HARD LABOUR

Il n'est pas question de chercher une atténuation morale au vice de lèse-humanité qui fut celui d'Oscar Wilde. Mais deux problèmes se posent en présence de l'atrocité du châtiment infligé au complice de Taylor. On peut se demander d'abord si l'écrivain anglais, condamné aujourd'hui au hard labour, fut un être responsable, ou s'il n'a pas été la victime de perversions sexuelles qui ne lui laissaient pas la disposition de son libre arbitre. Dans le cas même où il aurait été le maître absolu de ses actes, il faut examiner si, dans la civilisation moderne, le prétendu droit de punir comporte l'adjonction de la torture.

On ne saurait sans doute affirmer avec certitude que le cas du romancier britannique relève de Sainte-Anne ou de la Salpétrière, et que ce soit exclusivement un malade atteint de l'affection que les docteurs Charcot et Magnan ont appelée l'inversion du sens génital. Une observation médicale suivie pourrait seule faire la lumière à cet égard. Mais les spécialistes qui ont adopté la formule de la responsabilité limitée admettent qu'il peut exister des degrés dans la volonté de l'animal humain — d'autres contestent absolument et en tout état de cause l'existence du libre arbitre — et il résulte de la théorie même des premiers, que la culpabilité peut être fragmentaire, variant d'individu à individu, atténuant la responsabilité de l'accusé.

Mais la loi anglaise, qui n'a guère varié depuis le moyenâge n'a cure de ces nuances. Elle acquitte ou elle condamne sans préoccupation physiologique. Tant pis pour le malade victime d'une hérédité morbide, pour le maniaque qui cotoie seulement le gouffre sans fond de la folie. Il n'ira pas à Bedlam, mais à la maison de force pousser les palettes du tread mill.

Encore un coup, il n'est qu'un praticien pour se prononcer sur le cas particulier d'un homme en possession de la culture intellectuelle d'Oscar Wilde et qui n'a pas seulement pris l'habitude des plaisirs antiphysiques, mais qui trouve une jouissance particulière à vivre habituellement dans la plus vile et la plus basse société. Mais il ne serait pas sans intérêt de rapprocher certaines manifestations littéraires, violemment lyriques, auxquelles l'écrivain anglais s'est abandonné à l'égard de quelques-uns de ses « amis », des observations faites par les médecins aliénistes sur des sujets atteints d'anomalies du sens génital.

Je trouve dans une brochure sur les perversions sexuelles qui a pour auteur un spécialiste éminent dont le nom a déjà été écrit plus haut, le docteur Magnan, un cas d'autant plus curieux que c'est le sujet lui-même, psychopathe érudit, professeur de Faculté, qui rend compte des phénomènes éprouvés par lui.

« Les hommes jeunes, beaux et forts provoquent toujours chez lui une vive émotion ; une belle statue d'homme nu produit le même effet ; l'Apollon du Belvédère lui fait beaucoup d'impression. Quand il rencontre un homme dont la jeunesse et la beauté provoquent sa passion, il est tenté de lui plaire ; s'il donnait libre cours à ses sentiments, il lui ferait toutes les amabilités possibles, l'inviterait chez lui, lui écrirait sur du papier parfumé, lui porterait des fleurs, lui ferait des cadeaux, se priverait de bien des choses pour lui être agréable ». L'homme qui s'analyse ainsi ajoute qu'il parvient à dominer les envies dont il vient de parler, non l'amour lui-même ; mais tout le monde n'a pas la même force de caractère, elle se manifeste d'autant moins vivement que la dégénérescence est plus accentuée. En tout cas, il y a une analogie frappante entre cette envie d'inviter l'Alexis de rencontre, de lui écrire, de lui faire des cadeaux, et les habitudes du Corydon britannique.

Mais tout ceci n'est qu'hypothèse chimérique et rêverie de psychopathe : Oscar Wilde est responsable sans atténuation et sans restriction ; il n'est pas justiciable de l'aliéniste, mais du juge. Il faudrait encore protester contre la peine qui lui est infligée, protester en son nom et au nom de tous ceux qui sont condamnés au supplice du hard labour.

On a décrit cette gehenne. Tout y a été combiné pour la torture physique et morale. Un condamné, enfermé dans une cellule, doit se suspendre par les mains à des anneaux qui se balancent au-dessus de sa tête, et faire marcher avec ses pieds les palettes qui mettent en action la roue du moulin de discipline. Un coup de fouet le rappelle à l'ordre s'il ne va pas assez vite. Et dans le cas où il refuserait la dure besogne, le cat of nine tails, « le chat à neuf queues », qui enlève la peau à chaque coup de griffe, lui enseignerait l'obéissance.

Cette peine du hard labour est tellement atroce que le condamné n'y est astreint que trois heures par jour. Encore, y a-t-il des entr'actes, et la mise en action pendant dix minutes du tread mill est coupée par cinq minutes de repos. Mais on a soin de peser périodiquement le condamné, car il faut qu'il maigrisse — la déperditipn de forces et de poids fait partie du châtiment — et s'il ne s'anémie pas assez vite, on augmente la dose.

