Previous report Le Rappel - Thursday, November 14, 1895
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CHRONIQUE
Par MARCEL FOUQUIER

Voici qu'on parle encore de M. Oscar Wilde. Cette fois on doit en parler sans sourire, car il ne s'agit plus d'apprécier le paradoxe de ses mœurs néo-grecques. Il paraîtrait que son état de santé est devenu inquiétant. L'autre jour il a comparu en justice pour entendre proclamer sa faillite, c'est-à-dire l'achèvement de sa ruine et sa déchéance sociale en un pays où l'argent reste la plus sûre garantie de la respectability. Les personnes qui assistaient à l'audience ont à peine reconnu en ce pauvre diable miné de fièvre, à demi inconscient, le gros garçon qui, lors de son séjour à Paris, avait montré, sous des dehors affectés de littérature ultra-esthétique, un naturel plutôt bon enfant, et qui s'est perdu à Londres, on peut le dire, par l'ingénuité de son aplomb. Le dur régime de la prison, le cruel Hart Labour ont vite triomphé de sa résistance physique et morale.

Voici qu'on parle encore de M. Oscar Wilde. Cette fois on doit en parler sans sourire, car il ne s'agit plus d'apprécier le paradoxe de ses mœurs néo-grecques. Il paraîtrait que son état de santé est devenu inquiétant. L'autre jour il a comparu en justice pour entendre proclamer sa faillite, c'est-à-dire l'achèvement de sa ruine et sa déchéance sociale en un pays où l'argent reste la plus sûre garantie de la respectability. Les personnes qui assistaient à l'audience ont à peine reconnu en ce pauvre diable miné de fièvre, à demi inconscient, le gros garçon qui, lors de son séjour à Paris, avait montré, sous des dehors affectés de littérature ultra-esthétique, un naturel plutôt bon enfant, et qui s'est perdu à Londres, on peut le dire, par l'ingénuité de son aplomb. Le dur régime de la prison, le cruel Hart Labour ont vite triomphé de sa résistance physique et morale.

Voici qu'on parle encore de M. Oscar Wilde. Cette fois on doit en parler sans sourire, car il ne s'agit plus d'apprécier le paradoxe de ses mœurs néo-grecques. Il paraîtrait que son état de santé est devenu inquiétant. L'autre jour il a comparu en justice pour entendre proclamer sa faillite, c'est-à-dire l'achèvement de sa ruine et sa déchéance sociale en un pays où l'argent reste la plus sûre garantie de la respectability. Les personnes qui assistaient à l'audience ont à peine reconnu en ce pauvre diable miné de fièvre, à demi inconscient, le gros garçon qui, lors de son séjour à Paris, avait montré, sous des dehors affectés de littérature ultra-esthétique, un naturel plutôt bon enfant, et qui s'est perdu à Londres, on peut le dire, par l'ingénuité de son aplomb. Le dur régime de la prison, le cruel Hart Labour ont vite triomphé de sa résistance physique et morale.

A cette heure, sa vie même, si on n'apporte aux rigueurs de son « expiation », certains tempéraments, serait en danger. C'est à la suite de ces révélations que des lettrés français et anglais ont eu l'idée d'adresser une pétition à la reine Victoria pour solliciter de « sa gracieuse majesté » la grâce d'Oscar Wilde. Encore que le sujet soit assez délicat à traiter, on peut le traiter, je crois, librement et avec sérieux. Il suffit d'y ajouter — ce qui n'exige pas grand effort — un intérêt purement philosophique.

A cette heure, sa vie même, si on n'apporte aux rigueurs de son « expiation », certains tempéraments, serait en danger. C'est à la suite de ces révélations que des lettrés français et anglais ont eu l'idée d'adresser une pétition à la reine Victoria pour solliciter de « sa gracieuse majesté » la grâce d'Oscar Wilde. Encore que le sujet soit assez délicat à traiter, on peut le traiter, je crois, librement et avec sérieux. Il suffit d'y ajouter — ce qui n'exige pas grand effort — un intérêt purement philosophique.

