VERTUS ANGLAISES

Partout ailleurs, le procès qui est en train de se dérouler à la Cour criminelle de Londres et dans lequel le poète Oscar Wilde, par une interversion inattendue des rôles, s'est vu tout à coup transformer en accusé, d'accusateur qu'il était, serait aussi profondément triste que répugnant ; et il n'y aurait qu'à jeter bien vite un voile sur les scènes écœurantes auxquelles les débats nous ont fait assister, heureusement de loin.

Mais, venant de la pudique Albion, l'écho de ces scandales a quelque chose de particulièrement réjouissant pour des oreilles françaises ; et le relent de ces ordures fleure pour nous comme un parfum de vengeance. Il est toujours amusant de voir un pharisien démasqué, et Tartufe pris à son propre piège est un spectacle de haute gaieté.

Or, on sait que l'Angleterre, à l'entendre, a le monopole de toutes les vertus. Tous les hommes y sont des modèles de continence ; toutes les femmes y sont des Lucrèce — pas Borgia. Nous ne parlons pas de la tempérance, si répandue de l'autre côté du détroit qu'on l'a mise en sociétés.

En revanche, le peuple français est pourri jusqu'aux moëlles. On irait de Dunkerque à Marseille sans rencontrer une femme fidèle à son mari. Tous les vices ont élu domicile chez nous, avec des raffinements inconnus dans les autres pays, à telles enseignes que, lorsqu'en Angleterre on veut parler de quelque perversion particulièrement immonde, on la classe sous la rubrique « vices français » : cela dit tout.

Quant à Paris, c'est un lieu commun de le qualifier de sentine, et depuis la miss aux joues rosées, fleur d'innocence, jusqu'au grave pasteur, tabernacle de toutes les austérités, tout le monde vous dira que Paris résume à lui seul les débauches de Babylone, les turpitudes de Lesbos, et les ignominies de Sodome. Et on conclut en appelant le feu du ciel sur nos têtes.

Si le feu du ciel sait son métier, il fera bien de commencer par faire un petit tour chez nos vertueux voisins, avant de venir chez nous. Les débats du procès Oscar Wilde semblent, en effet, indiquer qu'ils ont un plus pressant besoin que nous d'une purification.

Et encore ne sommes-nous pas au bout des révélations qu'il nous ménage. On parle, en effet, de grands personnages compromis ; le nom du premier ministre a été jeté tout à coup dans les débats avec des insinuations fâcheuses pour la correction de ses mœurs. Et sans parler même des surprises retentissantes que nous réserve la suite du procès, l'avocat d'Oscar Wilde, ce défenseur attitré et gratuit de toutes les affaires de cette nature — ou plutôt de cette contre-nature — et le comte Russel, un de ses clients dont on a évoqué le souvenir à cette occasion et contre lequel sa femme avait naguère porté une accusation du même genre, apparaissent comme de jolis specimens du barreau et de l'aristocratie britanniques.

Avec les deux fils du marquis de Oueensberry, Oscar Wilde lui-même, poète et auteur dramatique apprécié, et la queue de jeunes gens à tout faire et à tout se laisser faire, de professions diverses, que cet amateur de rimes masculines traînait à sa suite, cela fait une collection où toutes les classes de la société anglaise sont avantageusement représentées.

Il est fâcheux néanmoins que les indignations intempestives d'un père qui ne comprend rien à Platon soient venues troubler les jeux innocents de cet aimable cénacle, qui avait trouvé le moyen, en plein dix-neuvième siècle, de faire revivre dans toute leur suavité pénétrante, les idylles virgiliennes.

Cet empêcheur de s'amuser en rond aurait bien pu continuer à laisser ses fils — et les autres — goûter les douceurs du porte-cigarettes symbolique. Il aurait épargné ainsi à ses concitoyens le désagrément de révélations qui les montrent dans une posture sans doute pleine de charmes, mais à laquelle tout le monde n'est pas suffisamment habitué.

Voilà maintenant nos moralistes anglais fort embarrassés pour tonner contre la corruption francaise. Il sera trop facile de leur répondre comme au renard de la fable : Retournez-vous un peu. Peut-être, après tout, que cette réponse ne sera pas pour leur déplaire. Malheureusement chez nous, ils risquent fort de n'en avoir que les ennuis sans les agréments.

Nous avons, en effet, cette infirmité, en France, d'être des gens tout de premier mouvement et les arguments a posteriori ont peu de prise sur notre imagination. Nous n'avons pas l'habitude de tourner le dos à nos amis et notre proverbiale facilité à nous retourner sait se renfermer dans les limites que nous trace la nature.