Ce n'est pas tout, il faut encore que le condamné travaille à transformer en étoupe de vieux cordages abandonnés par la marine. Cette besogne, ou bout d'une journée, lui arrache la peau, fait couler le sang. On le panse, on le cautérise, puis il recommence. Le maximum de la peine du head labour, subie en cellule, sans que le condamné puisse voir ni un codétenu, ni un parent, est de deux ans. C'est l'expérience qui a fixé cette limite. La nature humaine ayant été reconnue impuissante à dépasser ce délai.

On reconnaît aujourd'hui que la faculté de punir consiste uniquement dans le droit de défense nécessaire à la conservation de la société ! L'homme n'a pas licence de correction sur l'homme ; sa sécurité est la limite de son droit. Il n'est pas admissible qu'au dix-neuvième siècle une nation comme l'Angleterre conserve d'odieuses coutumes qui sont comme un legs oublié du moyen âge. Il faut que la condamnation d'Oscar Wilde, qui les met en lumière, ait pour résultat de les faire définitivement disparaître.

LÉON MILLOT.

HARD TILLAGE

There is no question of seeking a moral attenuation of the vice of lese-humanity which was that of Oscar Wilde. But two problems arise in the face of the atrocity of the punishment inflicted on Taylor's accomplice. One can first wonder if the English writer, condemned today to hard labour, was a responsible being, or if he was not the victim of sexual perversions which did not leave him the disposal of his free time. arbitrator. Even if he had been the absolute master of his actions, we must examine whether, in modern civilization, the alleged right to punish includes the addition of torture.

We can probably not say with certainty that the case of the British novelist comes from Sainte-Anne or the Salpetriere, and that it is exclusively a patient suffering from the affection that doctors Charcot and Magnan called the inversion of the genital direction. . Follow-up medical observation alone could shed light on this point. But the specialists who have adopted the formula of limited liability admit that there may be degrees in the will of the human animal—others absolutely and in any case contest the existence of free will—and it follows from the very theory of the former, that guilt can be fragmentary, varying from individual to individual, mitigating the responsibility of the accused.

But English law, which has hardly changed since the Middle Ages, pays no heed to these nuances. She either acquits or condemns without physiological concern. So much the worse for the sick victim of a morbid heredity, for the maniac who only rubs shoulders with the bottomless abyss of madness. He will not go to Bedlam, but to the house by force to push the pallets of the treadmill.

Once again, he is only a practitioner to pronounce on the particular case of a man in possession of the intellectual culture of Oscar Wilde and who has not only become accustomed to antiphysical pleasures, but who finds particular enjoyment in living habitually in the lowest and lowest society. But it would not be without interest to compare certain literary manifestations, violently lyrical, to which the English writer abandoned himself with regard to some of his "friends", observations made by the alienist doctors on subjects affected abnormalities of the genital sense.

I find in a brochure on sexual perversions whose author is an eminent specialist whose name has already been written above, Doctor Magnan, a case all the more curious as it is the subject himself, an erudite psychopath, professor of the Faculty, who gives an account of the phenomena experienced by him.

“Young, handsome, strong men always arouse deep emotion in him; a beautiful statue of a naked man produces the same effect; the Apollo Belvedere made a great impression on him. When he meets a man whose youth and beauty arouse his passion, he is tempted to please him; if he gave free rein to his feelings, he would do him all possible courtesies, invite him to his home, write to him on perfumed paper, bring him flowers, give him presents, deprive himself of many things to be pleasant ". The man who analyzes himself thus adds that he succeeds in dominating the desires of which he has just spoken, not love itself; but not everyone has the same strength of character, it manifests itself less vividly as the degeneration is more accentuated. In any case, there is a striking analogy between this desire to invite Alexis to meet, to write to him, to give him presents, and the habits of the British Corydon.

But all this is only chimerical hypothesis and reverie of psychopath: Oscar Wilde is responsible without attenuation and without restriction; he is not justiciable by the alienist, but by the judge. It would still be necessary to protest against the penalty inflicted on him, to protest in his name and in the name of all those who are condemned to the torture of hard ploughing.

This Gehenna has been described. Everything was combined there for physical and moral torture. A condemned man, locked up in a cell, must suspend himself by the hands from rings which swing above his head, and operate with his feet the paddles which activate the wheel of the mill of discipline. A whiplash calls him to order if he is not going fast enough. And if he refused the hard work, the cat of nine tails, which removes the skin with each claw stroke, would teach him obedience.

This punishment of hard labor is so atrocious that the condemned person is compelled to it only three hours a day. Again, there are intermissions, and the running of the treadmill for ten minutes is interrupted by five minutes of rest. But care is taken to weigh the condemned person periodically, for he must lose weight — the loss of strength and weight is part of the punishment — and if he does not become anemic quickly enough, the dose is increased.

That's not all, the condemned man still has to work to transform old ropes abandoned by the navy into tow. This task, or the end of a day, tears his skin, makes the blood flow. We bandage it, we cauterize it, then it starts again. The maximum sentence of head labour, served in a cell, without the condemned being able to see either a fellow prisoner or a relative, is two years. It is experience that has set this limit. Human nature having been recognized as powerless to exceed this time limit.

It is recognized today that the ability to punish consists solely in the right of defense necessary for the preservation of society! The man has no license to correct on the man; his security is the limit of his right. It is inadmissible that in the nineteenth century a nation like England should preserve odious customs which are like a forgotten legacy of the Middle Ages. The condemnation of Oscar Wilde, which brings them to light, must result in their definitive disappearance.

LEON MILLOT.

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