ARTICLE ADDITIONNEL

La Chambre discute en ce moment sur le projet de loi Bérenger qui a trait à la prostitution — à la prostitution des femmes.

Et l'autre ? Celle des hommes ?

(Oh! je ne vais pas refaire la plaidoirie de la Fille Elisa, non, et il ne s'agit pas du degré de responsabilité des hommes dans la chute des filles, etc. Si je dis « prostitution des hommes », c'est bien des hommes « prostitués » que je veux parler ; ils sont assez nombreux, composent un bataillon assez compact pour que le législateur se soucie de leur existence.)

J'ai lu le texte la proposition de l'honorable sénateur qui s'est fait une spécialité de veiller sur les mœurs de notre temps ; il veille sur un point, mais sommeille sur l'autre... Puisqu'il croit devoir légiférer, il faudrait légiférer jusqu'au bout et, puisqu'il s'institue censeur, ne pas s'arrêter à demi-cens. Pourquoi ne pas ajouter à ses articles le numéro additionnel que je propose, relatif aux hommes ?

(Mais, avant de continuer, je voudrais demander que l'on ne prît pas mon amendement comme un acquiescement aux vues de M. Bérenger, car, à mon sens, il y a fort à dire contre la mesure, qu'elles innovent, d'ériger en délit le racolage, à peu près impossible à définir et à prouver, et ce ne sera, une fois de plus, qu'une loi contre la misère, qui ne frappera pas la femme galante d'une catégorie supérieure, aussi dangereuse, d'un voisinage aussi contagieux, aussi délétère, on peut affirmer, que la promiscuité des errantes du pavé et de la nuit. Et, entre la réglementation et l'administration — et la liberté totale, nombre d'esprits n'hésitent pas et penchent pour le second parti... Cette liberté, ce retour au droit commun, que nous préférons, [où la fille ne saurait dépendre de la justice, ne saurait être poursuivie que pour les infractions au code : outrage aux mœurs, attentats à la pudeur, scandales, etc.], cette liberté, ce droit commun, voila aussi, évidemment, le régime seul auquel devrait être soumis la catégorie d'individus que nous voudrions voir assimilés aux prostituées ! Alors que nous sommes partisans de la suppression des maisons closes de femmes, nous n'allons point demander que l'on en ouvre d'hommes et songer a un monopole nouveau sous la régie de l'Etat, non ! C'est déjà trop d'un Saint-Lazare pour l'autre sexe. Mais, M. Bérenger réclamant un agrandissement de celui qui existe, nous voulons signaler qu'il y aurait lieu d'ajouter des dépendances...)

Les hommes...

Eh bien, oui, qui l'ignore, que ce n'est pas quelque imagination de littérateur, mais que cela est fort répandu et que ce n'est pas un jeu secret, de rares initiés, mais qu'au contraire la chose est publique, que l'on en sait les innombrables professionnels, qu'ils ont leurs quartiers, leurs lieux de rendez-vous, leurs allures particulières, etc., etc. ? Est-ce que des procès retentissants n'ont pas divulgué l'existence de quantité d'affiliés ? Est-ce que, au haut de la société, comme dans les bas-fonds, il ne se produit pas, a tout instant, quelque éclat devant lequel on ne puisse avoir de doute ? est-ce que nous n'en avons pas, comme en Angleterre, les uns qui s'affichent, la multitude qui se cache, esthètes ou maçons ? La preuve n'est pas à faire. A tout instant, quelque fait-divers nous apporte le récit de drames d'amour et de jalousie où la femme ne figurait pas. Cherchez la femme, répète-t-on quelquefois devant quelque mystère. Cherchez l'homme, faut-il dire assez souvent aussi. Et, si la statistique des criminalistes ne suffit pas pour convaincre, que l'on interroge les médecins : on sera renseigné, à ne plus douter, sur l'étendue de l'état d'âme qui vient de valoir deux ans de hard-labour à M. Oscar Wilde.

