JUSTE MÉSAVENTURE

Un périodique anglais, la Saint-James Gazette, qui se publie à Londres, vient de se signaler, d’une façon originale, à l’attention de ses lecteurs anglais et étrangers, à propos de ce scandaleux procès Oscar Wilde, dont les journaux français n’ont parlé que bien sommairement, par respect pour leurs abonnés. La Saint-James Gazette a arboré, en sous-titre, ceci : « Le seul journal anglais qui ne rende pas compte des débats du procès Oscar Wilde ». Sur ce procès, en lui-même, nous n’avions rien à dire : c’est de l’ignominie à la dixième puissance ; et il est bien curieux de voir des gens aussi pudiques que nos voisins d’Outre-Manche se complaire dans les détails plus qu’obscènes d’une aussi scandaleuse affaire.

En France, ce procès n’eût pas eu de publicité. On y estime que certaines choses ne doivent pas être portées à la connaissance du public, et l’on n’a pas tout à fait tort. En Angleterre, à Londres du moins, il n’y a qu’un journal, un seul, pour protester contre cette publicité, c’est-à-dire contre la relation littérale de ce procès infâme, exposée mot à mot par la sténographie, et dont les détails ne sont pas qualifiables. Il faudrait, pour cela, inventer de nouvelles épithètes. Et, en voyant cela, en lisant ces compte-rendus qui sont l’expression même d'une formidable inconscience, on en revient, malgré soi, à ces manifestations hypocrites, ou publiques, ou privées, à l’endroit de cette ville infâme, la Babylone moderne qui est Paris.

L’a-t-on assez vilipendée, au-delà des frontières, cette Babylone moderne ? C’était à qui renchérirait ; il y avait, à son sujet, comme un tournoi d’éloquence. Des prédicateurs la stigmatisaient et des publicistes se plaisaient à la traîner dans la boue. L’année terrible n’était qu’un juste châtiment de tant de crimes entassés ; et la justice éternelle s’appesantissait sur un peuple écrasé par le poids de ses vices. Cela se disait en chaire ; cela s’imprimait dans les journaux, se délayait dans des revues, et de hauts personnages s'en délectaient. Babylone était à l’index ; seulement, l’on se gardait bien de réclamer l’établissement d’un cordon sanitaire, parce que si, de loin, l’on se plaisait à fulminer contre Babylone, on l’adorait de près, parce que, une fois franchies les limites de l’octroi, les saints étrangers dépouillaient leur veste d’hypocrisie et se plaisaient à vivre dans une atmosphère plus libre, en un milieu où pas n’est besoin de cacher ses faiblesses sous un horrible masque de vertu empruntée.

Vous croyez peut-être que cela mettra fin à de telles palinodies ? Détrompez-vous. Après avoir livré à leurs lecteurs, sans omettre le moindre détail, les ignominies de ce scandaleux procès Oscar Wilde, les journaux de la pudibonde Angleterre en reviendront bientôt à leur marotte favorite, où Paris sera montré comme un foyer d’infection, pendant que les parfums les plus purs, distillés par tous les Oscar Wilde, se disperseront dans l’atmosphère de Londres où la vertu, comme chacun sait, a fait élection de domicile depuis le commencement du monde et peut-être même avant. Et c’est une revanche, après tant d’hypocrisie dédaigneuse, d’enregistrer, sans les spécifier par respect pour le lecteur français, quelques-unes de ces monstruosités sans égales au monde civilisé, qui font de rudes entailles à la robe d’une vertu séculaire, soi-disant immaculée, et si multipliées qu’elle commence à apparaître dans toute sa nudité. Si nous voulions nous gaudir des mésaventures de nos voisins, nous aurions beau jeu à opposer à la « Babylone moderne » la « moderne Sodome » !

Charles Canivet.

JUST MISADVENTURE

An English periodical, the Saint-James Gazette, which is published in London, has just announced itself, in an original way, to the attention of its English and foreign readers, in connection with this scandalous Oscar Wilde trial, of which the newspapers French only spoke very briefly, out of respect for their subscribers. The Saint-James Gazette carried, in subtitle, this: "The only English newspaper which does not report on the proceedings of the Oscar Wilde trial". On this trial, in itself, we had nothing to say: it is ignominy to the tenth power; and it is very curious to see people as modest as our neighbors across the Channel taking pleasure in the more than obscene details of such a scandalous affair.

In France, this trial would have had no publicity. They believe that certain things should not be brought to the attention of the public, and they are not entirely wrong. In England, in London at least, there is only one newspaper, only one, to protest against this publicity, that is to say against the literal account of this infamous trial, exposed word for word by shorthand , and the details of which cannot be qualified. It would be necessary, for that, to invent new epithets. And, seeing this, reading these reports which are the very expression of a formidable unconsciousness, we come back, in spite of ourselves, to these hypocritical demonstrations, whether public or private, against this infamous city. , the modern Babylon that is Paris.

Have we vilified enough, beyond the borders, this modern Babylon? It was up to who would win; there was something like a tournament of eloquence about him. Preachers stigmatized her and publicists took pleasure in dragging her through the mud. The terrible year was only a just punishment for so many piled up crimes; and eternal justice weighed down on a people crushed by the weight of their vices. This was said in the pulpit; it was printed in the newspapers, was diluted in reviews, and high personages reveled in it. Babylon was on the index; only, they were careful not to demand the establishment of a sanitary cordon, because if, from afar, they liked to fulminate against Babylon, they adored her up close, because, once crossed the limits of grant, the foreign saints stripped off their jackets of hypocrisy and enjoyed living in a freer atmosphere, in an environment where there was no need to hide one's weaknesses under a horrible mask of borrowed virtue.

Do you think this will put an end to such palinodies? Think again. After delivering to their readers, without omitting the slightest detail, the ignominies of this scandalous Oscar Wilde trial, the newspapers of prudish England will soon return to their favorite fad, where Paris will be shown as a hotbed of infection, while the the purest perfumes, distilled by all the Oscar Wildes, will be dispersed in the atmosphere of London where virtue, as everyone knows, has chosen to live since the beginning of the world and perhaps even before. And it is a revenge, after so much disdainful hypocrisy, to record, without specifying them out of respect for the French reader, some of those monstrosities unequaled in the civilized world, which make rough cuts in the dress of a secular virtue, supposedly immaculate, and so multiplied that it begins to appear in all its nakedness. If we wanted to bask in the misadventures of our neighbours, it would be easy for us to oppose “modern Babylon” to “modern Sodom”!

Charles Canivet.

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