La Meuse - Friday, April 12, 1895

L'affaire Oscar Wilde. - LONDRES, 11 avril. - Aujourd'hui ont comparu devant le juge de Bow Street Oscar Wilde et Taylor, les héros du scandale de Londres.

La salle est trop petite pour contenir le public. On sait qu'il s'agit de savoir si Oscar Wilde et Taylor seront renvoyés en correctionelle.

Le premier est défendu par M. Clarcke. Taylor par M. Newton. Wilde est abattu. Taylor fait preuve de cynisme. L'accusation reproche à ce dernier d'avoir procuré à Wilde des jeunes gens dans un but que la loi reprouve.

Un témoin, Parques, raconte les entrevues qu'il a eues avec Wilde dans certain hôtel garni.

M. Newton, par ses questions, insinue que Parques est un individu depravé et indigne de la moindre confiance.

Le ministère public, indigné de la tournure que M. Newton tend à donner à l'affaire, menace d'une nouvelle enquête, qui fera découvrir des faits plus odieux encore.

Le scandale est à son comble.

Le témoin Schelli raconte qu'il passa la nuit avec Wilde couché dans le même lit.

Quelques autres témoins donnent des explications qui n'ajoutent rien à la clarté suffisante des faits.

Le juge ajourne l'affaire à demain en huit et refuse de laisser les deux prisonniers en liberté sous caution.

La Petite République - Saturday, April 13, 1895

Londres, 11 avril

La petite salle de Bow-Street, qui sert ordinairement pour les affaires d’extradition, est trop petite pour contenir la foule des curieux qui occupent les abords de la cour; très peu peuvent entrer dans la salle, qui est comble.

Le magistrat est sir John Bridge.

On sait qu'il s’agit simplement de savoir si les deux inculpés, Oscar Wilde et Taylor, se ront renvoyés ou non devant les assises criminelles.

A l’audience de samedi dernier, le ministère public avait procédé à son interrogatoire des témoins. C’est aujourd’hui le tour de la défense.

Oscar Wilde est défendu par sir Edward Clarke, et Taylor par M. Newton.

L’accusation qui pèse sur ce dernier est de s'être entendu avec Wilde pour lui procurer des jeunes gens dans un but que la loi réprouve.

Oscar Wilde est très abattu. Il n’a plus cette assurance indifférente des premiers jours. Son visage est pâle, amaigri, plein de langueur.

Taylor, au contraire, a conservé sa bonne humeur dédaigneuse qui dénote une absence absolue de toute conscience et de toute dignité.

Interrogatoire des témoins

Sir Edward Clarke prend la parole et explique que, suivant son opinion, un nouvel interrogatoire des témoins déjà entendus samedi dernier ne pourrait contribuer en quoi que ce soit à la défense d’Oscar Wilde.

En conséquence, il déclare qu'il ne procédera pas à un nouvel interrogatoire.

Mais M. Newton, avocat de Taylor, demande à poser un certain nombre de questions à quelques-uns des témoins de samedi.

On introduit alors Charles Parker, qui, interrogé par M. Newton, répond:

Je suis né en 1871. Je suis employé dans une maison depuis huit mois.

Au mois d'août dernier, j'ai été arrêté dans une maison de Fitzroy-Square. Je ne connais qu’un seul des individus qui la fréquentaient.

C’est dans une entrevue qui eut lieu au Saint-James-Restaurant que Parker vit Tay lor. Il n’avait jamais commis aucun acte d’indécence contre nature avant de connaître Oscar Wilde. Ce dernier lui demanda de l'accompagner au Savoy-Hotel, en présence de Taylor, mais Parker ignore si Taylor en tendit cette invitation. La seconde fois qu’il se rendit au Savoy-Hotel, Taylor n’était pour rien dans l’affaire.

Parker, répondant à de nouvelles questions de l’avocat Newton, commence à raconter qu'il a connu un certain Atkins, comédien.

Les amis d’Oscar Wilde

Pressé de questions, il avoue qu’il avait commis des indécences avec une personne que deux de ses camarades ont fait ensuite chanter dans les grands prix.

Il a reçu pour prix de sa coopération une forte somme.

Ce n’est pas lui qui demanda à Taylor de le présenter à Wilde. C’est Taylor qui lui demanda s'il voulait être présenté à Wilde. Parker répondit affirmativement.

M. Gill,ministère public, interroge de nouveau le témoin qui confirme les précédentes déclarations.

Atkins, dont il vient d’être question, comparait à son tour comme témoin. Interrogé par M. Gill, il répond ainsi :

Il a vingt-deux ans.

Au mois de novembre 1892, il fut invité à dîner au restaurant de l’hôtel de Florence.

Là, il rencontra Oscar Wilde, Taylor et deux autres personnes.

C’était la premiére fois qu’il voyait Oscar Wilde. Celui-ci loi demanda d’aller à Paris avec lui en qualité de secrétaire particulier.

Ils partirent deux jours après, descendirent dans un hôtel du boulevard des Capucines où ils prirent deux chambres contigues.