A cette heure, sa vie même, si on n'apporte aux rigueurs de son « expiation », certains tempéraments, serait en danger. C'est à la suite de ces révélations que des lettrés français et anglais ont eu l'idée d'adresser une pétition à la reine Victoria pour solliciter de « sa gracieuse majesté » la grâce d'Oscar Wilde. Encore que le sujet soit assez délicat à traiter, on peut le traiter, je crois, librement et avec sérieux. Il suffit d'y ajouter — ce qui n'exige pas grand effort — un intérêt purement philosophique.

L'initiative de cette pétition en faveur d'Oscar Wilde a été prise par une petite revue d'avant-garde, la Plume, qui se publie au quartier Latin, en plein foyer de la jeunesse travailleuse, généreuse et orthodoxe en ses amours, même en ses fredaines. Avec cette décision, ce courage et cette logique de la jeunesse qui, pour être un peu étourdis, n'en ont que plus de mérite; on a donc rédigé une belle pétition au nom de « l'humanité et de l'art », et on s'est mis en campagne pour recueillir des signatures autorisées. C'est ici que les choses ont cessé d'aller toutes seules. Plusieurs des écrivains qu'on pensait enrôler, ont fait grise mine et battu en retraite.

L'initiative de cette pétition en faveur d'Oscar Wilde a été prise par une petite revue d'avant-garde, la Plume, qui se publie au quartier Latin, en plein foyer de la jeunesse travailleuse, généreuse et orthodoxe en ses amours, même en ses fredaines. Avec cette décision, ce courage et cette logique de la jeunesse qui, pour être un peu étourdis, n'en ont que plus de mérite ; on a donc rédigé une belle pétition au nom de « l'humanité et de l'art », et on s'est mis en campagne pour recueillir des signatures autorisées. C'est ici que les choses ont cessé d'aller toutes seules. Plusieurs des écrivains qu'on pensait enrôler, ont fait grise mine et battu en retraite.

L'initiative de cette pétition en faveur d'Oscar Wilde a été prise par une petite revue d'avant-garde, la Plume, qui se publie au quartier Latin, en plein foyer de la jeunesse travailleuse, généreuse et orthodoxe on ses amours, même en ses fredaines. Avec cette décision, ce courage et cette logique de la jeunesse qui, pour être un peu étourdis, n'en ont que plus de mérite; on a donc rédigé une belle pétition au nom de « l'humanité et de l'art », et on s'est mis en campagne pour recueillir des signatures autorisées. C'est ici que les choses ont cessé d'aller toutes seules. Plusieurs des écrivains qu'on pensait enrôler, ont fait grise mine et battu en retraite.

M. Alphonse Daudet a exprimé le désir de savoir au préalable en quelle compagnie il manifesterait, réserve des plus légitimes, des plus respectables, mais qui marque une totale absence d'emballement évangélique ! M. Sardou toujours nerveux, a déclaré que cela ne « le regardait pas ». M. Maurice Barrès, en dilettante, a conclu que la pétition ne servirait probablement à rien ; qu'ainsi il était assez inutile de la signer et qu'au surplus Oscar Wilde « qu'il avait invité à déjeuner chez Voisin » ne lui avait pas plu, avec ses allures de commis-voyageur baudelairien.

M. Alphonse Daudet a exprimé le désir de savoir au préalable en quelle compagnie il manifesterait, réserve des plus légitimes, des plus respectables, mais qui marque une totale absence d'emballement évangélique ! M. Sardou toujours nerveux, a déclaré que cela ne « le regardait pas ». M. Maurice Barrès, en dilettante, a conclu que la pétition ne servirait probablement à rien ; qu'ainsi il était assez inutile de la signer et qu'au surplus Oscar Wilde « qu'il avait invité à déjeuner chez Voisin » ne lui avait pas plu, avec ses allures de commis-voyageur baudelairien.

