UN TROU

M. Paschal Grousset à déjà continué Jules Verne en librairie. Il voudrait aujourd'hui faire entrer les idées de son maître dans le domaine pratique, et pour commencer, il propose de faire un premier pas vers le centre de la terre en creusant un trou de cinq mille mètres.

Cinq mille mètres?... Pourquoi cette limite plutôt que telle autre. On ne nous le dit pas. « Cinq mille mètres » est un chiffre rond, comme qui dirait une livre et quart. Va donc pour cinq mille mètres.

M. Paschal Grousset pense que ce trou pourrait être le clou de la prochaine exposition et qu’un tas de provinciaux et d’étrangers viendraient à Paris pour voir cette fosse.

C’est bien possible, après tous.

En fait d’Exposition, c’est comme en matière de théâtre : on ne sait jamais ce qui attirera le public.

Un directeur se frotte les mains, et répète à qui veut l’entendre :

— J’ai trouvé une merveille, un chef-d’oeuvre ! en voilà pour mille représentation.

Il fait un four noir.

Un autre montre un nez long d’une aune, et va larmoyant :

— Je fais répéter une pièce imbécile. Je crois que j’étais saoul quand je me suis engagé à jouer cette ordure.

Il obtient un succès monstre, et à la huit centième, il n’a pas encore compris pourquoi.

Qui peut savoir si un trou attirera les foules ou non ?

La tour Eiffel qui n’était que le contraire d'un trou — les a bien attirées.

L’expérience seule pourra montrer si ce trou est un clou.

Seulement, pour faire cette expérience, une petite difficulté se présente.

MM. les savants prétendent en chœur qu’on n’arrivera pas percer un trou de cinq mille mètres, et que, si même on y arrivait, il ferait tellement chaud au fond, que personne ne voudrait y descendre.

Que répond M. Paschal Grousset ?

M. Paschal Grousset ne répond rien, jusqu’à présent du moins.

Son âme a son secret, son cœur a son mystère.

Aurons-nous un trou en 1900.

N’aurons-nous pas de trou !

Si nous ne pouvons pas exposer le trou de M. Paschal Grousset, on pourrait toujours exposer M. Paschal Grousset, lui-même.

Ça serait presque aussi curieux.

Des savants prétendent aussi que ce trou no serait pas intéressant du tout, attendu qu’ils savent parfaitement ce qu’on y verrait.

Ça, c’est une autre affaire.

Il se pourrait bien que ce trou, s’il était creusé, ne nous réservât nulle surprise.

En voici une que je prévois tout de suite :

Les savants disent qu’en s’enfonçant dans la terre, on trouve une augmentation de un degré de chaleur à raison de 30 mètres de profondeur.

A ce taux, si je sais à peu près compter, on trouverait donc à 500 mètres au-dessous du niveau du Champ de Mars, une chaleur d environ 180°.

Avec une température pareille, on arriverait peut-être à enflammer les allumettes du gouvernement.

Et j’estime, pour ma part, que ce serait là une curiosité pas banale du tout.

* * *

Qui sait, d’ailleurs, si, en route, on ne rencontrerait pas, au-dessous des couches connues, de ce qu’on nomme le bassin de Paris, des couches inattendues de charbon de terre.

Voilà qui serait encore moins banal.

Du coup, on aurait trouvé la great attraction rêvée.

Les jours chics — car il y aurait, bien entendu, des jours chics pour la visite du trou de M. Paschal Grousset — on pourrait organiser pour les spectateurs amis des émotions fortes, quelques explosions de grisou, dont beaucoup de personnes ont entendu parler sans d’ailleurs en avoir jamais vu.

Et pour compléter l’attraction , à l’orifice du trou, Mme Séverine distribuerait quelques secours aux victimes et improviserait, séance tenante, un de ces articles lacrymatoircs dont elle a le secret.

Ceux des visiteurs qui en seraient quittes pour l’émotion, pourraient emporter un bloc de houille comme souvenir. L’administration fournirait le savon pour se laver les mains.

Ces « jours chics » seraient spécialement recommandés aux députés socialistes, aux personnes lasses de la vie, aux belles-mères, aux gens qui se sentiraient portés à commettre des crimes passionnels et aux romanciers psychologues.