(Et encore une parenthèse... Que l'on ne croie pas que je sois désireux d'une répression afflictive contre ceux qui auraient, comme l'ami de lord Douglas, offensé la morale de leur pays. Evidemment, la peine est en disproportion avec le fait qui la motive. Et j'incline à l'avis de M. Henry Fouquier que « c'est tonjours une chose grave et dangereuse que la loi intervienne dans les questions de mœurs lorsqu'il n'y a ni violence ni scandale en jeu, car, pour une philosophie un peu élevée, les questions de conscience sont une seule et même choses... et il paraîtra à tous les hommes raisonnables que la violation d'une loi morale ne peut guère comporter d'autre châtiment qu'un châtiment presque exclusivement moral ». Evidemment, une condamnation minime, la déchéance civile, une marque infamante quelconque, voilà ce dont la société lésée dans sa morale pourrait se satisfaire... Un Oscar Wilde ne met pas la société en danger à ce point... Il est peut-être moins dangereux pour le calme social que l'homme à femmes qui procrée des bâtards, c'est-à-dire de la misère, c'est-à-dire des crimes, et n'est pas inquiété. — Il est vrai, peut-on objecter, que certains cumulent et que l'amitié de Taylor et de membres de l'aristocratie anglaise n'empêchait pas Wilde d'être marié... — Enfin, ce qui est délit aujourd'hui et ici ne l'était pas hier et là-bas... C'est avec raison que le poète d'outre-Manche pouvait défendre les termes ardents de sa lettre au fils de lord Queensberry... Les anciens que nous apprenons au collège en écrivaient bien d'autres, et nous ne nous étonnons pas outre-mesure de voir dans les mœurs d'autres pays ce que nous jugeons immoral chez nous : qui de nous, d'un ami de la flotte ou de l'armée coloniale, n'a entendu le récit du fait contre quoi l'opinion ne s'élève pas, que l'on considère comme fatal dans les grosses agglomérations d'hommes, loin des commodités des villes et de la mère-patrie ?... Mais revenons à notre point de départ et ne considérons plus que les motifs qui ont poussé M. Bérenger à mener sa campagne contre les prostituées et nous font nous étonner absolument qu'il n'ait pas étendu sa motion aux hommes.)

La prostitution des hommes, elle est flagrante, elle s'étale comme l'autre, rôde par les rues obscures ou s'installe aux lumières ; elle est partout, dans les quartiers somptueux ou les arrondissements pauvres, sous l'habit ou le haillon ! Elle est telle, la prostitution des hommes, qu'elle fait du tort à l'autre : c'est une concurrence désastreuse ! Alors ? M. Bérenger est instruit là-dessus, certainement. Et il ne s'aperçoit pas du danger (et ceci n'est pas du tout paradoxal) qu'il y a de laisser la voie libre à ceux-ci en chassant celles-là ! Expulser les filles, c'est faire de la place aux hommes, qui en tiennent déjà beaucoup. L'article additionnel, l'assimilation des prostitués aux prostituees. Si l'on s'acharne contre les unes, pourquoi la paix aux autres ? car, si celles-là pullulent, ceux-ci foisonnent.

Avec la loi Bérenger, le péril sera diminué pour les promeneurs d'être tenté par la vue des filles ; le danger ne sera pas diminué, il pourrait s'augmenter même, d'être sollicité par les hommes !

Alors, n'est-il pas préférable que le passant en quête d'amour vénal ait, du moins, l'embarras du choix ? — ce qui ne se produira pas si vous chassez les femmes ? N'est-il pas préférable de laisser au passant la facilité plus grande d'aimer avec les marchandes de plaisir, selon l'amour et la nature, selon l'image qu'elles en proposent, en tout cas ?..

Les moralistes de la loi sur le racolage prétendent sauvegarder la jeunesse des mauvaises tentations. N'est-ce pas en traquant les femmes et en laissant les hommes qu'ils créent, pour les jeunes gens, beaucoup plus sûrement, le peril de mal tourner ?

JEAN AJALBERT

ADDITIONAL ARTICLE

The House is currently debating the Bérenger bill, which deals with prostitution—prostitution of women.

And the other ? That of men?

(Oh! I'm not going to repeat Girl Elisa's argument, no, and it's not about the degree of responsibility of men in the fall of girls, etc. If I say "male prostitution", it's many "prostitute" men I want to talk about; they are numerous enough, make up a battalion compact enough for the legislator to care about their existence.)

I read the text of the proposal of the honorable senator who has made a specialty of watching over the mores of our time; he watches over one point, but slumbers over another... Since he thinks he must legislate, it would be necessary to legislate to the end and, since he sets himself up as a censor, not stop at half-census. Why not add to his articles the additional number that I propose, relating to men?

