'est pas compris dans ce siècle! C'est l'amour de David pour Jonathan. C'est l'amour que Platon dans sa philosophie décrit comme le commencement de la sagesse. C'est une affection spirituelle et profonde, aussi pure qu'elle est parfaite. C'est elle qui donne naissance au plus grands chefs-d'oeuvre de l'art. »

« Un semblable amour est bien mal compris aujourd'hui! C'est une affection intellectuelle entre deux hommes, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, le plus âgé possédant l'expérience du monde, le plus jeune renfermant en lui la joie, l'espérance, le charme de la vie. C'est là une chose, je le répète, que notre époque ne comprend pas. Elle est le but des risées de tous et conduit ses adeptes au pilori! »

L'accusé Taylor est interrogé à son tour; il nie tous les faits qui lui sont reprochés.

La suite des débats est renvoyée à demain.

La Petite République - Thursday, May 2, 1895

Londres, 30 avril.

Les débats de l’affaire Oscar Wilde et Taylor ont été repris ce matin devant la cour criminelle centrale.

Les avocats des accusés ont eu entre eux et avec leurs clients respectifs de nombreuses conversations.

M. Gill, un des membres du ministère public, déclare, au début de l’audience, qu’il retire l’accusation d’avoir agi de concert en vue de procurer des personnes pour la perpétration d’actes immoraux.

Sir Edward Clarke, l’avocat de Wilde, déclare alors que, s'il avait su que ce chef d’accusation serait retiré, il aurait demandé que les accusés furent jugés séparément. Il demande un verdict d'acquittement sur le chef d’accusation retiré.

M. Gill répond qu’il a retiré ce chef d’accusation pour donner aux accusés toute liberté d’être entendus comme témoins.

Le juge accepte ce retrait du chef d’accusation, mais repousse la demande de l’avocat d’Oscar Wilde.

La défense

Sir Edward Clarke commence la défense de son client. Il a, dès le début, repoussé toutes les accusations qui pèsent sur ce dernier.

Il se plaint amèrement de la presse dont les commentaires ont porté un grand préjudice à Oscar Wilde.

Celui-ci est auteur de Dorian Grey ; mais ce livre ne mentionne aucun personnage ayant commis l'abominable crime reproché à son auteur.

Wilde a écrit dans le Caméléon, et lorsque ce magazine publia le Prêtre et son servant, Wilde écrivit à l’éditeur pour décliner toute nouvelle collaboration de sa part.

Le défenseur s’efforce de montrer que les controverses littéraires, de quelque nature qu’elles soient, n’ont rien à faire ici.

Quant aux relations d’Oscar Wilde avec la famille Queensberry, il explique que Wilde est encore l’ami de lady Queensberry, qui est divorcée d’avec son mari.

M. Gill s’oppose à toute attaque contre lord Queensberry qui n’est pas représenté par un avocat.

Sir Edward Clarke poursuit sa défense. Si Oscar Wilde avait été coupable, aurait-il intenté contre lord Queensberry un procès en diffamation ?

La comparution de Wilde

Oscar Wilde est alors appelé comme témoin et admis â prêter serment.

L’accusé répond aux questions qui lui sont posées sur un ton de voix très bas.

C’est d’abord sur son passage aux écoles de Dublin et d’Oxford et ensuite sur sa carrière d’auteur dramatique que Wilde est interrogé par son défenseur ; puis on arrive aux questions visant l’affaire actuelle.

— Dans votre procès contre lord Queensberry, demande sir Edward Clarke, vous avez nié toutes les accusations formulées contre vous. Votre témoignage était-il absolument conforme à la vérité? — Absolument conforme à la vérité, répond Wilde.

Le défendeur reprend : — Y a-t-il la moindre chose qui soit vraie dans les allégations que vous auriez commis des actes d’indécence ?

L’accusé répond qu’il n’y a absolument rien de vrai dans aucune de ces allégations.

Histoire d’un sonnet

M. Gill, ministère public, procède â un contre-interrogatoire de Wilde. Parlant d’un sonnet de lord Alfred Douglas dans lequel il est question d’amour, M. Gill demande : « De quel espèce d’amour s’agissait-il dans cette pièce de vers? »

Wilde à cette question reprend tout son aplomb et répond avec chaleur :

« C’est un amour qui n’est pas compris dans ce siècle! C’est l’amour de David pour Jonathan. C’est l’amour que Platon, dans sa philosophie, décrit comme le commencement de la sagesse. C’est une affection spirituelle et profonde, aussi pure qu’elle est parfaite. C’est elle qui donne naissance aux plus grands chefs-d’œuvre de l'art.

« Un semblable amour est bien mal com pris aujourd’hui ! C’est une affection intellectuelle entre deux hommes, l’un plus âgé, l’autre plus jeune, le plus âgé possédant l’expérience du monde, le plus jeune renfermant en lui la joie, l’espérance, le charme de la vie. C’est là une chose, je le répète, que notre époque ne comprend pas. Elle est le but des risées de tous et conduit ses adeptes au pilori! »

Un incident

A peine Wilde a-t-il terminé cette longue réponse que des applaudissements éclatent dans la galerie où se trouve le public.

Le magistrat déclare qu’il fera évacuer la salle par toutes les personnes étrangères, à la première manifestation du public.

M. Gill poursuit son interrogatoire. Il presse l’accusé, devenu témoin, de questions relatives aux dépositions des personnes qui ont parlé de l’hôtel Savoy.

Wilde nie tout. Il nie egalement les déclarations de Charles Parker et celles de Shelly. Ce dernier avait l’habitude de lui écrire dès lettres à tendances religieuses.

Atkins, celui qui est allé avec lui à Paris, a donné une idée fausse de circonstances dans lesquelles ils se sont rencontrés. Il est vrai qu’il est allé à Paris avec Atkins et Schwobe ; mais le récit qu’Atkins a donné de ce voyage est faux, grotesque et monstrueux.

Wilde allait dans l’appartement de Taylor, dans le quartier de Westminster. C’était pour fumer, causer et passer le temps.

Des acteurs venaient souvent. Taylor était un pianiste accompli.

Mavor était un jeune homme amusant et agréable. Il a été comme invité d’ailleurs au Savoy-Hôtel.

Taylor

M. Gill (ministère public) interroge Taylor. Celui-ci répond qu’avant 1892 il n’avait pas d’occupation. Il avait quelquefois chez lui des jeunes gens. Mason y venait souvent.

Il est faux, dit-il, qu’il eût célébré une cérémonie de mariage avec lui. Il n’avait pas de vêtements de femme chez lui ; il avait un costume oriental. Il avait une perruque et des bas de femme.

En résumé, Taylor explique tout de la façon la plus naturelle et repousse toute accusation contre lui et contre Wilde également dans les questions qui lui sont posées.

Cet interrogatoire termine le procès propre ment dit.

Sir Edward Clarke présente la défense de Wilde. Sa parole est chaude et convaincue. Son discours est un magnifique morceau d’éloquence. Les applaudissements éclatent quand il a terminé ; le juge ne cherche pas à les réprimer.

M. Yrain, avocat de Taylor, présente la défense de ce dernier dont il demande l’acquittement.

M. Gill (ministère public) réplique sur les deux affaires.

Puis l’audience est renvoyée à demain.

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