TRIBUNAUX ÉTRANGERS
LE PROCÈS OSCAR WILDE
(De notre correspondant particulier)

Londres, 19 avril.

Depuis huit jours il s'était produit comme une accalmie dans le reportage en ce qui concerne le cas de M. Oscar Wilde et de son co-accusé Taylor. Il semble que le parti adopté par la presse anglaise puisse se formuler ainsi: «Parlons de cela le moins possible». Un seul journal à images s'est risqué à publier des illustrations représentant le prisonnier dans sa cellule ou dans le couloir de Bow street; et ce numéro illustré se vendait timidement, au fond des échopes, presque sous le manteau. Les camelots qui offrent sur la voie publique une brochure: la Vie d'Oscar Wilde, n'ont pas plus de succès. Un photographe auquel on s'adressait pour obtenir des épreuves du portrait de Wilde a répondu qu'il avait détruit les clichés et que sa signature au bas d'une Photographie de ce personnage le perdrait aux yeux de sa clientèle.

Malgré ce parti pris de silence, on a su que le prisonnier avait obtenu de changer de cellule et qu'il occupe maintenant à l'extrémité est de la prison d'Holloway la chambre accordée l'année dernière à la duchesse douairière de Sutherland, condamnée à la prison pour contempt of court. Outre le mobilier réglementaire composé d'une table, une chaise, un lit de camp, une cuvette et un exemplaire de la Bible, Wilde a pu se procurer un fauteuil, des coussins, deux matelas, du linge et des livres. Nous avons dit qu'il peut faire venir sa nourriture d'un hôtel voisin et qu'il use largement de cette permission.

Les bruits alarmants sont confirmés par l'attitude d'Oscar Wilde. Il est touché. L'homme que deux policemen ont amené ce matin dans le dock n'est plus le personnage infatué et bel esprit, plein d'assurance, qui soutenait avec des paradoxes et des traits de vaudeville sa poursuite contre le marquis de Queensberry. Ce n'est pas davantage le dédaigneux de la semaine dernière, au masque impassible, aux allures mondaines. C'est un malade, presque un spectre. Son visage ordinairement fleuri a pris des teintes de pâleur livide, ses yeux sont cernés, battus par l'insomnie. Il est rasé de deux jours, vêtu avec négligence. Conduit dans le dock, il y prend place à tâtons, pour ainsi dire, avec des gestes qui hésitent, des gestes d'enfant ou de somnambule, et il tombe sur son banc d'accusé, comme un homme rompu de fatigue. Là, plus de mise en scène. Plus de fine main gantée sortant d'une manchette éblouissante. Il ne s'accoude plus; il s'adosse. Il ne regarde plus la salle. Il est là, presque accroupi, les coudes aux genoux, le menton appuyé aux paumes; --muet. Taylor, au contraire, semble ragaillardi. Il inaugure un vêtement neuf, un petit complet gris clair taillé pour la promenade matinale à travers les parcs. Il sourit. Il espère. Il parle avec entrain à son avocat.

Sir John Bridge prend place sur son siège présidentiel à onze heures et demie. Sir Edward Clarke, défenseur de M. Wilde, déclare de nouveau qu'il n'entend soumettre les témoins à aucun contre-examen. On entend une seconde fois William Parker qui donne sur les manières de vivre de Taylor des renseignements déjà connus. Il affirme que son frère Charles était un honnête garçon avant de connaître Oscar Wilde et que Taylor a exercé sur lui la pire influence. M. C.-F. Gill, qui dirige la poursuite au nom de la Trésorerie, fait mander de nouveau ce Charles Parker qui, après avoir confirmé ses dépositions précédentes, raconte qu'il a été reçu souvent par Oscar Wilde dans Tite street, à Chelsea, c'est-à-dire au domicile conjugal, quand Wilde avait pris toutes précautions pour y demeurer seul. On se rappelle que le témoin Frederick Atkins avait fait une déclaration analogue la semaine dernière. Sur les questions de M. C.-F. Gill, ce témoin entre dans des détails qui ne sauraient être reproduits.

Le témoin suivant est un détective, l'agent Curley, de la division E. La propriétaire de Taylor, dans Little-Collage street, lui a remis un carton à chapeau rempli de lettres: la correspondance intime de l'accusé. L'avocat de la poursuite demande que certaines de ces lettres soient lues, seulement celles qui établissent la continuité plutôt que la nature des relations entre Oscar Wilde et Taylor.

-- Je pourrais demander, ajoute-t-il en s'adressant au juge, la lecture de toutes ces pièces, mais il en résulterait un scandale tellement abominable que j'y renonce par respect pour la justice et par pitié pour l'opinion déjà trop affligée.

En conséquence, il est seulement donné lecture de lettres déjà fort étranges pour qui considère les personnages qui les échangeaient. Dans l'une d'elles, Wilde s'excuse de ne pouvoir dîner avec Taylor.
« J'en suis malheureux jusqu'au désespoir, » écrit-il. D'autres sont relatives à des rendez-vous dans la chambre du Savoy hôtel; d'autres annoncent ou accompagnent des envois d'argent.

