Le Peuple - Tuesday, June 4, 1895

Au greffe de Pantonville on rapporte que Wilde a assisté dimanche aux offices et qu'il a travaillé lundi selon les rigoureuses conditions légales. Mardi matin seulement, it a déclaré n'avoir plus dormi depuis trois jours et trois nuits et ne pouvoir se lever.

Il a cependant travaillé jusqu'à onze heures du matin ; à ce moment it a été pris d'un étourdissement, et reconduit aussitôt dans sa cellule et dispené de travail jusqu'au lendemain.

Mercredi il n'a pu supporter le « hard la-bour » que pendant quelques heures. Il est probable qu'il sera transféré à l'infirmerie de la prison pour y recevoir los soins qu'exige son état.

Taylor est également malade, mais n'a pas encore cessé son travail.

Voici, brievement exposé, en quoi consiste la peine du Hard Labour.

Imaginez une roue gigantesque dont les rayons atteignent quatre mètres et dont la circonférence est divisée en palettes, à peu près comme la circonférence d'une roue de bateau à vapeur, d'une aube. Il y a cette différence entre l'aube et le tread mill (moulin de discipline), que l'aube agit sur l'eau en vertu d'une propulsion intérieure, tandis que le tread mill reçoit sa propulsion du dehors et la doit uniquement aux hommes frappés de hard labour.

Dans la partie supérieure de la circonférence, les palettes aboutissent à des cellules étroites où elles figurent, en passant, les marches fuyantes d'un escalier.

Amené dans une des cellules, le condamné est tenu de se suspendre de ses deux mains à deux anneaux ballottant au-dessus de sa tête, et de peser de tout son poids avec ses pieds sur les palettes qui défilent, afin d'actionner le mouvement de cette grande roue qu'il n'aperçoit même pas.

S'il hésite, un gardien placé derrière lui peut lui appliquer un coup de fouet ; s'il s'arrête, la roue dans son mouvement continu, l'atteint rudement aux pieds ; s'il trébuche, il s'expose à payer sa défaillance d'une jambe cassée. S'il refuse, c'est la peine disciplinaire du fouet, du « chat à neuf queues ». Cette arme de mince cuir tressé emporte la peau au premier coup et fouille la plaie vive au deuxième.

La mise en action du tread mill comporte une fatigue tellement accablante que les condamnes n'y sont assujettis que pendant trois heures par jour : une heure et demie le matin, une heure et demie après-dîner. Encore le travail est-il divisé, pour chaque période, en dix minutes de piétinement et cinq minutes de repos.

Le condamné peine soixante minutes et se repose une demi-heure. En dehors du tread mill, il est soumis aux occupations les plus penibles.

Telle est cette peine du hard labour — l'effroi, la terreur de tous les malfaiteurs anglais.

La Presse - Saturday, July 6, 1895

On sait que Mr. Oscar Wilde, poète et littérateur anglais, dont les lectures sur l’esthétique avaient si vivement intéressé une partie de notre population, il y a quelques années, purge en ce moment une condamnation de deux années de prison, avec « travail dur » (hard labor) dans la prison de Pentonville.

Le télégraphe nous apprend que le médecin de la prison vient d’ordonner que le poète ne soit plus soumis désormais au supplice du « tread mill ».

Pour bien comprendre la signification de cette nouvelle, en apparence indifférente, il convient de se rendre compte de ce que comporte la peine de « hard labor » et particulièrement le supplice du « tread mill » dans l’île de John Bull.

La peine du « hard labor » n’a aucun équivalent dans nos lois. Ce n’est pas la peine des travaux forcés qui est dite en Angleterre « penal servitude », et qui entraîne, selon sa durée, une réclusion avec travaux sur le territoire de la Grande-Bretagne, ou la déportation dans un bagne colonial. Le condamné à la servitude pénale est dit « convict ». Tel est le cas présentement pour les complices déjà jugés de l’ex-député Jabez Spencer Balfour ; Hobbs et Wright sont condamnés à douze ans de servitude pénale ; ils sont des forçats et n’ont pas à faire un seul jour de « travail dur ». Cette dernière peine est un supplice, et un supplice tel que la loi interdit au juge de la prononcer pour plus de deux ans, parce qu’il est peu d’exemples de condamnés y ayant survécu passé ce délai.

Une disposition de la loi anglaise permet de mesurer ce supplice à des fautes qui dénotent chez leur auteur plus de perversité qu’elles ne causent de dommage à la société. On peut condamner un homme à un mois de « hard labor », et même à moins comme on peut le condamner encore à recevoir le fouet dans la prison.

À l’arrivée des condamnées dans la geôle, ils dépouillent leurs vêtements pour endosser la livrée des « convicts » : un pantalon et une veste de coton ou de laine — selon la saison — marqué de règles depuis les pieds jusqu’à la tête.

