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NOTES DE LA SEMAINE
UN INCIDENT DE LA VIE ANGLAISE

RASSUREZ-VOUS, il est trop vilain, trop abominable, pour que j'en parle ici, même par allusion. Je ne voudrais que vous faire part de quelques réflexions, qui m'ont été suggérées par cette scandaleuse histoire, et qui, je crois, peuvent avoir leur utilité.

Ce Wilde, dont le nom va jouir en Europe d'une si triste célébrité, n'était peut-être pas un être foncièrement corrompu de nature. Il n'avait qu'un défaut, il voulait étonner, ou, comme nous disons aujourd'hui, épater le bourgeois. C'est un mal dont beaucoup de nos jeunes esthètes sont travaillés comme lui.

Pour épater le bourgeois, puisque épater Il y a, le moyen le plus simple et le plus sûr serait encore de faire des œuvres si belles ou des actions si éclatantes, qu'il en restât ému et comme béant d'admiration. Mais ce moyen-là n'est pas à la portée de tout le monde; et, de plus, il faut reconnaître qu'il n'est pas des plus rapides. On ne conquiert et l'on ne terrasse pas le public en un jour. Il ne se rend qu'accablé sous l'amoncellement des chefs-d'oeuvre authentiques.

Les épateurs sont pressés. Ils ont remarqué (et cela est d'une observation courante) qu'il n'y avait pas de meilleure façon d'attirer et de forcer la curiosité des gens que de heurter en quoi que ce soit la coutume générale, de parler et d'agir au rebours de ce que fait tout le monde. Il est clair qu'un individu qui sortirait sur le boulevard avec un rond de plumes fichées sur la tête et un carquois hérissé de flèches dans le dos, ferait sensation et ameuterait la foule, qui le suivrait en se bousculant et en criant.

C'est ce qu'a fait cet Oscar Wilde. On l'a vu se promener dans les rues de Londres, vêtu d'un costume moyenâgeux, balançant un lys dans sa main. On l'a beaucoup regardé ; les uns se sont moqués de son déguisement, les autres en ont été ravis ; les journaux en ont entretenu leurs lecteurs ; c'est au fond tout ce qu'il voulait : épater le bourgeois et se faire de la réclame.

Ce n'est pas tout. De même que l'on accapare les yeux du public par des excentricités d'habillement, on peut secouer sa curiosité d'esprit on ayant l'air de penser sur toute chose autrement que lui, en prenant le contre-pied de tout ce qui est admis comme vrai, comme juste et comme bon ; en cultivant le paradoxe, et comme le paradoxe, réduit à ses seules ressources, ne suffirait peut-être pas à éveiller l'indifférence naturelle de la foule, on est amené à exprimer le paradoxe sous une forme également paradoxale, à dire, de la façon la plus prodigieusement excentrique, des excentricités prodigieuses.

Il parait que cet Oscar Wilde avait glissé sur cette pente, où vous savez que s'engagent imprudemment à cette heure beaucoup de jeunes gens. On cite de lui une foule de paradoxes, qu'il se plaisait à enfermer dans des formules artistiquement ciselées. Ainsi il est assez d'usage de détester l'immoralité et le crime : Oscar Wilde, ayant à parler de l'assassin Thomas Griffith, qui avait été dessinateur, peintre et auteur, disait de lui, avec une affectation de sang-froid, qui sentait son dilettante :

« C'était un faussaire de talent exceptionnel ; et comme empoisonneur délicat et discret, il n'a presque pas son pareil dans ce siècle ni dans un autre. »

Et il ajoutait plus loin :

« Cet homme si puissant par la plume, le pinceau et le poison, était un artiste remarquable. Ses crimes semblent avoir exercé une action considérable sur son art. Ils ont donné à son style une empreinte fortement personnelle, un caractère qui manquait sûrement à ses premiers travaux. »

Autre part, il disait encore :

« Il n'y a d'autre péché que la bêtise...

» Une idée qui n'est pas dangereuse ne mérite pas même d'être une idée...

» L'esthète est supérieur à l'homme moral ; il appartient à une sphère plus intellectuelle. Le sens de la couleur est plus important dans le développement de l'individu que le sens du juste et de l'injuste...

» Le sûr moyen de ne rien savoir de la vie est de se rendre utile...

» Il faut chercher non à faire quelque chose, mais a être quelque chose », etc., etc.

