L'AVOCAT D'OSCAR

Certes, c'est difficile à plaider, le cas d'Oscar Wilde. Dans ce genre d'affaires, à Paris, les avocats, comme le chien de Jean de Nivelle, s'enfuient lorsqu'on les appelle ; aussi, cela se jugeant à huis tout à fait clos, ils n'y perdent guère : douze jurés, quelques magistrats, huissiers et un quarteron de stagiaires, le plus souvent déçus dans la curiosité qui les amène à l'audience, voilà tout le public, pour lequel il ne vaut vraiment pas de se dépenser! A Londres, il m'a semblé qu'il en allait autrement. Le public a pu se régaler jusqu'au fond du cœur, où, d'après le poète, l'animal que l'on sait sommeille en chacun de nous, des détails de l'assaut indécent, comme le qualifie la prévention, auquel se livrait l'auteur esthetic de Salomé. Ce public, assidu aux interrogatoires et contre-interrogatoires grâces à quoi rien n'est tenu sous silence, c'est devant lui que, tout à l'heure, ont parlé les défenseurs des accusés, parqués dans le dock. Que disent-ils, les avocats d'outre-Manche, pour sauver de la prison leur client en si mauvaise posture ? Je ne sais, puisque, a l'heure où ils parlent, je me le demande en chroniquant. Mais ce que je sais, et très bien, c'est que, là-bas, encore que les droits de la défense, en Angleterre, soient étendus plus loin qu'ils ne le sont en France, les choses se passent, se passeront de même : injustice en deçà, injustice au-delà, voilà la justice humaine de partout.

L'avocat d'Oscar peut être un grand avocat ; je doute qu'il agisse autrement que le plus humble de ceux de sa profession. Pauvre métier ! triste chicane ! Les témoignages seront épluchés ; les contradictions, mises en vue ; les affirmations, niées ; des considérations senmentales interviendront, de toutes sortes ; de belles phrases vaines ; il sera démontré que le lyrisme épistolaire où se laissait entraîner le clan dont Oscar Wilde était le centre ne tirait pas à conséquence ; on invoquera Platon, qui eût jugé tout de même Oscar Wilde dangereux pour sa république. Et, acquitté ou condamné, celui que l'on désignait comme un futur poète lauréat, c'en sera fini : c'est la déchéance de l'homme, qu'ont abandonné, déjà, violemment, le Tout-Paris et le Tout-Londres, qui le fêtaient il n'y a pas si longtemps.

Cependant il y a dans ce procès autre chose à dire que ce qui a été ressassé. Je ne connais pas l'accusé, je ne l'ai jamais vu, je n'ai jamais rien lu de lui ; mais son talent, ses attitudes, ses poses n'ont pas à être mises en cause ; les accusations spéciales qui pèsent sur lui n'auraient pas même à être examinées, et l'on pourrait, pour les besoins de la discussion, imaginer tout autre méfait, car ce contre quoi nous voulons nous élever, au milieu de, l'opinion qui accable le misérable, c'est ceci : que l'on fait de lui la bête émissaire du péché d'une masse d'autres.

Sans encourir le reproche de vouloir me singulariser en prenant le contrepied de l'opinion, qu'il me soit permis d'interroger :

Pourquoi celui-ci et pas ceux-là ? Pourquoi Wilde et pas les autres ? Pourquoi Wilde et pas Douglas (que son père accuse autant que l'écrivain et qui ne se défend même pas) ? Pourquoi Wilde et pas lord ***, dont le nom a été prononcé, et vingt autres dont les avocats se font passer les noms écrits, pour qu'ils ne soient pas prononcés, publiés ?...

Et voilà que l'accusé, qui, s'il ne supportait que sa part de responsabilité, ne m'inspirerait que du dégoût, me fait pitié, en victime sacrifiée dans un simulacre de justice...

Au nom de la société, pour des mœurs qu'elle réprouve, Oscar Wilde encourt la prison ; les mœurs d'Oscar Wilde importent moins, à la réflexion, que l'immoralité de ceux qui le jugent, lui imputant à crime les saletés à propos desquelles ses complices ne sont pas du tout incriminés.

Et ce qui se passe passé le détroit ne saurait nous laisser indifférents : dans des cas semblables, pareille immoralité règne chez nons, il arrive à chaque instant que l'on inquiète les matrones dont le commerce florissant consiste à procurer le fruit vert aux estomacs fatigués ; les proxénètes et leurs rabatteurs comparaissent devant les juges correctionnels ; le fait de s'être entremis entre la misère de fillettes très mineures et l'argent de messieurs très majeurs mérite à ces marchandes de chair fraîche de nombreux mois de prison. Les ogres, eux, ne sont pas dérangés dans leurs occupations ; ils ne sont pas cités à l'audience, leurs noms et qualités demeurent secrets ; quant à être menaces, en aucune façon ; ils n'ont qu'a changer de fournisseuses. Le châtiment pour l'entremetteuse, qui n'existerait pas sans clientèle, le silence de la loi, la protection de la justice, en somme, pour le débauché, par qui la débauche fleurit, s'épanouit, voila le régime français. Il semble qu'ils aient le même vers la Tamise...