À cinq heures du matin, les condamnés sont conduits nus dans une salle de bains où, après les soins de propreté, ils sont pesés. Car il faut qu’ils maigrissent pendant la durée de la peine ; il faut que le châtiment emporte une déperdition de force et de vitalité. Ensuite, vêtus, ils sont dirigés vers le « tread mill », le moulin de discipline. Ils deviendront pour leur part, les agents d’une force motrice distribuée dans les ateliers de la prison.

Imaginez une revue gigantesque dont les rayons atteignent quinze pieds et dont la circonférence est divisée en palettes, à peu près comme la circonférence d’une roue de bateau à vapeur, d’une aube. Il y a cette différence entre l’aube et le « tread mill » que l’aube agit sur l’eau en vertu d’une propulsion intérieure, tandis que le « tread mill » reçoit sa propulsion du dehors et la doit uniquement aux hommes frappés de « hard labor. » Dans la partie supérieure de la circonférence, les palettes aboutissent à des cellules étroites où elles figurent, en passant, les marches fuyantes d’un escalier.

Amené dans une de ces cellules, le condamné est tenu de se suspendre de ses deux mains à deux anneaux ballotant au-dessus de sa tête, et de peser de tout son poids avec ses pieds sur les palettes qui défilent, afin d’actionner le mouvement de cette grande roue qu’il n’aperçoit même pas. S’il hésite, un gardien placé derrière lui peut lui appliquer un coup de fouet ; s’il s’arrête, la roue, dans son mouvement continu, l’atteint rudement aux pieds ; s’il trébuche, sil s’expose à payer sa défaillance d’une jambe cassée. S’il refuse, c’est la peine disciplinaire du fouet, du « chat à neuf queues ». Cette arme de mince cuir tressé emporte la peau du premier coup et fouille la plaie vive au deuxième.

La mise en action du « tread mill » comporte une fatigue tellement accablante que les condamnés n’y sont assujettis que pendant trois heures par jour : une heure et demie le matin, une heure et demie après dîner. Encore le travail est-il divisé pour chaque période, en dix minutes de piétinement et cinq minutes de repos. Le condamné peine soixante minutes et se repose une demi-heure. En dehors du « tread mill » il est soumis aux occupations les plus pénibles.

On voit souvent à Londres des pavés marqués d’un trèfle : ils ont été taillés en prison par les « convicts » et les « hard labourers ». A ces derniers retient notamment la dure corvée de détailler, pour les changer en étoupe, les vieux cordages de la marine, goudronnés ou non. Il faut avoir visité une prison anglaise pour comprendre à quel point cette besogne ressemble à un martyre. Au bout d’une journée, les doigts de l’ouvrier-condamné en souffrent ; la peau s’échauffe, s’attendrit, tombe et le sang coule. On cicatrise, on cautérise ; on ramène l’homme au plus tôt à la même corvée. La pression continue du doigt sur le fil poisseux, pression où se concentre sans cesse la force dynamique des muscles, exerce bientôt un contre-coup sur les articulations des phalanges, du métacarpe, du poignet et de l’avant-bras. Les membres antérieurs sont brisés par ce travail, les membres inférieurs par le « tread mill ». Le poids du condamné est contrôlé de façon à en assurer la diminution. On augmente la durée du « tread mill » pour les hommes qui y résistent trop aisément.

Ce supplice est l’objet d’une surveillance cruellement attentive qui s’exerce jusqu’au dernier jour ; car il est extrêmement rare qu’un individu condamné au « hard labour » soit l’objet d’une remise partielle importante. On cite des individus qui ont bénéficié d’une remise d’un mois pour un an, de six semaines pour quinze ou dix-huit mois. Enfin, à aucun moment, le condamné n’est appelé à jouir des menues faveurs accordées à presque tous les détenus qui disposent de quelque argent. Il n’a pas de « masse », ne reçoit aucune somme du dehors, et il est astreint, sauf le cas de maladie, à la seule nourriture de la prison. Elle comporte une livre de viande par semaine ; le reste en pain, en graisse et en légumes. Voilà pour le supplice physique.

Le supplice moral consiste en une sorte de mort temporaire qui atteint à la fois le condamné et les siens. Pendant les trois premiers mois de la peine, il n’écrit à personne et n’a de nouvelles de personne. Pendant les six premiers mois, il ne reçoit aucune visite. Plus tard, il est visité à jours fixes, conformément au règlement sur les convicts.

Aggravation : aucun travail en commun. Cellule pour le « tread mill », cellule pour l’étoupe, cellule avec lit de planches pour la nuit.

Telle est cette peine du « hard labour » - l’effroi, la terreur de tous les malfaiteurs anglais. Elle accuse une telle disproportion entre la cruauté du châtiment et les délits qu’elle châtie qu’on ne saurait hésiter à souhaiter son abolition.

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