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Next report Le Figaro - Saturday, April 6, 1895

Tribunaux Etrangers M. Oscar Wilde et le marquis de Queensbery,
PAR DÉPÊCHE

Londres, 4 avril.

Une affaire qui fait sensation à Londres, le procès intenté par M. Oscar Wilde au marquis de Queensbery a commencé aujourd'hui à la Cour d'assises d'Old Bailey, sous la présidence de M. le juge Collins.

M. Oscar Wilde, littérateur distingué, auteur de plusieurs pièces applaudies, est presque aussi connu des Parisiens que des Londonniens. On voit souvent sur les boulevards un homme de haute taille, au visage soigneusement rasé, aux chairs grasses, qu'encadre une chevelure blonde un peu longue physionomie de prélat c'est M. Wilde. Le marquis de Queensbery, haut en couleur, la lèvre supérieure rasée, les joues ornées de favoris, a bien l'air d'un Ecossais robuste. Aujourd'hui, l'on a pu les voir l'un et l'autre à la Cour d'assises, M. Wilde au banc des témoins, M. Queensbery au banc des accusés. Voici pourquoi:

Vers la fin du mois de février, M. Wilde, en arrivant au Club Alemarle, trouva une carte contenant quelques mots écrits par le marquis de Queensbery. Ces mots étaient «Pour Oscar Wilde, qui pose pour le .....» Le mot que je remplace par des points ne pourrait s'imprimer qu'en latin. C'était une accusation abominable portée contre les mœurs de M. Wilde qui, ayant le choix entre un procès civil et un procès criminel, préfère faire asseoir le marquis de Queensbery sur les bancs de la Cour d'assises. La déposition de M. Wilde nous a fait connaître qu'en 1891 il fit la connaissance de lord Alfred Douglas, fils de lord Queensbery. Celui-ci vit d'un mauvais œil les relations de son fils avec M. Wilde; mais lord Alfred Douglas resta sourd aux remontrances paternelles. Une ou deux fois M. Wilde, accompagné du jeune homme, rencontra le marquis qui échangea avec lui quelques paroles banales, mais un jour il y eut une explication orageuse entre le marquis et M. Wilde.

--Je ne dis pas que vous l'êtes, dit le marquis, mais vous en avez tout l'air et vous posez pour l'être, ce qui est absolument la même chose.»

Cela se passait en juin 1894. Dans l'intervalle, il s'était produit un incident curieux. Lord Alfred Douglas avait donné de vieux habits à un certain M. Word, lequel était un besogneux. Un jour, Word vint trouver M. Wilde et lui offrit de lui vendre certaines lettres par lui adressée à lord Douglas et que celui-ci avait oubliées dans les poches de ses vieux vêtements. M. Wilde prit les lettres et donna 15 livres à Word.

Plus tard, deux autres individus essayèrent de se faire payer 60 livres une lettre plus importante à leur point de vue que celles de Word, mais M. Wilde répondit que si quelqu'un était disposé à donner 60 livres pour une de ses lettres, il n'y avait qu'à conclure le marché, et il refusa de rien donner.

Quelque temps après, cependant, les deux individus lui rendirent sa lettre sous condition. Cette lettre, qui est, dit M. Wilde, un sonnet en prose adressé à lord Alfred Douglas, est digne, au moins par le fond, sinon par la forme, de certains poètes de la Grèce antique. On y trouve des phrases comme celle-ci «Vos lèvres rouges, pareilles à des feuilles de rose, ont été faites non moins pour le chant poétique que pour l'affolement des baisers.» M. Wilde n'a nullement démenti l'avoir écrite. Il la considère comme une oeuvre d'art.