M. Alphonse Daudet a exprimé le désir de savoir au préalable en quelle compagnie il manifesterait, réserve des plus légitimes, des plus respectables, mais qui marque une totale absence d'emballement évangélique ! M. Sardou toujours nerveux, a déclaré que cela ne « le regardait pas ». M. Maurice Barrés, en dilettante, a conclu que la pétition ne servirait probablement à rien ; qu'ainsi il était assez inutile de lasigner et qu'au surplus Oscar Wilde « qu'il avait invité à déjeuner chez Voisin » ne lui avait pas plu, avec ses allures de commis-voyageur baudelairien.

M. François Coppée consentirait à signer, mais par un sentiment de pitié à la fois lyrique et assez méprisant, en tant que « membre de la Société protectrice des animaux »! Ceci ne laisse pas que d'être dur pour l'esthète qui se promenait dans les rues de Londres un lys à la main! Mais ce mauvais compliment, l'esthète se l'est attiré par le contraste vraiment excessif qu'il a mis entre l'idéalisme de ses rêves et les réalités médiocres et malséantes de sa vie. En somme, je n'ai vu d'adhésion franche à la pétition que celle de M. Maurice Donnay : il l'a motivée en faisant observer toute l'outrecuidance et l'hypocrisie qu'il y avait de la part de la société anglaise à prétendre punir, non pas même le vice, mais le péché, alors que ses mœurs ne l'autorisent pas à des sévérités pareillement exemplaires. La thèse de M. Donnay et son audace à la soutenir ont un même charme : c'est le cri de guerre d'un gai Parisien contre les pharisiens tristes et féroces. Mais ce cri risque de n'éveiller que de rares échos, et le projet de pétition, si froidement reçu à la ronde, a des chances assez fortes d'avorter.

M. François Coppée consentirait à signer, mais par un sentiment de pitié à la fois lyrique et assez méprisant, en tant que « membre de la Société protectrice des animaux »! Ceci ne laisse pas que d'être dur pour l'esthète qui se promenait dans les rues de Londres un lys à la main! Mais ce mauvais compliment, l'esthète se l'est attiré par le contraste vraiment excessif qu'il a mis entre l'idéalisme de ses rêves et les réalités médiocres et malséantes de sa vie. En somme, je n'ai vu d'adhésion franche à la pétition que celle de M. Maurice Donnay : il l'a motivée en faisant observer toute l'outrecuidance et l'hypocrisie qu'il y avait de la part de la société anglaise à prétendre punir, non pas même le vice, mais le péché, alors que ses mœurs ne l'autorisent pas à des sévérités pareillement exemplaires. La thèse de M. Donnay et son audace à la soutenir ont un même charme : c'est le cri de guerre d'un gai Parisien contre les pharisiens tristes et féroces. Mais ce cri risque de n'éveiller que de rares échos, et le projet de pétition, si froidement reçu à la ronde, a des chances assez fortes d'avorter.

M. François Coppée consentirait à signer, mais par un sentiment de pitié à la fois lyrique et assez méprisant, en tant que « membre de la Société protectrice des animaux » ! Ceci ne laisse pas que d'être dur pour l'esthète qui se promenait dans les rues de Londres un lys à la main ! Mais ce mauvais compliment, l'esthète se l'est attiré par le contraste vraiment excessif qu'il a mis entre l'idéalisme de ses rêves et les réalités médiocres et malséantes de sa vie. En somme, je n'ai vu d'adhésion franche à la pétition que celle de M. Maurice Donnay : il l'a motivée en faisant observer toute l'outrecuidance et l'hypocrisie qu'il y avait de la part de la société anglaise à prétendre punir, non pas même le vice, mais le péché, alors que ses mœurs ne l'autorisent pas à des sévérités pareillement exemplaires. La thèse de M. Donnay et son audace à la soutenir ont un même charme : c'est le cri de guerre d'un gai Parisien contre les pharisiens tristes et féroces. Mais ce cri risque de n'éveiller que de rares échos, et le projet de pétition, si froidement reçu à la ronde, a des chances assez fortes d'avorter.