(But, before continuing, I would like to ask that my amendment not be taken as an acquiescence to the views of Mr. Bérenger, because, in my opinion, there is much to say against the measure, that they innovate, to criminalize soliciting, which is almost impossible to define and prove, and it will be, once again, only a law against misery, which will not strike the gallant woman of a higher category, also dangerous, of a proximity as contagious, as deleterious, one can affirm, as the promiscuity of the wanderers of the pavement and of the night.And, between regulation and administration—and total freedom, many minds do not not and lean towards the second party... This freedom, this return to common law, which we prefer, [where the girl cannot depend on justice, can only be prosecuted for breaches of the code: contempt of morals, attacks modesty, scandals, etc.], this freedom, this common law, here is also, obviously, the only regime to which should be submitted the category of individuals that we would like to see assimilated to prostitutes! While we are in favor of the abolition of women's brothels, we are not going to ask that men's brothels be opened and think of a new monopoly under state control, no! It's already too much of a Saint-Lazare for the other sex. But, Mr. Bérenger claiming an enlargement of the existing one, we want to point out that it would be necessary to add dependencies...)

Men...

Well, yes, who does not know, that it is not some writer's imagination, but that it is very widespread and that it is not a secret game, of rare initiates, but that on the contrary the thing is public, that we know its innumerable professionals, that they have their quarters, their meeting places, their particular paces, etc., etc. ? Did high profile lawsuits not disclose the existence of many affiliates? At the top of society, as in the lower depths, does not there occur, at every instant, some outburst before which there can be no doubt? don't we have, as in England, some who show off, the multitude who hide, aesthetes or masons? The proof is not to be done. Every moment, some news item brings us the story of dramas of love and jealousy where the woman did not figure. Look for the woman, we sometimes repeat in front of some mystery. Look for the man, should we say quite often too. And, if the statistics of the criminologists are not enough to convince, let us question the doctors: we will be informed, no doubt, about the extent of the state of mind which has just been worth two years of hard work. plowing to Mr. Oscar Wilde.

(And one more parenthesis... Do not believe that I am desirous of an afflictive repression against those who, like the friend of Lord Douglas, would have offended the morals of their country. Obviously, the penalty is in disproportion with the fact that motivates it. And I incline to the opinion of M. Henry Fouquier that "it is always a serious and dangerous thing for the law to intervene in questions of morals when there is neither violence no scandal at stake, for, for a somewhat lofty philosophy, questions of conscience are one and the same thing...and it will appear to all reasonable men that the violation of a moral law can hardly entail any other punishment than an almost exclusively moral punishment". Obviously, a minimal condemnation, civil forfeiture, any infamous mark, this is what society injured in its morality could be satisfied with... An Oscar Wilde does not put society in danger at this point... It is perhaps less dangerous for social calm q ue the ladies' man who procreates bastards, that is to say misery, that is to say crimes, and is not worried. — It is true, it may be objected, that some cumulate and that the friendship of Taylor and members of the English aristocracy did not prevent Wilde from being married... — Finally, what is an offense today and here was not yesterday and there... It was with good reason that the poet from across the Channel could defend the ardent terms of his letter to the son of Lord Queensberry... The ancients we learn at college wrote many others, and we are not overly surprised to see in the mores of other countries what we consider immoral at home: which of us, of a friend of the fleet or of the army colonial, has not heard the story of the fact against which public opinion does not rise, which is considered fatal in large agglomerations of men, far from the conveniences of cities and the mother country? .. But let us return to our starting point and consider only the motives which prompted Mr. Bérenger to carry out his campaign against prostitutes and which make us absolutely astonished that he did not extend his motion to men.)

The prostitution of men, it is flagrant, it spreads out like the other, prowls through the dark streets or settles in the lights; it is everywhere, in the sumptuous districts or the poor districts, under the habit or the rag! It is such, the prostitution of men, that it harms the other: it is a disastrous competition! So ? Mr. Bérenger is educated on that, certainly. And he does not notice the danger (and this is not at all paradoxical) that there is to leave the way clear to these while chasing those! To expel the girls is to make room for the men, who already hold a lot of them. The additional article, the assimilation of prostitutes to prostitutes. If we go after some, why peace to others? for, if these swarm, these abound.

With the Bérenger law, the danger will be reduced for walkers of being tempted by the sight of girls; the danger will not be diminished, it could even increase, of being solicited by men!

So, isn't it better that the passerby in search of venal love has, at least, the embarrassment of choice? — what won't happen if you hunt women? Isn't it better to leave to the passerby the greater facility to love with the sellers of pleasure, according to love and nature, according to the image they propose of it, in any case? ..

The moralists of the law on solicitation claim to safeguard the youth from evil temptations. Isn't it by hunting down the women and leaving the men that they create, for young people, much more surely, the danger of going wrong?

JEAN AJALBERT

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