Vous reconnaissez aisément dans ces axiomes un écho des paradoxes où s'amusent chez nous les disciples de Maurice Barrès. Ce n'est qu'une façon d'épater le bourgeois, qui retourne la tête et sursaute. Les messieurs qui pratiquent cet exercice ne prennent pas garde que quand, de parti pris, on se pique de penser sur toute chose autrement que tout le monde, le paradoxe devient une nouvelle espèce de lieu commun, et ce lieu commun est infiniment plus agaçant que le premier. Car, enfin, s'il est un peu inutile et cruellement prudhommesque de prouver qu'on est mouillé quand la pluie tombe et que la vertu est préférable au vice, on sent quelque irritation à voir un monsieur qui, du haut de son dilettantisme, avec des airs de pitié pour votre pauvre génie, affiche et cherche à vous démontrer que la pluie ne mouille pas et que le vice vaut mieux que la vertu. Lieu commun pour lieu commun, je préfère celui des bonnes gens ; au moins est-il inoffensif.

L'autre ne l'est pas ; et c'est sur ce point que je voudrais éveiller votre attention. On s'imagine trop aisément que le goût du paradoxe n'est qu'une des formes les plus amusantes de la blague parisienne, et qu'on peut s'y livrer sans inconvénient ni pour soi ni pour les autres.

C'est une erreur.

Oui, sans doute, la première fois que l'on émet un axiome de ce genre : Il n'y a d'autre péché que la bêtise, ou : Le plus sûr moyen de ne rien savoir de la vie est de se rendre utile, on se rend parfaitement compte que c'est tout simplement pour épater le bourgeois, et si l'on brode sur cette prétendue vérité des développements fantaisistes, on n'en est pas dupe ; ce sont jeux d'imagination où l'on s'amuse.

Mais voici le danger :

A répéter trop souvent une chose qui est fausse, même quand on la sait fausse, on finit par se la persuader à soi-même. C'est une sorte d'auto-suggestion. Il ne faut pas badiner avec les mots :

Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant ;
La main du penseur vibre et tremble en l'écrivait

comme dit le poète. Oui, le mot a par lui-même une action réelle qui peut, selon la circonstance, être bienfaisante ou délétère pour celui qui le prononce comme pour celui qui l'écoute. On élève les âmes et l'on dirige les hommes à l'aide de beaux mots ; les mots qui enferment de vilaines pensées ont une influence corruptrice à laquelle il est à peu près impossible d'échapper.

Je ne sais pas et ne veux pas savoir la biographie de cet Oscar Wilde. Mais je suis convaincu qu'à force de répéter qu'il n'y a ni bien ni mal, que le goût de la beauté explique et justifie toutes les erreurs, que la morale se confond dans l'esthétique, à force de faire les gestes afférents à ces idées paradoxales, tout son être s'en est imprégné ; ce qu'elles ont de corrosif a passé de son intelligence à son coeur ; et de bel esprit paradoxal, il est devenu, par une pente insensible, l'homme dont l'immoralité est en ce moment la honte de l'Angleterre.

Gardons-nous donc du dilettantisme et de la blague qui en est la compagne ordinaire. Entre M. Homais et M. Oscar Wilde, je n'hésite pas ; je préfère M. Homais. II ne dit que des vérités connues et consacrées ; mais ce sont des vérités de bon sens et de saine morale. Il les exprime avec une emphase qui n'est pas exempte de ridicule. Mais cette solennité ne nuit à personne ; elle ne fait point de ravages dans les cœurs ni dans les intelligences.

FRANCISQUE SARCEY.

NOTES OF THE WEEK
AN INCIDENT OF ENGLISH LIFE

BE REASSURED, he is too ugly, too abominable, for me to mention him here, even by allusion. I would only like to share with you a few thoughts, which have been suggested to me by this scandalous story, and which, I believe, may be useful.

This Wilde, whose name will enjoy such a sad celebrity in Europe, was perhaps not a being fundamentally corrupt by nature. He had only one fault, he wanted to astonish, or, as we say today, to amaze the bourgeois. It is an evil which many of our young aesthetes are wrought with like him.

To impress the bourgeois, since there is to impress, the simplest and surest way would still be to do such beautiful works or such brilliant actions that he would remain moved and gaping with admiration. But this means is not within everyone's reach; and, moreover, it must be recognized that it is not the fastest. We do not conquer and we do not defeat the public in a day. He surrenders only overwhelmed by the accumulation of authentic masterpieces.

The spacers are in a hurry. They noticed (and this is a common observation) that there was no better way of attracting and forcing the curiosity of people than to offend in any way the general custom, to talk and d act contrary to what everyone else is doing. It is clear that an individual who would go out on the boulevard with a circle of feathers stuck on his head and a quiver bristling with arrows in his back, would cause a sensation and stir up the crowd, who would follow him, jostling and shouting.