Philosophiquement, je crois qu'il est permis d'en éprouver quelque regret. Non pas qu'on doive méconnaître la valeur des objections qui ont été présentées à cette démarche naïvement humanitaire; ces objections ne se résument même pas, comme on pourrait le supposer d'après quelques-unes des réponses que j'ai rapportées, à la peur de se compromettre, à la préoccupation religieuse de la morale bourgeoise, à l'indifférence d'un égoïsme transcendental, professionnel et didactique. Il en est de plus sévères et de plus hautes que j'aurais voulu voir préciser par quelques-uns des écrivains réfractaires à cette intervention en faveur d'un malheureux détraqué, notamment par M. Barrès, qui a de par le monde renom et pignon sur rue de moraliste.

Philosophiquement, je crois qu'il est permis d'en éprouver quelque regret. Non pas qu'on doive méconnaître la valeur des objections qui ont été présentées à cette démarche naïvement humanitaire ; ces objections ne se résument même pas, comme on pourrait le supposer d'après quelques-unes des réponses que j'ai rapportées, à la peur de se compromettre, à la préoccupation religieuse de la morale bourgeoise, à l'indifférence d'un égoïsme transcendental, professionnel et didactique. Il en est de plus sévères et de plus hautes que j'aurais voulu voir préciser par quelques-uns des écrivains réfractaires à cette intervention en faveur d'un malheureux détraqué, notamment par M. Barrés, qui a de par le monde renom et pignon sur rue de moraliste.

Philosophiquement, je crois qu'il est permis d'en éprouver quelque regret. Non pas qu'on doive méconnaître la valeur des objections qui ont été présentées à cette démarche naïvement humanitaire ; ces objections ne se résument même pas, comme on pourrait le supposer d'après quelques-unes des réponses que j'ai rapportées, à la peur de se compromettre, à la préoccupation religieuse de la morale bourgeoise, à l'indifférence d'un égoïsme transcendental, professionnel et didactique. Il en est de plus sévères et de plus hautes que j'aurais voulu voir préciser par quelques-uns des écrivains réfractaires à cette intervention en faveur d'un malheureux détraqué, notamment par M. Barrès, qui a de par le monde renom et pignon sur rue de moraliste.

On peut dire d'abord que la sévérité de la peine portée contre M. Oscar Wilde s'explique par une nécessité urgente et catégorique de réagir contre les mauvaises mœurs d'une partie de l'aristocratie anglaise. Ainsi chez nous, Montmorency-Boutteville paya sous Richelieu pour tous les duellistes qui se coupaient la gorge moins par goût particulier que pour obéir à la mode. C'est là un argument d'ordre pratique et social. On peut en invoquer un autre, d'ordre si l'on veut métaphysique, mais qui a bien plus de force et de profondeur. On peut dire que, dans le siècle où nous sommes, alors que tant de croyances dogmatiques entrent et disparaissent dans la nuit, c'est aux aristocrates de l'intelligence de préparer par leur exemple les voies d'une morale sans sanction, simplement et noblement humaine, et que ceux qui manquent à ce devoir de l'exemple doivent être plus rigoureusement punis dans la mesure même de leur supériorité intellectuelle et de leur responsabilité. Mais ce sont là des rêveries de moraliste, tout au moins des vues théoriques, qui ne sauraient prévaloir contre ce fait qu'un homme jeune et hier encore dans tout l'éclat de son talent, vieillisse de jour en jour en l'enfer d'une prison où ses yeux de poète visionnaire voient grandir et grimacer autour de lui les ombres de la folie ou de la mort. Pour le délit commis, pour le scandale causé, délit individuel, scandale anodin en soi parmi une société aussi corrompue que celle de Londres, et que la publicité des débats a pu seule aggraver, une peine légère suffisait, pourvu qu'elle fût infamante. La torture est de trop, et, quand il se peut qu'elle précède l'agonie, elle doit faire horreur. Je ne veux nullement réhabiliter M. Oscar Wilde. Tout au plus dois-je faire observer qu'il y a dans son cas pas mal de littérature, et que chez cette race anglo-saxonne instinctivement brutale, il en est beaucoup à qui le vin du banquet de Platon, versé dans une coupe d'or, a tourné la tête jusqu'à la plus fâcheuse et ridicule ivresse. Mais ce qui emporte tout, c'est que ce pauvre fou, aux mains de ses bourreaux légaux, paye de sa vie l'ignominie d'une aristocratie et l'hypocrisie de toute une race. M. François Coppée — qui signera la pétition — prédit qu'« on n'obtiendra rien et qu'un cri d'indignation s'élèvera en Angleterre contre l'immoralité française ». Voilà tout justement ce qui est tentant, et pourquoi il faut signer. Voltaire n'aurait pas hésité, ni, sans doute, le poète de la Pitié Suprême. N'est-ce pas assez pour décider M. Barrès?