* * *

Etant donné que la chaleur a la propriété de fondre les corps, et particulièrement les corps gras, on pourrait aussi recommander la visite du trou de M. Paschal Grousset aux personnes atteintes d’une obésité précoce ou invétérée.

Après une descente dans ce trou, M. Francisque Sarcey pourrait mettre les caleçons de M. Calvin, du Palais-Royal, et madame Mathilde « nagerait » dans les corsets de Mme Sarah Bernhard.

On dira que toute cette graisse perdue arriverait rapidement à combler le trou.

On remédierait aisément à cet inconvénient en recueillant cette graisse pour en faire un usage industriel ou commercial.

Elle pourrait être utilisée pour graisser sur place les machines qui serviraient à la visite du trou.

On pourrait aussi la recueillir dans des petits pots et l’envoyer en province où des paysannes la vendraient sur les marchés de la campagne comme » beurre fabriqué par elles-mêmes. »

Et les gourmets qui se laissent tous prendre aux étiquettes s’en pour lécheraient les doigts jusqu’aux coudes.

* * *

D’un autre côté, rien n’empêcherait, l’Exposition finie, d’installer dans le trou un certain nombre d’appartements confortables, avec ascenseur et descend-charge, et pour les personnes frileuses, si, par hasard, les locataires ne se présentaient pas en assez grand nombre, on pourrait affecter les étages vacants à un immense asile de nuit où l’on recevrait en hiver les gens qui risquent de mourir de froid dans la rue.

Cela ferait une économie de braseros pour l’administration municipale.

Et M. Paschal Grousset nous donnerait ce spectacle absolument inattendu d’un député socialiste ayant vraiment fait une fois quelque chose en faveur de pauvres gens.

* * *

Enfin, si les sans-asile eux-mêmes refusaient cette hospitalité un peu trop souterraine, on aurait encore la ressource de convertir ce puits en un immense établissement de détention.

La question pénitentiaire depuis si longtemps à l’ordre du jour serait ainsi résolue.

Et on pourrait même supprimer la peine de mort, car un assassin enfermé tout au fond, à cinq mille mètres au-dessous des cimetières, serait, semble-t-il, mis à jamais dans l’impossibilité de recommencer.

A la différence du fameux Malbrouck, il ne serait pas mort, mais il serait enterré tout de même.

* * *

Quoi qu’il en soit, que M. Paschal Grousset creuse son trou on ne le creuse pas, son idée aura fait couler beaucoup d’encre et fournir bien de la copie à des interviewers que l’approche des vacances de Pàques privait d’autres sujets.

On a interviewé tout le monde : géologues, ingénieurs, astronomes, architectes.

Leurs réponses ont généralement apporté pou de lumière dans la question, comme toutes les interviews possibles d’ailleurs.

Mon correspondant de Londres a même eu l’ingénieuse pensée d’aller interviewer à ce sujet M. Oscar Wilde dans sa prison.

Le divin esthète s’est montré assez étonné de cette démarche singulière. — Comment voulez-vous que j’aie une opinion sur cette question ? s’est-il écrié en anglais, vous savez bien que, pour moi, un trou est un trou !

Paul Dollfus.

A HOLE

Mr. Paschal Grousset has already continued Jules Verne in bookshops. Today he would like to bring his master's ideas into the practical realm, and to begin with, he proposes to take a first step towards the center of the earth by digging a five thousand meter hole.

Five thousand meters? Why this limit rather than another. We are not told. “Five thousand meters” is a round number, like a pound and a quarter. So go for five thousand meters.

Mr. Paschal Grousset thinks that this hole could be the highlight of the next exhibition and that a lot of provincials and foreigners would come to Paris to see this pit.

It is quite possible, after all.

In terms of an Exhibition, it's like in matters of theatre: you never know what will attract the public.

A director rubs his hands and repeats to anyone who will listen:

— I have found a marvel, a masterpiece! that's it for a thousand representations.

It makes a black oven.

Another shows a nose an yard long, and goes tearful:

"I'm having a stupid piece rehearsed." I think I was drunk when I signed up to play this scumbag.

He achieves a monster success, and at the eight hundredth, he still hasn't understood why.

Who can know if a hole will attract crowds or not?

The Eiffel Tower, which was only the opposite of a hole, attracted them well.

Only experience can show if this hole is a nail.