Nous aimons les femmes, et les femmes nous le rendent parfois, pas autant toujours que nous le voudrions. C'est là, évidemment, un indice de démoralisation. Mais il y a apparence que nous ne sommes pas sur le point de nous guérir de ce vice pour pratiquer les vertus, dont Oscar Wilde prétend qu'il n'y a que les gens à l'esprit obtus pour ne pas les comprendre.

Il nous déplairait infiniment même de ne pas être obtus à ce point de vue, et la « Terre promise » n'a rien de commun pour nous avec la terre jaune.

Nous laissons cela à l'Angleterre avec ses petits jeunes gens et ses pudeurs ; nous gardons notre amour des sentiers battus, notre corruption et nos hétaïres, comme on dit à Londres, entre pasteurs protestants.

ENGLISH VIRTUES

Everywhere else, the trial which is taking place in the Criminal Court of London and in which the poet Oscar Wilde, by an unexpected inversion of roles, has suddenly seen himself transformed into an accused, from an accuser whom he was, would be as profoundly sad as it was repugnant; and one would only have to quickly throw a veil over the disgusting scenes which the debates have made us witness, fortunately from afar.

But, coming from modest Albion, the echo of these scandals has something particularly pleasing for French ears; and the smell of this garbage smells for us like a perfume of revenge. It is always amusing to see a Pharisee unmasked, and Tartufe caught in his own trap is a spectacle of high gaiety.

Now, we know that England, to hear it, has the monopoly of all virtues. All the men there are models of continence; all the women there are Lucretia—not Borgia. We are not talking about temperance, so widespread on the other side of the strait that it has been socialized.

On the other hand, the French people are rotten to the core. One would go from Dunkirk to Marseilles without meeting a woman faithful to her husband. All the vices have taken up residence here, with refinements unknown in other countries, to such an extent that, when in England we want to talk about some particularly filthy perversion, we classify it under the heading "French vices": that says it all. .

As for Paris, it is commonplace to call it a sinkhole, and from the rosy-cheeked Miss, flower of innocence, to the grave pastor, tabernacle of all austerities, everyone will tell you that Paris sums up to he alone the debaucheries of Babylon, the turpitudes of Lesbos, and the ignominies of Sodom. And we conclude by calling fire from heaven on our heads.

If the fire from heaven knows its trade, it would do well to begin by taking a short tour of our virtuous neighbors before coming to ours. The proceedings of the Oscar Wilde trial seem, in fact, to indicate that they have a more pressing need than we do for a purification.

And yet we are not at the end of the revelations he spares us. We speak, in fact, of great compromised personages; the name of the Prime Minister was suddenly thrown into the debates with annoying insinuations for the correction of his morals. And without even mentioning the resounding surprises that the rest of the trial has in store for us, Oscar Wilde's lawyer, this appointed and free defender of all cases of this nature - or rather of this unnatural - and Count Russel, a of his clients, whose memory has been evoked on this occasion and against whom his wife had once brought a similar accusation, appear as pretty specimens of the British bar and aristocracy.

With the two sons of the Marquis de Oueensberry, Oscar Wilde himself, an acclaimed poet and playwright, and the line of young people who could do anything and let themselves be done, of various professions, that this lover of masculine rhymes dragged to his Consequently, this makes a collection in which all classes of English society are advantageously represented.

It is regrettable, however, that the untimely indignation of a father who understands nothing of Plato has come to disturb the innocent games of this pleasant cenacle, which had found the means, in the middle of the nineteenth century, to revive in all their penetrating sweetness , the Virgilian idylls.

This hamper of fun in circles could well have continued to let his sons - and the others - taste the sweetness of the symbolic cigarette holder. He would thus have spared his fellow citizens the inconvenience of revelations which show them in a position that is no doubt full of charms, but to which everyone is not sufficiently accustomed.

Now our English moralists are very embarrassed to thunder against French corruption. It will be too easy to answer them like the fox in the fable: Turn around a little. Perhaps, after all, this answer will not displease them. Unfortunately with us, they are very likely to have only the troubles without the amenities.

We have, in fact, this infirmity, in France, of being people of the first movement and the arguments a posteriori have little hold on our imagination. We are not used to turning our backs on our friends and our proverbial ability to turn around knows how to confine itself within the limits that nature draws for us.

We love women, and women reciprocate sometimes, not always as much as we would like. This is, of course, an index of demoralization. But it appears that we are not on the point of curing ourselves of this vice to practice the virtues, which Oscar Wilde claims only dull-minded people do not understand.

We would even be very unhappy if we were not obtuse from this point of view, and the "Promised Land" has nothing in common for us with the yellow earth.

We leave that to England with its little young people and its modesty; we keep our love of the beaten track, our corruption and our hetaerae, as they say in London, between Protestant pastors.

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