Alors, prenant la parole au nom de leurs clients, que font les avocats ? Ils parlent, ils chicanent, ils contestent, tâchent à diminuer les charges, à faire s'évader l'accusé à quelque défaut du filet de justice. J'imagine que, souvent, ils pourraient plaider plus utilement, qu'ils pourraient, à de certains jours, devenir plus sûrement les auxiliaires réels de la justice s'ils s'élevaient au-dessus de ce à quoi ils limitent leurs devoirs, s'ils se décidaient à passer outre aux injonctions des magistrats pour faire éclater la vérité toute. La justice ne mérite d'être que si elle s'abat égale sur tous ; c'est un attentat à la justice que la sévérité pour l'un, l'indulgence ou l'oubli pour les autres. Voici qu'au nom de la morale publique la vie de celui-ci est ruinée, marquée d'ignominie à jamais, tandis que l'autre et les autres se promènent, respirent librement le brouillard natal. En quoi le vice de celui-là faisait-il courir à son pays plus de danger que le vice de ceux-là ?..

Sans doute,l'avocat d'Oscar Wilde aura été habile et éloquent ; mais quelle défense s'il avait donné seulement les noms qui ne se prononcent pas, que les hommes de loi se communiqnent par écrit, les noms de ceux qui suivent le procès, par les journaux, au club, au lieu d'y figurer dans le dock !

JEAN AJALBERT

OSCAR'S LAWYER

Admittedly, it is difficult to plead, the case of Oscar Wilde. In this kind of business, in Paris, lawyers, like Jean de Nivelle's dog, run away when they are called; also, this being judged completely behind closed doors, they hardly lose out: twelve jurors, a few magistrates, ushers and a quarter of trainees, most often disappointed in the curiosity that brings them to the hearing, that's all public, for which it is really not worth spending! In London, it seemed to me that things were different. The public was able to feast to the bottom of the heart, where, according to the poet, the animal that we know sleeps in each of us, details of the indecent assault, as the prevention calls it, to which indulged the esthetic author of Salomé. This public, assiduous in the interrogations and cross-examinations thanks to which nothing is kept silent, it is in front of it that, just now, the defenders of the defendants spoke, parked in the dock. What do the lawyers across the Channel say to save their client from prison in such bad shape? I don't know, since, as they speak, I wonder as I chronicle. But what I know, and very well, is that over there, even though the rights of defense in England are extended further than they are in France, things are happening, will happen. the same: injustice on this side, injustice on the other side, here is human justice everywhere.

Oscar's lawyer can be a great lawyer; I doubt he will act otherwise than the most humble of those of his profession. Poor job! sad bullshit! The testimonies will be peeled; the contradictions, brought to light; assertions, denied; mental considerations will intervene, of all kinds; beautiful vain phrases; it will be demonstrated that the epistolary lyricism in which the clan of which Oscar Wilde was the center let itself be drawn was of no consequence; we will invoke Plato, who would have considered Oscar Wilde dangerous for his republic all the same. And, acquitted or condemned, the one who was designated as a future poet laureate, it will be over: it is the downfall of the man, who has already been violently abandoned by All-Paris and All -London, which celebrated it not so long ago.

However, there is something more to say in this trial than what has been rehashed. I don't know the accused, I've never seen him, I've never read anything about him. but his talent, his attitudes, his poses should not be called into question; the special charges against him would not even have to be examined, and one could, for the sake of discussion, imagine any other misdeeds, for what we wish to protest against, in the midst of public opinion that overwhelms the wretched, it is this: that he is made the beast emissary of the sin of a mass of others.

Without incurring the reproach of wanting to single myself out by taking the opposite view of public opinion, allow me to question:

Why this one and not those? Why Wilde and not the others? Why Wilde and not Douglas (whom his father accuses as much as the writer and who does not even defend himself)? Why Wilde and not Lord ***, whose name has been pronounced, and twenty others whose lawyers pass the written names, so that they are not pronounced, published?...

And now the accused, who, if he bore only his share of the responsibility, would only inspire me with disgust, makes me pity, like a victim sacrificed in a sham of justice...

In the name of society, for morals it disapproves of, Oscar Wilde faces prison; the morals of Oscar Wilde are less important, on reflection, than the immorality of those who judge him, imputing to him as a crime the filth in respect of which his accomplices are not incriminated at all.

And what happens across the strait cannot leave us indifferent: in similar cases, such immorality reigns among us, it happens at every moment that we worry the matrons whose flourishing trade consists in procuring green fruit for weary stomachs. ; pimps and their touts appear before correctional judges; the fact of having mediated between the misery of very minor girls and the money of very adult gentlemen deserves many months in prison for these merchants of fresh flesh. The ogres are not disturbed in their occupations; they are not mentioned at the hearing, their names and qualities remain secret; as to be threats, in any way; they just have to change suppliers. Punishment for the go-between, who would not exist without clients, the silence of the law, the protection of justice, in short, for the debauchee, through whom debauchery flourishes, flourishes, such is the French regime. It seems they have the same towards the Thames...

So, speaking on behalf of their clients, what do lawyers do? They talk, they quibble, they dispute, they try to reduce the charges, to make the accused escape at some fault in the net of justice. I imagine that often they could plead more usefully, that they could, on certain days, more surely become the real auxiliaries of justice if they rose above what they limit their duties to, if they decided to disregard the injunctions of the magistrates to bring out the whole truth. Justice deserves to be only if it falls equally on all; it is an attack on justice that severity for one, indulgence or oblivion for others. Behold, in the name of public morality, his life is ruined, marked with ignominy forever, while the other and the others walk about, breathe freely the native fog. In what way did the vice of that one cause his country to run more danger than the vice of those?

Undoubtedly, Oscar Wilde's lawyer will have been skilful and eloquent; but what defense if he had given only the names which are not pronounced, that the lawyers communicate in writing, the names of those who follow the lawsuit, by the newspapers, with the club, instead of appearing there in the dock!

JEAN AJALBERT

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