Express - Wednesday, June 5, 1895

Oscar Wilde prend très mal son emprisonnement; il a entendu avec accablement la lecture du règlement de la prison et il a protesté avec impétuosité lorsqu’on lui a coupé les cheveux et qu’on l’a obligé à endosser un costume pénitentiaire déjà porté. Comme il paraissait très souffrant le dernier jour du procès, on pensait qu’il serait transféré dans un hôpital ; mais le médecin ayant déclaré qu’il était remis de son indisposition, Wilde a été envoyé au travail de la roue du « moulin de discipline », l’une des corvées les plus pénibles des condamnés au havd labour.

Disons brièvement en quoi consiste cette véritable torture : Imaginez une roue gigantesque dont les rayons atteignent quatre mètres et dont la circonférence est divisée en palettes, à peu près comme la circonférence d’une roue de bateau à vapeur, d’une aube. Il y a cette différence entre l’aube et le tread mill, que l'aube agit sur leau en vertu d’une propulsion intérieure, tandis que le tread mill reçoit sa propulsion du dehors et la doit uniquement aux hommes frappés du hard labour. Dans la partie supérieure de la circonférence, les palettes aboutissent à des cellules étroites où elles figurent, en passant, les marches fuyantes d’un escalier.

Amené dans une de ces cellules, le condamné est tenu de se suspendre de ses deux mains à deux anneaux ballottant au-dessus de sa tête, et de peser de tout son poids avec ces pieds sur les palettes qui défilent, afin d'actionner le mouvement de cette grande roue qu’il n’aperçoit même pas. S’il hésite, un gardien placé derrière lui peut lui appliquer un coup de fouet ; s’il s’arrête, la roue, dans sou mouvement continu, l’atteint rudement au pied; s'il trébuche, il s’expose à payer se défaillance d’une jambe cassée. S’il refuse, c’est la peine disciplinaire du fouet, du «chat à neuf queues». Cette arme de mince cuir tressé emporte la peau au premier coup et fouille la plaie vive au deuxième.

La mise en action du tread mill comporte une fatigue tellement accablante que les condamnés n’y sont assujettis que pendant trois heures par jour : une heure et demie le matin, une heure et demie après dîner. Encore le travail est il divisé, pour chaque période, en dix minutes de piétinement et cinq minutes de repos. Le condamné peine suivantes minutes et se repose une demi-heure. En dehors du tread mill, il est soumis aux occupations les plus pénibles.

La République Française - Monday, June 3, 1895

A propos de la condamnation d’Oscar Wilde à deux ans de travaux forcés, on a pu lire dans nos « Actualités » du 29 mai dernier en quoi consistait le hard labour, autrement dit la peine des travaux forcés en Angleterre.

On a pu apprécier la rigueur du supplice moral impose tout d’abord au condamné qui, pendant les six premiers mois, n’écrit à personne, ne reçoit aucune nouvelle des siens. On a été initié aux douceurs du « moulin de discipline ». Rappelons brièvement en quoi consiste cette véritable torture ;

Imaginez une roue gigantesque dont les rayons atteignent quatre mètres et dont la circonférence est divisée en palettes, à peu près comme la circonférence d’une roue de bateau à vapeur, d’une aube. Il y a cette différence entre l’aube et le tread mill, que l’aube agit sur l’eau en vertu d’une propulsion intérieure, tandis que le tread mill reçoit sa propulsion du dehors et la doit uniquement aux hommes frappés de hard labour. Dans la partie supérieure de la circonférence, les palettes aboutissent à des cellules étroites où elles figurent, en passant, les marches fuyantes d’un escalier.

Amené dans une de ces cellules, le condamné est tenu de se suspendre de ses deux mains à deux anneaux ballottant au-dessus de sa tête, et de peser de tout son poids avec ses pieds sur les palettes qui défilent, afin d’actionner le mouvement de cette grande roue qu'il n’aperçoit même pas. S’il hésite, un gardien placé derrière lui peut lui appliquer un coup de fouet; s’il s’arrête, la roue, dans son mouvement continu, l’atteint rudement au pied; s’il trébuche, il s'expose à payer sa défaillance d’une jambe cassée. S’il refuse, c’est la peine disciplinaire du fouet, du « chat à neuf queues ». Cette arme de mince cuir tressé emporte la peau au premier coup et fouille la plaie vive au deuxième.

