CHOSES DOULOUREUSES

Il est arrivé d’Angleterre une triste nouvelle. Oscar Wilde serait sur le point de mourir, tué par la fatigue du hard labour. Des cœurs généreux se sont émus en France, et l’on a rédigé une pétition qui, au nom de l’Art et de l’Humanité, supplie la reine Victoria de gracier le poète presque moribond.

Il est arrivé d’Angleterre une triste nouvelle. Oscar Wilde serait sur le point de mourir, tué par la fatigue du hard labour. Dos cœurs généreux se sont émus en France, et l’on a rédigé une pétition qui, au nom de l’Art et de l’Humanité, supplie la reine Victoria de gracier le poète presque moribond.

Certes, le sort présent d’Oscar Wilde est digne de pitié. La torture n’a point disparu de l’Europe. En Angleterre, elle s’appelle hard labour. Elle s’est perfectionnée depuis le moyen âge. Elle use des progrès de la mécanique. Au lieu de mourir en huit jours, le sujet meurt en huit mois ; et la civilisation n’a peut-être pas dit son dernier mot.

Certes, le sort présent d’Oscar Wilde est digne de pitié. La torture n’a point disparu de l’Europe. En Angleterre, elle s’appelle hard labour. Elle s’est perfectionnée depuis le moyen âge. Elle use des progrès de la mécanique. Au lieu de mourir en huit jours, le sujet meurt en huit mois ; et la civilisation n’a peut-être pas dit son dernier mot.

Pour un misérable quelconque, préparé à toutes les duretés par les rudesses quotidiennes d’une vie de travail manuel, le hard labour est un supplice affreux ; que doit-il être pour Oscar Wilde, le dandy ?

Pour un misérable quelconque, préparé à toutes les duretés parles rudesses quotidiennes d’une vie de travail manuel, le hard labour est un supplice affreux ; que doit-il être pour Oscar Wilde, le dandy ?

Pauvre esthète ! quand sa chair gémit sous la douleur, il faut encore que son âme se lamente sur l’honneur perdu et la gloire éteinte. Nouvelle infortune : dernièrement, on l’a tiré un instant de sa prison pour lui apprendre qu’il était ruiné.

Pauvre esthète ! quand sa chair gémit sous la douleur, il faut encore que son âme se lamente sur l’honneur perdu et la gloire éteinte. Nouvelle infortune : dernièrement, on l’a tiré un instant de sa prison pour lui apprendre qu’il était ruiné.

Et cet homme est un névrosé, un hyperesthésique. (Qui a lu ses œuvres, qui a suivi son procès, n’en saurait douter.) Sa faculté de souffrir est donc plus grande que celle des autres. Etre normalement sensible au malheur et devenir la proie d’un malheur anormal : quelle atroce destinée !

Et cet homme est un névrosé, un hyperesthésique. (Qui a lu ses œuvres, qui a suivi son procès, n’en saurait douter.) Sa faculté de souffrir est donc plus grande que celle des autres. Etre normalement sensible au malheur et devenir la proie d’un malheur anormal : quelle atroce destinée !

Ocar Wilde résistera-t-il à un sort aussi cruel ? Vivra-t-il assez longtemps pour être libre de nouveau, pour essayer de voiler sa honte sous l’éclat de ses travaux ?

Oscar Wilde résistera-l-il à un sort aussi cruel ? Vivra-t-il assez longtemps pour être libre de nouveau, pour essayer de voiler sa honte sous l'éclat de ses travaux ?

L’esthète a déjà produit de fort belles choses. Le Portrait de Dorian Gray est capable de faire réfléchir les plus subtils et d’apprendre des sensations aux plus raffinés. On y trouve les indices d’une étrange et puissante personnalité. On y rencontre des phrases, des mots, qui éblouissent délicieusement l’intelligence ou qui, dans le cœur, font vibrer tout d’un coup les fibres les mieux cachées.

L’esthète a déjà produit de fort belles choses. Le Portrait de Dorian Gray est capable de faire réfléchir les plus subtils et d’apprendre des sensations aux plus raffinés. On y trouve les indices d’une étrange et puissante personnalité. On y rencontre des phrases, des mots, qui éblouissent délicieusement l’intelligence ou qui, dans le cœur, font vibrer tout d’un coup les fibres les mieux cachées.

Toutefois nous pensons qu’il n’y avait pas lieu de rédiger la pétition dont nous ayons parlé.

