CHRONIQUE A PROPOS D’OSCAR WILDE

Un cri de pitié pour Oscar Wilde, de colère contre la dure loi anglaise, s’élève dans nos journaux. Et comme ici, je veux dire de ce côté-ci du détroit, on n'aime guère l’Anglais — peut-on aimer ce qu’on ignore — le cri s’achève en une déclamation, la déclamation classique, contre l’hypocrisie britannique.

Le cri, je m’y associe volontiers. Oui, je plains de tout mon cœur le malheureux artiste de lettres, bien moins pour l’horrible châtiment qui le frappe que pour la honte publique que la divulgation de son vice lui attire. Ce vice qui a inspiré à Rousseau une page d’une si magistrale éloquence est une injure à l’amour autant qu’à la nature.

Moïse, dans le désert, frappa de mort ceux qui s’y livraient ; Mahomet, dans le Coran, ordonne le même châtiment. C’est le vice des brutes et des raffinés ; des brutes, parce que la nature exige satisfaction et qu’elles n'ont pas la force de résister à son exigence ; des raffinés, parce qu’ils ont épuisé toutes les sensations de l’amour physique et que leurs sens hypersthésiés réclament de nouveaux et inédits assouvissements. Parmi les brutes qui se satisfont par l’amour antiphysique, on compte des forçats et des frères ignorantes ; parmi les raffinés, on compte des magistrats et, hélas! des artistes.

Malgré Mahomet, les Orientaux ont une triste réputation. Je voudrais bien faire plaisir à M. Drumont et constater la même tare chez les juifs ; mais rien, dans les statistiques, n'indique qu'en Occident ils soient, sous ce rapport, plus immoraux que le reste de la population. Je ne blâme pas Moïse et Mahomet de leur sévérité. Je sais trop que la loi pénale est chose toute relative. Plus un crime est fréquent, plus il importe, d’autre part, que la loi par ses sévérités l’empêche de devenir prédominant au point de compromettre l'existence de la société. C’est ainsi que dans l’ouest américain on abat à coups de revolver des voleurs de bestiaux qui en France s’en tireraient avec trois mois de prison. Et, d’ailleurs, Moïse et Mahomet se moqueraient bien de mon blâme.

* * *

Le vice que les Anglais ont l’amabilité de qualifier de français chez eux est puni avec une atroce sévérité. Les travaux forcés, tout simplement. Et quels travaux. Vous en avez lu la terrifiante description ici même. A quoi tient cette implacabilité du code saxon ? Le « vice français » serait-il tellement répandu de l’autre côté de la Manche qu’il y mettrait en péril l’ordre social ? Quoi qu’en aient dit les anglophobes, on me permettra d’en douter. Si, en même temps que la pénalité est dure, l’application en était fréquente, nous le saurions. Les procès scandaleux du genre de celui d’Oscar Wilde n’auraient pas le caractère d’exception qu’atteste l’émoi causé en Angleterre par les débats qui viennent de se clore. Il y a bien eu l’affaire des petits télégraphistes ; mais, outre que tout est permis aux princes, on me permettra de penser que ces plaisirs de goujats doivent être régals de princes.

Ce n’est donc pas à la fréquence du crime, qui constituerait un des principaux caractères de danger social, qu’il faut attribuer la cruauté de la peine. Je croirais plus volontiers que, dans les cas obscurs, ordinaires, cette peine n’est pas appliquée ; que les juges doivent la laisser dans l’arsenal formidable que quinze siècles ont outillé. Car, vous le savez sans doute, jamais, en ce pays de la tradition, on n’abroge une loi. Les besoins nouveaux créent des lois nouvelles, mais les anciennes subsistent. Le juge qui se permettrait l’archaïque fantaisie d’appliquer la loi d’Edouard III — ou IV, je n’ai pas les textes sous les yeux — aux vagabonds récidivistes le pourrait légalement ; mais il serait lapidé au sortir du prétoire. La loi qui a frappé Oscar Wilde doit être un de ces bons vieux bills du bon vieux temps. D’où vient donc que le juge ait pu l’appliquer impunément ?

Ah ! voilà...

* * *

Ici intervient l’accusation d’hypocrisie. Le peuple anglais, sous la pression duquel les jurés ont rendu leur verdict, ne s’est aussi bruyamment indigné que pour donner le change au reste du monde. Explication enfantine, véritablement.

Oui, certes, il y a des hypocrites en Angleterre. Mais pourquoi veut-on qu’il y en ait davantage que chez nous ? Parce que les mœurs y sont plus sévères ? Eh ! si elles sont plus sévères, c’est qu’elles sont ainsi non meilleures, au sens absolu du mot, mais les meilleures pour l’équilibre et le développement de la race ou elles existent et qui les a faites telles, c’est-à-dire à sa mesure.

L’hypocrisie gouverne le monde entier, et non seulement l’Angleterre, voilà le vrai. Elle est répugnante parce qu’elle est le mensonge en action, ou plutôt la contradiction entre le précepte et l’acte. Mais partout cette contradiction se manifeste : elle est en somme l’indication de l’écart qui existe entre l’idéal et la réalité. S’il était démontré que le peuple anglais est plus hypocrite que nous, c’est qu’il serait aussi plus idéaliste, et cela seul lui assurerait une supériorité à notre égard.