Le lendemain, après avoir dejeuné dans un café, Wilde le conduisit chez un coiffeur où il lui fit couper et friser les cheveux.

Ils soupèrent ensemble dans la soirée.

Les petits cadeaux

« C’est le meilleur souper que j’aie jamais fait de ma vie ! » s’écrie le témoin à ce souvenir.

Ensuite Oscar Wilde lui donna un louis avec lequel Atkins alla s’amuser au Moulin-Rouge.

Quand il rentra à l’hôtel, il trouva Wilde déjà couché avec quelqu'un.

Il alla se coucher de son côté.

Plus avant dans la nuit, Wilde vint le trouver dans sa chambre, et après un instant de conversation voulut entrer dans son lit.

Mais Atkins l'en empêcha.

Wilde lui donna à Paris un porte-cigarettes en argent, et quand ils furent de retour à Londres il lui fit don de trois livres eu débarquant à la station de Victoria.

Dans la suite. Wilde lui écrivit d’aller le voir. Il y alla eu effet.

Wilde alla le voir également chez lui. Il y rencontra un jeune homme qui lui fut aussi tôt présenté. Atkins dit qu’il fut présenté à Taylor qui, ainsi que Wilde, l'appelait Fred, diminutif de son nom de baptême Frédéric.

Lorsque Wilde, au restaurant de Florence, lui demanda de le suivre à Paris, il lui avait passé le bras autour le la taille.

Oscar Wilde à Paris

M. Newton, défenseur de Taylor, procède au contre-interrogatoire d'Atkins et lui dit :

« Mais vous ne prononcez aucun nom. N'avez-vous donc pas été présenté à Taylor par un monsieur à Paris? » Atkins répond : Oui. — Et cette même personne ne vous a-t-elle pas également présenté à Wilde ? — Oui, répond le témoin, qui raconte en suite avoir vécu avec un nommé Burton.

Atkins nie avoir jamais participé à aucun acte de chantage. Il nie également avoir commis des actes immoraux pour vivre.

Le magistrat demande au témoin s’il a servi de secrétaire à Wilde à Paris.

Le témoin dit qu’il a recopié une pièce de théâtre pour lui.

D. Etait-ce une femme ou bien un homme qui était couché avec Wilde lorsque vous êtes rentré à l'hôtel ? R. C’était un homme.

Un autre témoin, Shelly, raconte qu’il fit la connaissance de Wilde chez un éditeur où il était employé.

Wilde lui écrivit d’aller le voir à l’hôtel Albermale. Ils dînèrent ensemble, et après le diner, où ils burent beaucoup, ils se rendirent dans le salon particulier de Wilde qui, vers une heure du matin, invita Shelly a venir se coucher ; ce qu’il fit.

Wilde, en le conduisant dans la chambre à coucher, l’embrassa à plusieurs reprises.

Shelly admirait beaucoup le poète Wilde et il était très flatté que Wilde montrât tant d’affection pour lui.

Le témoin Shelly raconte qu’il passa toute la nuit avec Wilde, couché dans le même lit. Ils se rencontrèrent le lendemain de nouveau et visitèrent plusieurs restaurants et cafés.

Le témoin assure qu’il a détruit toutes les lettres que Wilde lui a écrites.

Quant à Taylor, c’est pour lui un étranger.

Plusieurs femmes ayant habité dans les mêmes maisons que Parker et Taylor déposent et racontent leurs soupçons.

On demande à l’une d’elles :

— Est-ce que Taylor ne recevait jamais de femmes? — Oh! non, répond-elle.

Dans ces dépositions reviennent constamment les noms de Taylor, de Parker et d’Oscar Wilde qui se visitaient et couchaient en semble.

Le garçon d’un petit hôtel do Saint-Jame's Palace, où Wilde habita quelque temps, raconte les mêmes faits.

Le propriétaire de l’hôtel Albermale, après plusieurs séjours de Wilde chez lui, eut des soupçons et chercha à se débarrasser de lui en le faisant poursuivre par son sollicitor pour une note restée en souffrance.

L’inspecteur de police Charles Richard et un de ses collègues racontent comment s’opérèrent l’arrestation de Wilde à l’hôtel Cadogan, dans Sloon-Street, et celle de Taylor. Ces faits sont connus, sauf que chez Taylor on trouva entre autres choses une lettre adressée à Mabor, un des témoins de samedi dernier.

Cette lettre est ainsi conçue : « Cher Sidi, impossible d’attendre plus longtemps. Viens tout de suite voir Oscar. Il est à sa maison de Chelsea. »

Les détectives trouvèrent huit paires de pantalons chez Taylor ; les poches de sept de ces pantalons étaient complètement décousues.

Quelques autres témoins de peu d’importance dorment quelques explications qui n’ajoutent rien à la triste clarté, suffisamment complète d’ailleurs, des faits déjà révélés.

Sir John Bridge ajourne l’affaire à demain en huit et refuse de laisser les deux prisonniers eu liberté sous caution.

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