Toutefois nous pensons qu’il n’y avait pas lieu de rédiger la pétition dont nous avons parlé.

Vous demandez la grâce d’Oscar Wilde au nom de l’Humanité : c’est que vous jugez le hard labour inhumain. Si vous trouvez cette peine tellement odieuse, pourquoi n’avoir point pétitionné contre elle auparavant ? Vous attendiez, peut-être, qu’elle fît une grande victime ; mais c’était oublier qu’en matière d’humanité, toute victime est grande. Peut-être, voulez-vous saisir cette occasion de commencer l’attaque d’une abominable coutume ? Eh bien ! l’occasion est mauvaise. La grâce d’Oscar Wilde constituerait une faute grave de la part du gouvernement anglais. La maladie criminelle de l’esthète devenait épidémique à Londres ; on l’a soignée violemment : on a bien fait.

Vous demandez la grâce d’Oscar Wilde au nom de l’Humanité : c’est que vous jugez le haro labour inhumain. Si vous trouvez cette peine tellement odieuse, pourquoi n’avoir point pétitionné contre elle auparavant ? Vous attendiez, peut-être, qu’elle lit une grande victime ; mais c’était oublier qu’en matière d’humanité, toute victime est grande. Peut-être, voulez-vous saisir cette occasion de commencer l’attaque d’une abominable coutume ? Eh bien ! l’occasion est mauvaise. La grâce d’Oscar Wilde constituerait une faute grave de la part du gouvernement anglais. La maladie criminelle de l’esthète devenait épidémique à Londres; on l’a soignée violemment : on a bien fait.

Nous ne répéterons pas ce que les moralistes ont dit sur les conséquences terribles que la pratique généralisée d’une distraction chère à l’aristocratie anglaise aurait pour la société ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer avec horreur que la propagation de l’ignoble manie d’Oscar Wilde troublerait mortellement les affections les plus douces et les plus belles : les amitiés entre hommes.

Nous ne répéterons pas ce que les moralistes ont dit sur les conséquences terribles que la pratique généralisée d’une distraction chère à l’aristocratie anglaise aurait pour la société ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer avec horreur que la propagation de l'ignoble manie d’Oscar Wilde troublerait mortellement les affections les plus douces et les plus belles : les amitiés entre hommes.

Partisan convaincu de l’abolition de la peine de mort, nous aurions jugé maladroit de soutenir notre opinion au moment du procès d’Emile Henry ; révolté qu’un peuple soi-disant civilisé accepte le maintien du hard labour, nous trouvons inopportun d’en demander la suppression à propos du criminel esthète.

Partisan convaincu de l’abolition de la peine de mort, nous aurions jugé maladroit de soutenir notre opinion au moment du procès d’Emile Henry ; révolté qu’un peuple soi-disant civilisé accepte le maintien du hard labour, nous trouvons inopportun d’en demander la suppression à propos du criminel esthète.

Mais peu vous importe actuellement le hard labour : ce que vous sollicitez, c’est la grâce d’Oscar Wilde et rien de plus. Le même supplice qui vous fait pousser des clameurs de pitié quand il est infligé à l’esthète, vous laisse muets s’il torture un autre misérable.

Mais peu vous importe actuellement le hard labour : ce que vous sollicitez, c’est la grâce d’Oscar Wilde et rien de plus. Le même supplice qui vous fait pousser des clameurs de pitié quand il est infligé à l’esthète, vous laisse muets s’il torture un autre misérable.

Pourquoi cela ?

Certains prisonniers souffrent moralement et physiquement tout autant qu’Oscar Wilde. Les douleurs de l’esthète sont augmentées par la sensiblerie excessive et son esprit d’analyse; mais quelques-uns de ses compagnons d’infortune peuvent lui ressembler sous ce rapport : avec le don du verbe, ils auraient, comme lui, produit des œuvres remarquables.

Certains prisonniers soufrent moralement et physiquement tout autant qu'Oscar Wilde. Les douleurs de l’esthète sont augmentées par la sensiblerie excessive et son esprit d’analyse; mais quelques-uns de ses compagnons d’infortune peuvent lui ressembler sous ce rapport : avec le don du verbe, ils auraient, comme lui, produit des œuvres remarquables.