That's what this Oscar Wilde did. He was seen strolling the streets of London, dressed in a medieval costume, swinging a lily in his hand. We watched it a lot; some laughed at his disguise, others were delighted with it; the newspapers told their readers about it; that's basically all he wanted: to impress the bourgeois and advertise himself.

That's not all. Just as one monopolizes the eyes of the public by eccentricities of dress, one can shake off their curiosity of mind by seeming to think about everything differently from themselves, by taking the opposite view of everything that is admitted as true, as just and as good; by cultivating the paradox, and since the paradox, reduced to its only resources, would perhaps not suffice to arouse the natural indifference of the crowd, we are led to express the paradox in an equally paradoxical form, to say, most prodigiously eccentric way, prodigious eccentricities.

It seems that this Oscar Wilde had slipped on this slope, where you know that many young people take imprudently at this hour. A host of paradoxes are quoted from him, which he liked to enclose in artistically chiselled formulas. Thus it is customary enough to detest immorality and crime: Oscar Wilde, having to speak of the assassin Thomas Griffith, who had been a draughtsman, painter and author, said of him, with an affectation of sangfroid, who felt his dilettante:

“He was an exceptionally talented forger; and as a delicate and discreet poisoner, he has hardly his equal in this century or in another. »

And he added further:

“This man, so powerful with pen, brush and poison, was a remarkable artist. His crimes seem to have exerted a considerable influence on his art. They gave his style a strongly personal imprint, a character that was surely lacking in his early work. »

Elsewhere he said:

"There is no other sin than stupidity...

An idea that isn't dangerous doesn't even deserve to be an idea...

The esthete is superior to the moral man; he belongs to a more intellectual sphere. The sense of color is more important in the development of the individual than the sense of right and wrong...

The sure way to know nothing of life is to make yourself useful...

“We must seek not to do something, but to be something,” etc., etc.

You easily recognize in these axioms an echo of the paradoxes with which the disciples of Maurice Barrès play with us. It's only a way of impressing the bourgeois, who turns his head and jumps. The gentlemen who practice this exercise are not aware that when, on a biased basis, one prides oneself on thinking about anything other than everyone else, the paradox becomes a new kind of commonplace, and this commonplace is infinitely more irritating than the first. For, after all, if it is a little useless and cruelly prudent to prove that one is wet when the rain falls and that virtue is preferable to vice, one feels some irritation at seeing a gentleman who, from the height of his dilettantism, with airs of pity for your poor genius, displays and seeks to demonstrate to you that the rain does not wet and that vice is better than virtue. Commonplace for commonplace, I prefer that of good people; at least it is harmless.

The other is not; and it is to this point that I would like to draw your attention. We imagine too easily that the taste for paradox is only one of the most amusing forms of the Parisian joke, and that we can indulge in it without inconvenience either for ourselves or for others.

It is a mistake.

Yes, no doubt, the first time that we utter an axiom of this kind: There is no other sin than stupidity, or: The surest way to know nothing of life is to make oneself useful. , we realize perfectly that it is quite simply to impress the bourgeois, and if we embroider fanciful developments on this alleged truth, we are not fooled; these are imaginative games where we have fun.

But here is the danger:

By repeating too often a thing that is false, even when we know it to be false, we end up convincing ourselves of it. It's a kind of auto-suggestion. Do not mess with the words:

For the word, let it be known, is a living being;
The thinker's hand vibrates and trembles as he wrote it

as the poet says. Yes, the word itself has a real action which can, depending on the circumstances, be beneficial or deleterious for the person who pronounces it as well as for the person who listens to it. One elevates souls and one directs men with the help of fine words; words that contain ugly thoughts have a corrupting influence that is almost impossible to escape.

I don't know and don't want to know the biography of this Oscar Wilde. But I am convinced that by dint of repeating that there is neither good nor evil, that the taste for beauty explains and justifies all errors, that morality merges with aesthetics, by dint of making gestures relating to these paradoxical ideas, his whole being is impregnated with them; what is corrosive in them has passed from his intelligence to his heart; and from a fine paradoxical mind, he has become, by an imperceptible inclination, the man whose immorality is at this moment the shame of England.

Let us therefore guard against dilettantism and the joke which is its ordinary companion. Between M. Homais and M. Oscar Wilde, I do not hesitate; I prefer Mr. Homais. He only speaks known and consecrated truths; but these are truths of common sense and sound morality. He expresses them with an emphasis that is not free from ridicule. But this solemnity harms no one; it does not wreak havoc in hearts or minds.

FRANCISQUE SARCEY.

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