On peut dire d'abord que la sévérité de la peine portée contre M. Oscar Wilde s'explique par une nécessité urgente et catégorique de réagir contre les mauvaises mœurs d'une partie de l'aristocratie anglaise. Ainsi chez nous, Montmorency-Boutteville paya sous Richelieu pour tous les duellistes qui se coupaient la gorge moins par goût particulier que pour obéir à la mode. C'est là un argument d'ordre pratique et social. On peut en invoquer un autre, d'ordre si l'on veut métaphysique, mais qui a bien plus de force et de profondeur. On peut dire que, dans le siècle où nous sommes, alors que tant de croyances dogmatiques entrent et disparaissent dans la nuit, c'est aux aristocrates de l'intelligence de préparer par leur exemple les voies d'une morale sans sanction, simplement et noblement humaine, et que ceux qui manquent à ce devoir de l'exemple doivent être plus rigoureusement punis dans la mesure même de leur supériorité intellectuelle et de leur responsabilité. Mais ce sont là des rêveries de moraliste, tout au moins des vues théoriques, qui ne sauraient prévaloir contre ce fait qu'un homme jeune et hier encore dans tout l'éclat de son talent, vieillisse de jour en jour en l'enfer d'une prison ou ses yeux de poète visionnaire voient grandir et grimacer autour de lui les ombres de la folie ou de la mort. Pour le délit commis, pour le scandale causé, délit individuel, scandale anodin en soi parmi une société aussi corrompue que celle de Londres, et que la publicité des débats a pu seule aggraver, une peine légère suffisait, pourvu qu'elle fût infamante. La torture est de trop, et, quand il se peut qu'elle précède l'agonie, elle doit faire horreur. Je ne veux nullement réhabiliter M. Oscar Wilde. Tout au plus dois-je faire observer qu'il y a dans son cas pas mal de littérature, et que chez cette race anglo-saxonne instinctivement brutale, il en est beaucoup à qui le vin du banquet de Platon, versé dans une coupe d'or, a tourné la tête jusqu'à la plus fâcheuse et ridicule ivresse. Mais ce qui emporte tout, c'est que ce pauvre fou, aux mains de ses bourreaux légaux, paye de sa vie l'ignominie d'une aristocratie et l'hypocrisie de toute une race. M. François Coppée — qui signera la pétition — prédit qu' « on n'obtiendra rien et qu'un cri d'indignation s'élèvera en Angleterre contre l'immoralité française ». Voilà tout justement ce qui est tentant, et pourquoi il faut signer. Voltaire n'aurait pas hésité, ni, sans doute, le poète de la Pitié Suprême. N'est-ce pas assez pour décider M. Barrès ?