Je ne défends pas l’hypocrisie, je la constate et j'y vois la marque des peuples supérieurs. Les cyniques primitifs en sont exempts, mais ils n’ont pas non plus les vertus qu’elle atteste par sa seule présence. C’est ce le moraliste a fort justement exprimé quand il a dit : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. » N’est-ce rien que le vice soit contraint à cet hommage. Aimerait-on mieux que la vertu fût contrainte de se cacher.

En bon patriote, j’estime que la France est aussi morale que l’Angleterre ; donc il y a autant d'hypocrites en France qu'en Angleterre. Libre aux niais d’admirer le cynisme d’un Rouvier. Pour mon compte, je lui préfère l’hypocisie achevée en sincère repentir d'un Baïhaut.

EUGENE FOURNIERE.

CHRONIC ABOUT OSCAR WILDE

A cry of pity for Oscar Wilde, of anger against the harsh English law, rises in our newspapers. And since here, I mean on this side of the strait, we hardly like the English - can we like what we do not know - the cry ends in a declamation, the classic declamation, against the British hypocrisy.

The cry, I associate myself with it willingly. Yes, I pity with all my heart the unfortunate artist of letters, much less for the horrible punishment which strikes him than for the public shame which the disclosure of his vice brings upon him. This vice which inspired Rousseau with a page of such masterly eloquence is an insult to love as much as to nature.

Moses, in the desert, struck down those who indulged in it; Muhammad, in the Koran, orders the same punishment. It is the vice of the brutes and the refined; brutes, because nature demands satisfaction and they do not have the strength to resist its demand; sophisticated people, because they have exhausted all the sensations of physical love and their hypersthetized senses demand new and unprecedented gratifications. Among the brutes who satisfy themselves with antiphysical love are convicts and ignorant brethren; among the refined, there are magistrates and, alas! artists.

Despite Muhammad, Orientals have a sad reputation. I would like to please Mr. Drumont and see the same flaw among the Jews; but nothing in the statistics indicates that in the West they are, in this respect, more immoral than the rest of the population. I do not blame Moses and Muhammad for their severity. I know too well that criminal law is a relative thing. The more frequent a crime, the more important it is, on the other hand, that the law, by its severity, prevent it from becoming so predominant as to compromise the existence of society. This is how in the American West cattle thieves are killed with revolvers who in France would get away with three months in prison. And, besides, Moses and Mahomet would laugh at my blame.

* * *

The vice which the English are kind enough to call French in their country is punished with atrocious severity. Simply forced labor. And what works. You have read the terrifying description of it right here. What is this implacability of the Saxon code due to? Is “French vice” so widespread on the other side of the Channel that it threatens the social order there? Whatever the anglophobes have said, I will be allowed to doubt it. If, at the same time as the penalty is hard, the application of it was frequent, we would know it. Scandalous trials such as that of Oscar Wilde would not have the exceptional character attested to by the turmoil caused in England by the debates which have just ended. There was indeed the business of the small telegraphists; but, apart from the fact that everything is permitted to princes, I may be permitted to think that these boorish pleasures must be enjoyed by princes.

It is therefore not to the frequency of the crime, which would constitute one of the principal characteristics of social danger, that the cruelty of the punishment must be attributed. I would more readily believe that, in obscure, ordinary cases, this penalty is not applied; that the judges must leave it in the formidable arsenal which fifteen centuries have equipped. Because, you probably know, never, in this country of tradition, is a law repealed. New needs create new laws, but the old remain. The judge who allowed himself the archaic fantasy of applying the law of Edward III — or IV, I don't have the texts in front of me — to recidivist vagabonds could legally do so; but he would be stoned on leaving the courtroom. The law that hit Oscar Wilde must be one of those good old bills from the good old days. How is it that the judge was able to apply it with impunity?

Ah! here...

* * *

Here comes the charge of hypocrisy. The English people, under the pressure of which the jurors rendered their verdict, were so loudly indignant only to deceive the rest of the world. Childish explanation, really.

Yes, certainly, there are hypocrites in England. But why do we want there to be more than at home? Because morals are stricter there? Hey! if they are more severe, it is because they are thus not better, in the absolute sense of the word, but the best for the equilibrium and the development of the race in which they exist and which made them such, i.e. that is to say, to his measure.

Hypocrisy rules the whole world, and not only England, that is the truth. It is repugnant because it is the lie in action, or rather the contradiction between precept and act. But everywhere this contradiction manifests itself: it is, in short, an indication of the gap which exists between the ideal and reality. If it were demonstrated that the English people are more hypocritical than we are, it would be because they would also be more idealistic, and that alone would ensure them a superiority with regard to us.

I do not defend hypocrisy, I note it and I see in it the mark of superior peoples. Primitive cynics are exempt from it, but neither do they have the virtues that it attests to by its mere presence. This is what the moralist rightly expressed when he said: "Hypocrisy is a homage that vice pays to virtue." Is it nothing that vice is forced into this homage. Would it be better if virtue were forced to hide.

As a good patriot, I consider France to be as moral as England; therefore there are as many hypocrites in France as in England. The fools are free to admire the cynicism of a Rouvier. For my part, I prefer the hypocisy completed in sincere repentance of a Baïhaut.

EUGENE FOURNIERE.

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