CHRONIQUE
EPIDEMIES MORALES

Je n'eusse pas parlé de ce suicide d'un pauvre cabotin de Trianon-Concert qui s’est laudanisé — comme un simple cataplasme — pour les beaux yeux de sa camarade Mistinguette, si quelqu’un de mes confrères, moins discret, ou ignorant sans doute les raisons de tamile qu’avaient fait valoir les parents, n’eût ébruité et dramatisé les faits.

Il y a lieu, toutefois, de ramener les choses au point. On peut comparer ce suicide à celui de Chrétien pour la belle Otéro — Oscar Wilde comparait bien son amour à celai de Platon — mais si même « parva licet componere magnis », il faut autant que possible se tenir dans la vérité. Or, ce jeune artiste lyrique, puisque c’est ainsi, paraît-il, que se doivent nommer les chanteurs de cafés concerts, avait une façon à lui de faire pénétrer l'amour au sein de son idole. Il ne se contentait pas de rosser à coups de canne l'amant de... cœur en pied et en titres de sa maîtresse d’autrefois, mais il ajoutait quelques tours de bâton supplémentaires à ceux qu’elle pouvait espérer de son nouveau conquérant. D’autant que Mistinguette, l’étoile.. Polaire — et, comme telle, plutôt de 69 grandeur — ne tenait pas à déprécier sa marchandise et aimait mieux recevoir des coups que de rendre ou de donner ça, ma chère. Vertu, tu n’es pas qu’un mot. Si bien qu’un beau matin notre jeune écervelé, après une dernière tentative agrémentée ou non — à la volonté du donneur — de bastonnade, apprit par le journal qu’un certain Chrétien, qui ne l’était guère, venait de se suicider pour sa belle et illico, voyant sans doute en lui une âme sœur en démence, il s’endormit du sommeil du.. laudanum, s’étant muni, par mesure de précaution, d’un réchaud.

Il n’y aurait dans toute cette histoire rien que de très banal, étant donnée la facilité avec laquelle on se doute la mort aujourd’hui, si nous ne croyions voir là un argument de plus en faveur d’une thèse qui nous est chère, a savoir l’action des é énemeuts l’un sur l'autre, l’épidémie morale, en un mot, aussi indéniable que l’épidémie pathologique.

Chaque fait, si minime soit-il, a son retentissement dans l’univers entier. La contagion existe dans le mal comme dans le bien et, en matière passionnelle principalement, les exemples surabondent qui prouvent qu’un fou ne commet jamais seul une folie.

Il y a quelques années, la mode et aux vitriolasses Femmes trompées ou délaissées ne trouvaient rien d’aussi raffiné pour prouver leur amour, que de jeter un verre d’acide sulfurique concentré aux yeux de leur idole. Par une semblable épidémie de générosité à côté, les juges se laissaient aller à punir très légèrement ou même à acquitter simplement la mégère qui s’était livrée à cet acte de sauvagerie.

L’an dernier, la statistique des suicides regorge d’asphyxies par le charbon. Les jeunes tiens qui s'aimaient sans pouvoir s’unir, ceux dont l'amour n’était pas partagé ou l’était par d’autres, allumaient leur réchaud et, après l petite épître sentimentale qui est de rigueur eu la circonstance, s'en allaient dans le grand trou voir s’il n'y aurait pas moyen de moyenner un peu plus facilement.

Il y a un mois, le revolver faisait rage et l'ou nut pendant plus de dix jours noter un drame passionnel, j’allais écrire un crime passionnel. Et de fait, la caractéristique de cette série à la rouge dont fit partie Médinger, le coureur — qui l’était trop — est que l’amant dégoûté de la vie ou do l’amour en profitait pour supprimer à l’autre, sans autorisation, sa part d’existence.

En ce moment, nous sommes revenus — le gros du printemps est passé — à des moeurs moins sanglantes mais non moins démoniaques. La sérié est à la noire. Les désespérés, les désenamourés, les énervés et les déments se suicident mais laissent vivre en paix l’objet de leur flamme. Il y a du progrès.

Le curieux, et c’est sur co point que nous avons voulu insister, c’est que chaque époque a sa manière de se tuer ou de tuer les autres et qu’il y a bien là eu réalité des épidémies morales n’affectant pas les gens sains d’esprit, mais pouvant chez les déséquilibrés, chez les détraqués, se grouper en séries.