La mise en action du tread mill comporte une fatigue tellement accablante que les condamnés n’y sont assujettis que pendant trois heures par jour : une heure et demie le matin, une heure et demie après diner. Encore le travail est-il divisé, pour chaque période, en dix minutes de piétinement et cinq minutes de repos. Le condamné peine soixante minutes et se repose une demi-heure. En dehors du tread mill, il est soumis aux occupations les plus pénibles.

Après semblable lecture, on ne peut se défendre d’un sentiment de compassion pour les malheureux soumis à une peine qui nous ramène aux plus durs temps de la barbarie. En prenant le droit de punir, la société assume le devoir de ne pas outrepasser les limites de l'humanité, et la pitié doit toujours tempérer la sévérité. Mais s’il nous vient à l’idée de comparer nos moyens de répression à ceux qui sont d’un usage courant en Angleterre, la disparate qui saute immédiatement aux yeux peut nous inspirer quelques réflexions utiles.

Nous passons, en effet, d’un extrême à l'autre, car, chez nous, la peine des travaux forcés est beaucoup moins terrible et moins intimidante que la simple réclusion. N’offre-t-elle point aux condamnés une de mi-liberté qui peut s’accroître graduellement, un avenir presque certain dans la colonie et les chances d'une position aisée après quelques années d’une captivité moins dure, à n'en pas douter, que la prison en France, — sans compter les chances d’une évasion que favorise singulièrement l’incurie de notre régime pénitentiaire ?

Employés la plupart du temps aux travaux publics agricoles, sous prelexte qu’ils peinent davantage, les forçats ont une nourriture beaucoup plus abondante que les pensionnaires de nos prisons. Us ont fréquemment des rations do vin, de café et d’eau-de-vie, et leur entretien pèse lourdement sur notre budget. Selon Michaux, un forçat coûte 448 francs à la Guyane et 381 francs à la Nouvelle-Calédonie, sans compter les frais de garde, d’administration et de transport, qui représentent par tête une bagatelle de 400 francs pour la Guyane et 900 francs pour la Nouvelle-Calédonie. Bien des honnêtes gens se contenteraient de semblables ressources pour leur entretien.

Le travail imposé à nos forçats ne saurait rentrer dans la catégorie des pénalités. Selon un témoin oculaire, on les voit fréquemment, à Nouka-Hiva ou dans la vallée de Vaithar, « suivre d’un air nonchalant, au nombre de dix ou douze, une charrette traînée sans difficulté par deux de leurs compagnons ». Ceux qui sont instruits sont employés à la comptabilité; d’autres même, chez les colons, remplissent les fonctions de domestiques. Et voilà ce qu’on appelle les « travaux forcés »! Où trouvez-vous dans tout cela des motifs suffisants pour arrêter le criminel et l’effrayer ? A la manière dont les forçats sont traités, la loi pénale n’est point exécutée.

Loin de nous la pensée de réclamer la sévérité du régime pénitentiaire anglais. Le principe d’humanité ne doit jamais perdre ses droits. Mais punir est juste, améliorer est charitable. Dans quelle mesure ces deux principes doivent-ils s’unir ? Il n’est pas douteux que la justice doit dominer. Tout le monde doit souhaiter que l’on amende le coupable, mais il ne faut pas en faire le but suprême de la peine, car il est rare qu’il y ait amendement réel. Sans exagérer l’idée d’intimidation, qui fait les peines trop dures, il faut cependant faire réfléchir ceux qui seraient tentés de commettre un crime. Sinon, la peine n’agit plus.

N’oublions pas que nous avons à lutter contre la progression toujours croissante de la récidive.

Maurice Cabs.

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