Les témoins suivants n'apprennent aucun fait nouveau. Après un employé du Savoy hôtel, qui dépose sur des faits aujourd'hui de notoriété publique, sir John Bridge entend deux employés de la Banque de Londres et de Westminster, qui en diraient peut-être fort long sur les chèques encaissés par Taylor et sur les signataires de ces chèques, si les avocats, d'un commun accord avec le juge, ne décidaient que leur déposition écrite et l'extrait de leurs livres qui la confirme, seront joints au dossier, de façon qu'aucun nom étranger à la poursuite actuelle ne soit prononcé.

Le juge reçoit ensuite, les avocats entendus, une copie légalisée du compte rendu écrit par M. J.-W. Lehman, sténographe, des trois audiences consacrées par la cour d'Old Bailey à l'affaire Wilde contre lord Queensberry, qui s'est dénouée par l'acquittement du marquis.

En quelques mots, M. C.-F. Gill résume et spécifie l'accusation.

-- Nous avons prouvé, dit-il, qu'il existe contre Oscar Wilde et Taylor, des charges suffisantes; qu'ils ont ensemble imaginé, préparé, combiné l'exécution d'actes obscènes (with conspiring, confederating and combining to procure acts of gross indecency) et qu'ils ont accompli ces actes obscènes avec diverses personnes connues ou inconnues, parmi lesquelles Alfred Wood, Frederick Atkins, les frères Parker et autres. Il est avéré, de plus, que plusieurs de ces individus étaient mineurs au moment où les actes obscènes ont été commis.

Les défenseurs de Taylor et Wilde s'inclinent en signe d'assentiment. Sir Edward Clarke prend la parole pour demander encore la mise en liberté provisoire de son client, dont les amis, dit-il, sont prêts à verser la somme qu'il plaira à la justice d'exiger.

M. C.-F. Gill. -- A la première et à la seconde audience, je m'étais opposé à la libération sous caution. Ce matin, avant l'audience, pressenti par mon honorable confrère sir Edward Clarke, j'ai déclaré que cette fois je ne m'y opposerais plus. Sur certaines garanties qui lui sont offertes et qui lui inspirent toute confiance, la Trésorerie consent à la mise en liberté sous caution, s'il plaît à Votre Honneur de l'ordonner.

Sir John Bridge. -- La justice n'a pas à s'occuper de ce qui se passe en dehors du prétoire et des accords intervenus entre avocats. Je décide que les charges sont en effet suffisantes; j'ordonne que les prisonniers seront déférés à la cour d'assises pour y répondre des accusations ci-dessus spécifiées et jugés en conséquence par le jury. Et je leur refuse la mise en liberté sous caution. L'affaire ne comporte pas une telle faveur.

Durant ces débats, qui se sont terminés à trois heures, Wilde ne s'est pas relevé de son attitude accablée le dos courbé, le menton dans les mains. La décision du juge, sir John Bridge, ne le réveille pas. Taylor, qui a été introduit avant lui dans le dock, se lève, se coiffe, attendant que son co-accusé lui livre passage. L'autre ne bouge pas. Taylor lui met la main sur l'épaule. Hein? Quoi? Wilde a l'air de sortir d'un rêve. Il se dresse en s'appuyant à la barre du dock et suit le policeman de service. On le voit disparaître, courbé, anéanti...said

FOREIGN COURTS
THE OSCAR WILDE TRIAL
(From our private correspondent)

London, April 19.

For eight days there had been a lull in the reporting in regard to the case of Mr. Oscar Wilde and his co-defendant Taylor. It seems that the party adopted by the English press can be formulated as follows: "Let's talk about this as little as possible". Only one picture journal has ventured to publish illustrations representing the prisoner in his cell or in the corridor of Bow street; and this illustrated number sold timidly, at the back of the shops, almost under the cloak. The vendors who offer on the public highway a pamphlet: the Life of Oscar Wilde, have no more success. A photographer contacted for proofs of Wilde's portrait replied that he had destroyed the pictures and that his signature at the bottom of a Photograph of this character would lose him in the eyes of his clientele.

Despite this choice of silence, we learned that the prisoner had obtained a change of cell and that he now occupies the room at the eastern end of Holloway prison granted last year to the Dowager Duchess of Sutherland, sentenced to prison for contempt of court. In addition to the regulation furniture consisting of a table, a chair, a camp bed, a basin and a copy of the Bible, Wilde was able to obtain an armchair, cushions, two mattresses, linen and books. We said he can bring in his food from a nearby hotel and he uses that permission extensively.