Vous dites que le malheureux est tombé de très haut, qu’il était le dieu de la plus délicate société. Puisque l’esthète possédait une telle influence, puisqu’il voyait tant de regards admirativement dirigés vers lui, il avait mille raisons de plus pour se refuser à l’ignominie qui l’a perdu. Le mal que fait à Oscar Wilde le souvenir de son bonheur passé, reste le juste châtiment de cette grande faute: s’être complu à de semblables turpitudes, quand sa place dans le monde intellectuel lui ordonnait d’avoir une vie si haute.

Vous dites que le malheureux est tombé de très haut, qu’il était le dieu de la plus délicate société. Puisque l’esthète possédait une telle influence, puisqu’il voyait tant de regards admirativement dirigés vers lui, il avait mille raisons de plus pour se refuser à l’ignominie qui l’a perdu. Le mal que fait à Oscar Wilde le souvenir de son bonheur passé, reste le juste châtiment de cette grande faute: s’être complu à de semblables turpitudes, quand sa place dans le monde intellectuel lui ordonnait d’avoir une vie si haute.

Joseph Charrier.

PAINFUL THINGS

Sad news has arrived from England. Oscar Wilde would be on the verge of death, killed by the fatigue of hard plowing. Generous hearts were moved in France, and a petition was drawn up which, in the name of Art and Humanity, begged Queen Victoria to pardon the almost dying poet.

Certainly, the present fate of Oscar Wilde is worthy of pity. Torture has not disappeared from Europe. In England it is called hard labour. It has been perfected since the Middle Ages. It uses advances in mechanics. Instead of dying in eight days, the subject dies in eight months; and civilization may not have said its last word.

For any wretch, prepared for all hardships by the daily harshness of a life of manual labor, hard plowing is a terrible torture; what must he be for Oscar Wilde, the dandy?

Poor esthete! when his flesh groans under pain, his soul must still mourn over lost honor and extinguished glory. New misfortune: recently, he was taken out of his prison for a moment to tell him that he was ruined.

And this man is a neurotic, a hyperesthetic. (Who has read his works, who has followed his trial, cannot doubt it.) His faculty of suffering is therefore greater than that of others. To be normally sensitive to misfortune and to fall prey to abnormal misfortune: what an atrocious destiny!

Will Ocar Wilde resist such a cruel fate? Will he live long enough to be free again, to try to veil his shame under the brilliance of his labors?

The esthete has already produced some very beautiful things. The Portrait of Dorian Gray is capable of making the most subtle think and teach sensations to the most refined. There are hints of a strange and powerful personality. We encounter there phrases, words, which deliciously dazzle the intelligence or which, in the heart, suddenly make the most hidden fibers vibrate.

However, we think that there was no need to write the petition we have spoken about.

You ask for the pardon of Oscar Wilde in the name of Humanity: it is because you consider hard labor inhuman. If you find this punishment so odious, why didn't you petition against it before? You expected, perhaps, that she would make a great victim; but that was to forget that in matters of humanity, every victim is great. Perhaps, do you want to take this opportunity to begin the attack on an abominable custom? Well ! the opportunity is bad. The pardon of Oscar Wilde would constitute a serious fault on the part of the English government. The criminal illness of the esthete was becoming epidemic in London; we took care of her violently: we did well.

We will not repeat what the moralists have said about the terrible consequences that the generalized practice of a distraction dear to the English aristocracy would have for society; but we cannot help noticing with horror that the propagation of the ignoble mania of Oscar Wilde would mortally disturb the sweetest and most beautiful affections: friendships between men.

A convinced supporter of the abolition of the death penalty, we would have deemed it awkward to support our opinion at the time of the trial of Emile Henry; revolted that a so-called civilized people accepts the maintenance of hard labor, we find it inopportune to ask for its suppression in connection with the criminal aesthete.

But little does hard labor matter to you now: what you seek is Oscar Wilde's grace and nothing more. The same torture that makes you cry out for pity when it is inflicted on an aesthete, leaves you speechless if it tortures another wretch.

Why that ?

Some prisoners suffer morally and physically just as much as Oscar Wilde. The aesthete's pains are increased by excessive sentimentality and his analytical mind; but some of his companions in misfortune may resemble him in this respect: with the gift of words, they would, like him, have produced remarkable works.

You say that the unfortunate fell from a great height, that he was the god of the most delicate society. Since the aesthete possessed such influence, since he saw so many admiring glances directed towards him, he had a thousand more reasons for refusing the ignominy that has ruined him. The harm done to Oscar Wilde by the memory of his past happiness remains the just punishment for this great fault: to have taken pleasure in such turpitudes, when his place in the intellectual world ordered him to have such a lofty life.

Joseph Charlier.