On peut dire d'abord que la sévérité de la peine portée contre M. Oscar Wilde s'explique par une nécessité urgente et catégorique de réagir contre les mauvaises mœurs d'une partie de l'aristocratie anglaise. Ainsi chez nous, Montmorency-Boutteville paya sous Richelieu pour tous les duellistes qui se coupaient la gorge moins par goût particulier que pour obéir à la mode. C'est là un argument d'ordre pratique et social. On peut en invoquer un autre, d'ordre si l'on veut métaphysique, mais qui a bien plus de force et de profondeur. On peut dire que, dans le siècle où nous sommes, alors que tant de croyances dogmatiques entrent et disparaissent dans la nuit, c'est aux aristocrates de l'intelligence de préparer par leur exemple les voies d'une morale sans sanction, simplement et noblement humaine, et que ceux qui manquent à ce devoir de l'exemple doivent être plus rigoureusement punis dans la mesure même de leur supériorité intellectuelle et de leur responsabilité. Mais ce sont là des rêveries de moraliste, tout au moins des vues théoriques, qui ne sauraient prévaloir contre ce fait qu'un homme jeune et hier encore dans tout l'éclat de son talent, vieillisse de jour en jour en l'enfer d'une prison ou ses yeux de poète visionnaire voient grandir et grimacer autour de lui les ombres de la folie ou de la mort. Pour le délit commis, pour le scandale causé, délit individuel, scandale anodin en soi parmi une société aussi corrompue que celle de Londres, et que la publicité des débats a pu seule aggraver, une peine légère suffisait, pourvu qu'elle fût infamante. La torture est de trop, et, quand il se peut qu'elle précède l'agonie, elle doit faire horreur. Je ne veux nullement réhabiliter M. Oscar Wilde. Tout au plus dois-je faire observer qu'il y a dans son cas pas mal de littérature, et que chez cetto race anglo-saxonne instinctivement brutale, il en est beaucoup à qui le vin du banquet de Platon, versé dans une coupe d'or, a tourné la tête jusqu'à la plus fâcheuse et ridicule ivresse. Mais ce qui emporte tout, c'est que ce pauvre fou, aux mains de ses bourreaux légaux, paye de sa vie l'ignominie d'unej aristocratie et l'hypocrisie de toute une race. M. François Coppée - qui signera la pétition — prédit qu' « on n'obtiendra rien et qu'un cri d indignation s'élèvera en Angleterre contre l'immoralité française ». Voilà tout justement ce qui est; tentant, et pourquoi il faut signer. Voltaire n'aurait pas hésité, ni, sans doute, le poète de la Pitié Suprême. N'est-ce pas assez pour décider M. Barrès?

MARCEL FOUQUIER.

CHRONIC
By MARCEL FOUQUIER

We are still talking about Mr. Oscar Wilde. This time we must talk about it without smiling, because it is no longer a question of appreciating the paradox of its neo-Greek mores. It would appear that his state of health has become worrying. The other day he appeared in court to hear his bankruptcy proclaimed, that is to say the completion of his ruin and his social decline in a country where money remains the surest guarantee of respectability. The people present at the hearing hardly recognized in this poor devil, undermined with fever, half-unconscious, the fat boy who, during his stay in Paris, had shown, under an exterior affected by ultra-aesthetic literature, a natural rather good-natured, and who got lost in London, one might say, by the ingenuity of his aplomb. The harsh prison regime, the cruel Hart Labor soon triumphed over his physical and moral resistance.

At this hour, his very life, if certain temperaments were not brought to the rigors of his "atonement", would be in danger. It was following these revelations that French and English scholars had the idea of addressing a petition to Queen Victoria to request from “her gracious majesty” the pardon of Oscar Wilde. Although the subject is rather delicate to treat, one can treat it, I believe, freely and seriously. It suffices to add to it—which does not require great effort—a purely philosophical interest.

The initiative for this petition in favor of Oscar Wilde was taken by a small avant-garde magazine, La Plume, which is published in the Latin Quarter, right in the hearth of the hard-working, generous and orthodox youth in their loves, even in his pranks. With this decision, this courage and this logic of youth which, to be a little giddy, have all the more merit; so we wrote a nice petition in the name of "humanity and art", and we started a campaign to collect authorized signatures. This is where things stopped going by themselves. Several of the writers who were thought to be enlisted turned sour and retreated.

