JASERIE PARISIENNE
LA PUDEUR ANGLAISE

L'Angleterre, qui a déjà tant de choses que les autres n'ont pas, possède une pudeur absolument exceptionnelle.

On peut même dire que c'est la première pudeur du globe. Les autres nations ont aussi une pudeur, mais combien loin de celle de la vertueuse Albion !

La pudeur anglaise est, si j'ose m'exprimer ainsi, une pudeur en or, en diamant, les autres pudeurs sont en ruolz !

La nôtre surtout, qui fait hausser avec juste raison les épaules aux Anglais est une pudeur de pacotille, une pudeur en zinc, une pudeur en papier peint !

Le procès Oscar Wilde est bien la preuve de ce que je viens d'avoir l'honneur de dire.

En France et même dans certains pays on eût procédé aux débats publics de cette affaire dans un huis-clos de mauvais aloi.

On n'aurait pas voulu que des jeunes personnes courussent la chance en entrant, par hasard, dans une salle du palais de Justice, d'entendre raconter des choses étonnantes.

On n'aurait pas voulu que les journaux publiassent avec un luxe de détails des histoires à faire rougir le marquis de Sade.

Mais ce huis-clos eût été impudique, les Anglais qui ont la vraie pudeur ne veulent pas qu'on puisse supposer que derrière les portes fermées d'un tribunal il se dit des choses que les oreilles chastes ne peuvent entendre, et alors ils ouvrent les portes et prient les journaux de répéter tout ce qui se dit.

En sorte qu'à l'heure présente il n'est pas un jeune cokney,il n'est pas une jeune miss qui ne sachent toutes les petites fêtes auxquelles M. Oscar Wilde se livrait avec ses blonds amis.

Les feuilles anglaises qui pénètrent dans toutes les familles ont instruit les trois royaumes des faits et gestes du joyeux esthète.

Voilà de la véritable pudeur ! Voilà au moins ce qui peut s'appeler jeter sévèrement le voile sur les turpitudes humaines !

On dira qu'en Angleterre l'instruction étant publique — ce qui est un des bienfaits de la législation britannique — il était difficile de faire autrement.

Mais alors la pudeur anglaise est partout, excepté dans le code.

Ce qui prouve, hélas ! que dans cette vallée humaine même les gens les plus vertueux ne songent pas à tout.

ERNEST BLUM

PARISIAN JASERIE
ENGLISH MODESTY

England, which already has so many things that the others do not have, possesses an absolutely exceptional modesty.

We can even say that it is the first modesty of the globe. The other nations also have a modesty, but how far from that of the virtuous Albion!

English modesty is, if I dare express myself thus, a modesty in gold, in diamonds, other modesty is in ruolz!

Ours especially, which rightly makes the English shrug their shoulders, is shoddy modesty, zinc modesty, wallpaper modesty!

The Oscar Wilde trial is proof of what I have just had the honor to say.

In France and even in certain countries, the public debates on this affair would have taken place behind closed doors.

We would not have wanted young people to run the chance by entering, by chance, in a room of the courthouse, to hear astonishing things told.

One would not have wanted the newspapers to publish stories in such detail as would make the Marquis de Sade blush.

But this closed door would have been immodest, the English who have real modesty do not want it to be supposed that behind the closed doors of a court things are said that chaste ears cannot hear, and so they open the doors and beg the newspapers to repeat everything that is said.

So that at the present time there is not a young Cokney, there is not a young miss who does not know all the little parties which Mr. Oscar Wilde indulged in with his fair-haired friends.

The English papers which penetrate into all families have informed the three kingdoms of the doings and gestures of the joyful esthete.

This is real modesty! This is at least what can be called severely throwing the veil over human turpitude!

It will be said that in England, education being public—which is one of the benefits of British legislation—it was difficult to do otherwise.

But then English modesty is everywhere, except in the code.

Which proves, alas! that in this human valley even the most virtuous people do not think of everything.

ERNEST BLUM

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