Interrogé par M. Carson, l'avocat de lord Queensbery, M. Wilde nie avoir pris un appartement pour y loger lord A. Douglas, mais il doit cependant avouer avoir eu pendant quelque temps, à Londres même, un second domicile qu'a habité quelque temps son jeune ami. A d'autres questions M. Wilde répond par quelques-uns de ses paradoxes ordinaires, tels que «Je n'ai jamais eu d'adoration que pour moi-même.»- Ou bien encore: «Il est des gens dans ce monde qui ne peuvent comprendre l'intense affection que peut éprouver un artiste pour un être merveilleux et beau. Voilà les conditions dans lesquelles nous vivons aujourd'hui. Je le regrette,» et ainsi de suite.

Attendons la défense; c'est ce qu'il y aura de plus intéressant dans ce procès à sensation.

Foreign Courts Mr. Oscar Wilde and the Marquess of Queensbery,
BY DISPATCH

London, April 4.

A sensational case in London, the trial brought by Mr Oscar Wilde against the Marquess of Queensbery began today at the Old Bailey Assize Court, Mr Justice Collins presiding.

Mr. Oscar Wilde, a distinguished writer, author of several acclaimed plays, is almost as well known to Parisians as to Londoners. One often sees on the boulevards a tall man, with a carefully shaven face, with oily flesh, framed by blond hair, a little long, like a prelate, that is M. Wilde. The colorful Marquess of Queensbery, his upper lip shaved, his cheeks adorned with sideburns, looks like a sturdy Scotsman. Today, we were able to see both of them in the Court of Assizes, Mr. Wilde in the witness box, Mr. Queensbery in the dock. Here's why:

Towards the end of February, Mr. Wilde, on arriving at Club Alemarle, found a card containing some words written by the Marquess of Queensbery. Those words were 'For Oscar Wilde, who poses for the.....' The word I'm replacing with dots could only print in Latin. It was an abominable accusation leveled against the morals of Mr. Wilde who, having the choice between a civil trial and a criminal trial, preferred to seat the Marquess of Queensbery on the benches of the Court of Assizes. Mr. Wilde's evidence tells us that in 1891 he made the acquaintance of Lord Alfred Douglas, son of Lord Queensbery. The latter took a dim view of his son's relations with M. Wilde; but Lord Alfred Douglas remained deaf to paternal remonstrances. Once or twice Mr. Wilde, accompanied by the young man, met the Marquis, who exchanged a few banal words with him, but one day there was a stormy argument between the Marquis and Mr. Wilde.

"I'm not saying you are," said the marquis, "but you look like it and you pretend to be, which is absolutely the same thing."

This happened in June, 1894. In the meantime, a curious incident had occurred. Lord Alfred Douglas had given old clothes to a Mr. Word, who was in need. One day Word came to Mr. Wilde and offered to sell him certain letters addressed to Lord Douglas by him, which the latter had forgotten in the pockets of his old clothes. Mr. Wilde took the letters and gave Word 15 pounds.

Later two other individuals tried to charge £60 for a letter more important in their view than Word's, but Mr. Wilde replied that if anyone was willing to give £60 for one of his letters he would he had only to make the deal, and he refused to give anything.

Some time later, however, the two individuals conditionally returned his letter. This letter, which is, says Mr. Wilde, a sonnet in prose addressed to Lord Alfred Douglas, is worthy, at least in content, if not in form, of certain poets of ancient Greece. There are phrases like this: "Your red lips, like rose leaves, were made no less for poetic song than for the frenzy of kisses." Mr. Wilde has in no way denied having written it. He considers it a work of art.

Questioned by Mr. Carson, Lord Queensbery's lawyer, Mr. Wilde denies having taken an apartment to house Lord A. Douglas, but he must however admit that he had for some time, in London itself, a second home which he had. his young friend lived there for some time. To other questions Mr. Wilde replies with some of his ordinary paradoxes, such as "I have never had adoration except for myself." Or again: "There are people in this world who cannot understand the intense affection that an artist can feel for a marvelous and beautiful being. These are the conditions in which we live today. I'm sorry,” and so on.

Let's wait for the defense; this is what will be most interesting in this sensational trial.

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