Il en va de même pour tout. Une bonne action crée des imitateurs — moins qu’une mauvaise peut-être. La barbarie des courses de taureaux, la vue du sang, éveillent pareillement les instincts féroces innés au cœur de l’homme. H y a solidarité dans les événements. Mal ou bien tout est photographié dans l'univers et incite de l'un on de l’autre côté les diverses individualités.

Vous verrez qu’Otero et Misiinguette ne seront pas seules à avoir leur cadavre. La série n’est qu’au début.

Rabelais a donné la mesure exacte de ce qu’est l’humanité quand il a parlé des moutons de Panurge.

CHRONIC
MORAL EPIDEMICS

I would not have spoken of this suicide of a poor actor from Trianon-Concert who laudanized himself — like a simple poultice — for the beautiful eyes of his comrade Mistinguette, if one of my colleagues, less discreet, or probably ignorant of the Tamil reasons that the parents had put forward, would not have spread and dramatized the facts.

However, it is necessary to bring things back to the point. One can compare this suicide to that of Chretien for the beautiful Otero—Oscar Wilde did compare his love to that of Plato—but even if "parva licet componere magnis," one must stick to the truth as much as possible. Now, this young lyrical artist, since it is thus, it seems, that the singers of café concerts should be called, had a way of his own of making love penetrate the bosom of his idol. He wasn't content with caning the lover of... heart in foot and in titles of his former mistress, but he added a few more turns of the stick to those she could expect from her new conqueror. . Especially since Mistinguette, the polar star—and, as such, rather of 69 greatness—didn't want to depreciate his merchandise and preferred to receive blows than give or give back, my dear. Virtue, you are not just a word. So much so that one fine morning our young scatterbrain, after a last attempt, with or without embellishment - at the will of the donor - of beating, learned from the newspaper that a certain Christian, who was hardly such a man, had just committed suicide for his beautiful and illico, no doubt seeing in him a soul mate in dementia, he fell asleep the sleep of.. laudanum, having provided himself, as a precautionary measure, with a stove.

There would be in all this story nothing but very banal, given the ease with which one suspects death today, if we did not believe to see there one more argument in favor of a thesis which is dear to us. , namely the action of the e eneuts one on the other, the moral epidemic, in a word, as undeniable as the pathological epidemic.

Each fact, however small, has its repercussions throughout the entire universe. Contagion exists in evil as well as in good, and, principally in matters of passion, examples abound which prove that a madman never commits madness alone.

A few years ago, fashionable and vitriolic women Deceived or neglected found nothing so refined to prove their love as throwing a glass of concentrated sulfuric acid in the eyes of their idol. By a similar epidemic of generosity on the side, the judges indulged in punishing very lightly or even simply acquitting the hag who had indulged in this act of savagery.

Last year, the statistics of suicides abound with asphyxiations by coal. The young people who loved each other without being able to unite, those whose love was not shared or was shared by others, lit their stove and, after the little sentimental epistle which is de rigueur in the circumstances, went into the big hole to see if there wouldn't be a way of averaging a little more easily.

A month ago, the revolver was raging and I could not write down a drama of passion for more than ten days, I was going to write a crime of passion. And in fact, the characteristic of this series à la rouge of which Médinger, the runner was a part - who was too much - is that the lover, disgusted with life or love, took advantage of it to suppress the other, without authorization, its part of existence.

At this moment we have returned—the bulk of spring has passed—to less bloody but no less demonic mores. The series is black. The desperate, the disenchanted, the angry and the insane commit suicide but let the object of their flame live in peace. There is progress.

The curious thing, and it is on this point that we wanted to insist, is that each era has its way of killing itself or killing others and that there have indeed been moral epidemics that do not affect people of sound mind, but able in the unbalanced, in the deranged, to group themselves in series.

The same goes for everything. A good deed creates imitators—less so than a bad one perhaps. The barbarity of bullfights, the sight of blood, alike awaken the fierce instincts innate in the heart of man. There is solidarity in events. Badly or else everything is photographed in the universe and encourages the various individualities from one side to the other.

You will see that Otero and Misiinguette will not be the only ones with their corpses. The series is only at the beginning.

Rabelais gave the exact measure of what humanity is when he spoke of Panurge's sheep.

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