Mr. Alphonse Daudet expressed the desire to know beforehand in which company he would demonstrate, a reserve of the most legitimate, the most respectable, but which marks a total absence of evangelical enthusiasm! Mr. Sardou, still nervous, said it was “none of his business”. Mr. Maurice Barrès, as a dilettante, concluded that the petition would probably be useless; that thus it was rather useless to sign it and that, moreover, Oscar Wilde "whom he had invited to lunch at Voisin's" had not pleased him, with his air of a Baudelairean traveling salesman.

Mr. François Coppée would consent to sign, but out of a feeling of pity that was both lyrical and quite contemptuous, as a "member of the Society for the Protection of Animals"! This is not only hard for the aesthete who walked the streets of London with a lily in hand! But this bad compliment, the esthete was attracted by the really excessive contrast which he put between the idealism of his dreams and the mediocre and unseemly realities of his life. In short, I saw no frank adhesion to the petition except that of Mr. Maurice Donnay: he motivated it by pointing out all the presumptuousness and hypocrisy that there was on the part of society Englishwoman to claim to punish, not even vice, but sin, whereas her morals do not authorize her to similarly exemplary severities. M. Donnay's thesis and his audacity to support it have the same charm: it is the battle cry of a gay Parisian against the sad and ferocious Pharisees. But this cry is likely to arouse only rare echoes, and the draft petition, so coldly received around, has a fairly strong chance of aborting.

Philosophically, I believe that it is permissible to experience some regret. Not that we should ignore the value of the objections that have been presented to this naively humanitarian approach; these objections cannot even be summed up, as one might suppose from some of the replies I have reported, to the fear of compromising oneself, to the religious preoccupation with bourgeois morality, to the indifference of a transcendental, professional and didactic selfishness. There are more severe and loftier ones that I would have liked to see spelled out by some of the writers refractory to this intervention in favor of an unfortunate deranged man, in particular by M. Barrès, who has worldwide renown and gable. on Moralist Street.

It can be said first of all that the severity of the sentence imposed on Mr. Oscar Wilde is explained by an urgent and categorical need to react against the bad morals of part of the English aristocracy. Thus with us, Montmorency-Boutteville paid under Richelieu for all the duelists who cut their throats less out of particular taste than to obey the fashion. This is a practical and social argument. We can invoke another, of a metaphysical order, if you will, but which has much more force and depth. We can say that, in the century in which we live, when so many dogmatic beliefs enter and disappear overnight, it is up to the aristocrats of intelligence to prepare by their example the paths of a morality without sanction, simply and nobly human, and that those who fail in this duty of example must be more rigorously punished in the very measure of their intellectual superiority and their responsibility. But these are the daydreams of a moralist, at least theoretical views, which cannot prevail against the fact that a young man, still yesterday in all the brilliance of his talent, grows old day by day in the hell of 'a prison where his visionary poet's eyes see growing and grimacing around him the shadows of madness or death. For the offense committed, for the scandal caused, an individual offence, an innocuous scandal in itself among a society as corrupt as that of London, and which only the publicity of the proceedings could aggravate, a light sentence was sufficient, provided it was infamous. The torture is too much, and when it may precede the agony, it must cause horror. I don't mean to rehabilitate Mr. Oscar Wilde. At the most I must point out that there is a good deal of literature in his case, and that among this instinctively brutal Anglo-Saxon race, there are many to whom the wine of Plato's banquet, poured into a cup of gold, turned his head to the most annoying and ridiculous drunkenness. But what takes everything is that this poor madman, in the hands of his legal executioners, is paying with his life for the ignominy of an aristocracy and the hypocrisy of an entire race. M. François Coppée—who will sign the petition—predicts that "nothing will be achieved and that a cry of indignation will be raised in England against French immorality." This is precisely what is tempting, and why you have to sign. Voltaire would not have hesitated, nor, no doubt, the poet of La Pitié Suprême. Isn't that enough to decide Mr. Barrès?

MARCEL FOUQUIER.