Only, to make this experiment, a small difficulty presents itself.

MM. the scientists claim in chorus that we will not be able to drill a hole of five thousand meters, and that, even if we succeeded, it would be so hot at the bottom, that no one would want to go down there.

What does Mr. Paschal Grousset answer?

Mr. Paschal Grousset does not answer, until now at least.

His soul has its secret, his heart has its mystery.

Will we have a hole in 1900.

Won't we have a hole!

If we cannot expose Mr. Paschal Grousset's hole, we could always expose Mr. Paschal Grousset himself.

It would be almost as curious.

Scientists also claim that this hole would not be interesting at all, since they know perfectly well what one would see there.

That's another matter.

It may well be that this hole, if dug, would hold no surprises for us.

Here is one that I am planning right away:

Scientists say that as you go deeper into the earth, there is a one degree increase in heat at a depth of 30 meters.

At this rate, if I know roughly how to count, we would therefore find at 500 meters below the level of the Champ de Mars, a heat of about 180°.

With such a temperature, we might manage to light the matches of the government.

And I consider, for my part, that this would be a curiosity not trivial at all.

* * *

Who knows, moreover, if, on the way, one would not encounter, below the known layers, of what is called the Paris basin, unexpected layers of coal.

That would be even less trivial.

As a result, we would have found the great dream attraction.

On smart days — because there would, of course, be smart days for the visit of Mr. Paschal Grousset’s hole — we could organize strong emotions for friendly spectators, a few firedamp explosions, which many people have heard of without besides having never seen one.

And to complete the attraction, at the opening of the hole, Madame Séverine would distribute some relief to the victims and would improvise, on the spot, one of those lachrymatory articles of which she has the secret.

Those of the visitors who would leave for the emotion, could take away a block of coal as a souvenir. The administration would provide soap for washing hands.

These "chic days" would be especially recommended to socialist deputies, to people weary of life, to mothers-in-law, to people who would feel inclined to commit crimes of passion and to psychological novelists.

* * *

Given that heat has the property of melting bodies, and particularly fatty bodies, we could also recommend a visit to Mr. Paschal Grousset's hole to people suffering from premature or inveterate obesity.

After a descent into this hole, M. Francisque Sarcey could put on the underpants of M. Calvin, of the Palais-Royal, and Madame Mathilde would "swim" in the corsets of Madame Sarah Bernhard.

We will say that all this lost fat would quickly fill the hole.

This drawback could easily be remedied by collecting this fat for industrial or commercial use.

It could be used to grease on site the machines that would be used to visit the hole.

It could also be collected in small jars and sent to the provinces where peasant women would sell it in the country markets as "butter made by themselves." »

And the gourmets who all get caught up in labels would lick their fingers up to their elbows.

* * *

On the other hand, nothing would prevent, when the Exhibition was over, installing in the hole a certain number of comfortable apartments, with elevator and drop-off, and for the cautious people, if, by chance, the tenants did not turn up in large enough numbers, the vacant floors could be assigned to a huge night shelter where in winter people would be received who were in danger of dying of cold in the street.

This would save braziers for the municipal administration.

And Mr. Paschal Grousset would give us this absolutely unexpected spectacle of a socialist deputy having really once done something in favor of poor people.

* * *

Finally, if the asylum seekers themselves refused this somewhat too subterranean hospitality, we would still have the resource of converting this well into a huge detention facility.

The prison question for so long on the agenda would thus be resolved.

And we could even abolish the death penalty, because a murderer locked up at the bottom, five thousand meters below the cemeteries, would, it seems, be forever unable to start again.

Unlike the famous Malbrouck, he would not be dead, but he would be buried all the same.

* * *

Be that as it may, whether Mr. Paschal Grousset digs his hole, we don't dig it, his idea will have caused a lot of ink to flow and provided a lot of copy to interviewers whom the approach of the Easter holidays deprived of other subjects.

We interviewed everyone: geologists, engineers, astronomers, architects.

Their answers generally shed some light on the question, like all possible interviews for that matter.

My correspondent in London even had the ingenious idea of going to interview Mr. Oscar Wilde on this subject in his prison.

The divine esthete was quite surprised by this singular approach. "How do you expect me to have an opinion on this question?" he exclaimed in English, you know very well that, for me, a hole is a hole!

Paul Dollfus.

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