The alarming noises are confirmed by the attitude of Oscar Wilde. He is touched. The man whom two policemen brought into the dock this morning is no longer the infatuated, witty, self-assured character who supported with paradoxes and vaudeville traits his pursuit of the Marquess of Queensberry. Nor is he the disdainful of last week, with an impassive mask, with worldly bearing. He is sick, almost a ghost. Her normally flowery face has taken on tints of livid pallor, her eyes are dark circles, battered by insomnia. He's been shaved for two days, dressed negligently. Led to the dock, he gropes his way into it, so to speak, with hesitating gestures, the gestures of a child or a somnambulist, and he falls into his dock like a man worn out with fatigue. There, more staging. No more slender gloved hand emerging from a dazzling cuff. He no longer leans; he leans back. He no longer looks at the room. He is there, almost squatting, elbows on his knees, chin resting on his palms; --mute. Taylor, on the contrary, looks perked up. He inaugurates a new garment, a small light gray suit cut for the morning walk through the parks. He smiles. He hopes. He talks enthusiastically to his lawyer.

Sir John Bridge takes his place in his presidential seat at half past eleven. Sir Edward Clarke, defender of Mr. Wilde, declares again that he does not intend to subject the witnesses to any cross-examination. We hear a second time from William Parker who gives already known information about Taylor's ways of life. He claims that his brother Charles was an honest boy before he knew Oscar Wilde and that Taylor was the worst influence on him. MC-F. Gill, who is directing the prosecution on behalf of the Treasury, summons again this Charles Parker who, after having confirmed his previous depositions, relates that he was often received by Oscar Wilde in Tite street, at Chelsea, that is- that is to say, in the marital home, when Wilde had taken every precaution to remain there alone. It will be recalled that the witness Frederick Atkins made a similar statement last week. On questions from MC-F. Gill, this witness goes into details that cannot be reproduced.

The next witness is a detective, Constable Curley, of E Division. Taylor's landlady, in Little-Collage street, handed him a hat-box full of letters: the intimate correspondence of the accused. The prosecution attorney asks that some of these letters be read, only those that establish the continuity rather than the nature of the relationship between Oscar Wilde and Taylor.

"I could ask," he adds, addressing the judge, "to read all these documents, but it would result in such an abominable scandal that I renounce it out of respect for justice and out of pity for public opinion. already too distressed.

As a result, only letters are read which are already very strange to anyone who considers the characters who exchanged them. In one, Wilde apologizes for not being able to have dinner with Taylor.
"I am unhappy to the point of despair," he wrote. Others relate to meetings in the Savoy hotel room; others announce or accompany remittances.

The following witnesses learn no new facts. After an employee of the Savoy Hotel, who gives evidence on facts now of public notoriety, Sir John Bridge hears two employees of the Bank of London and Westminster, who would perhaps say a great deal about the checks cashed by Taylor and about the signatories of these cheques, if the lawyers, by mutual agreement with the judge, decide only their written deposition and the extract from their books which confirms it, will be attached to the file, so that no name foreign to the current prosecution is pronounced.

The judge then receives, after hearing the lawyers, a legalized copy of the report written by Mr. J.-W. Lehman, stenographer, of the three hearings held by the Court of Old Bailey in the case of Wilde v Lord Queensberry, which ended in the acquittal of the Marquess.

In a nutshell, MC-F. Gill summarizes and specifies the accusation.

"We have proved," he said, "that there exist against Oscar Wilde and Taylor sufficient charges; that they together imagined, prepared, combined the execution of obscene acts (with conspiring, confederating and combining to procure acts of gross indecency) and that they performed these obscene acts with various persons known or unknown, including Alfred Wood, Frederick Atkins, the Parker brothers and others. It has also been proven that several of these individuals were minors at the time the obscene acts were committed.

Taylor and Wilde's defenders bow in assent. Sir Edward Clarke takes the floor to ask again for the provisional release of his client, whose friends, he says, are ready to pay the sum that it pleases justice to require.

MC-F. Gil. -- At the first and second hearings, I objected to the release on bail. This morning, before the hearing, approached by my honorable colleague Sir Edward Clarke, I declared that this time I would no longer oppose it. Upon certain guarantees offered to him, and in which he has every confidence, the Treasury consents to release on bail, if Your Honor so order.

Sir John Bridge. -- Justice does not have to deal with what happens outside the courtroom and the agreements reached between lawyers. I decide that the charges are indeed sufficient; I order that the prisoners be brought before the Assize Court to answer the charges above specified and tried accordingly by the jury. And I'm denying them bail. The deal does not involve such favor.

During these debates, which ended at three o'clock, Wilde did not recover from his overwhelmed attitude, his back bent, his chin in his hands. The decision of the judge, Sir John Bridge, does not wake him up. Taylor, who was brought into the dock before him, gets up, combs his hair, waiting for his co-accused to let him through. The other does not move. Taylor puts her hand on his shoulder. Eh? What? Wilde looks like something out of a dream. He stands leaning against the bar of the dock and follows the policeman on duty. We see him disappear, bent, annihilated...said

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