Gil Blas - Sunday, May 5, 1895

Londres, 3 mai. -- Après une longue délibération, le juge s'est prononcé aujourd'hui en faveur de la libération d'Oscar Wilde sous caution, dont le montant sera fixé demain.

LOUIS ROZIER

La Patrie - Sunday, May 5, 1895

Londres. 4 mai. — Les conseils de Wilde se sont réunis hier et ont arrêté les termes d'une enquête en vue de la mise en liberté, sous caution, de leur client.

M. Grain a présenté une requête analogue en faveur de Taylor.

Il avait demandé, pour le cas où sa mise en liberté provisoire n'aurait pas été accordée, la faveur d'être reconduit à la prison d’Holloway, où il se trouvait mieux qu'à Newgate.

Tous les effets du prisonnier ont été placés sous séquestre à la suite des instances introduites par certains créanciers. On rapporte que ses défenseurs reçoivent chaque jour une quantité de lettres qui leur rèprochent d’avoir consenti à se mêler de cette ignoble affaire.

Sir Edward Clarke aurait été tout particulièrement en butte aux railleries de ses électeurs : Il est député conservateur de Plymouth.

Jugement scandaleux

Après une longue délibération le juge s'est prononcé en laveur de la libération de Wilde sous une caution dont le montant sera fixé aujourd’hui.

La prochaine session du jury criminel s'ouvrira à Old Bailley, le 20 de ce mois, et l’affaire a été inscrite au rôle avec le n 3. Wilde sera donc jugé pour la seconde fois du 20 au 25 mai... à moins qu'il n’ait pris la fuite.

On prête à M. C. F. Gill l’intention de convoquer de nouveaux témoins et d’apporter aux débats des cléments de preuves encore inédits.

Même en Angleterre où, à l'exemple de l’Italie, on aime fera de sc, et l'on est naturellement porté à l’indulgence pour tout ce qui est d'essence britannique, qu’il s'agisse de choses matérielles ou morales, le jugement concluant à la mise on liberté d’Oscar Wilde a produit une émotion énorme.

En France, oui, par pudeur pour leurs lecteurs, les journaux — la Patrie en particulier — ont « glissé » sur les détails écœurant du procès de l'esthète et de ses complices il n'y aura pas assez de sarcasmes pour flétrir l'inexplicable faiblesse de la justice anglaise à l'endroit d’un délinquant pris pour ainsi dire sur le fait, convaincu de pratiques ignobles, et que le rang élevé qu'il occupait dans la société désignait à un traitement d'autant plus sévère.

L’impudique Albion avait trouvé une excellente occasion de faire un exemple, de montrer que, si la réputation qui lui est faite dans le monde se trouve parfois justifiée par les faits, elle sait réagir en punissant avec la dernière rigueur les coupables qui tombent sous la férule de ses magistrats.

Cette occasion, elle la laisse une fois de plus échapper — tant pis!

Interview d’Oscar Wilde

A la dernière heure, notre correspondant nous télégraphie :

Londres, 4 mai. — Je viens de voir Oscar Wilde, tout joyeux de la décision du juge.

— Je m'attendais à cette faveur, me dit-il.

La justice, éclairée par mes excellents conseils qui sont parvenus, avec un talent de persuasion dont je les ai félicités et qui fera l'objet du prochain livre dont j’ai conçu le plan en prison, à lui faire comprendre que l'eurythmie supérieure qui éclate dans toutes mes œuvres n'est que le reflet synthétique de mes actions, de ma façon d'exister, de commercer avec les hommes.

— Que pensez-vous faire, une fois en liberté ?

— Zeus (?) seul le sait ! Je flotte dans le vague. Ma vie concrète brisée, l’abstrait me ressaisira, prisonnier de ses jouissances infinies...

A cette question à sir Edward Clarke, que je rencontre à ma sortie de la prison de Newgate :

— En toute confidence, pouvez-vous me dire ce que fera Oscar Wilde une fois libre?

L’honorable député-avocat me répond :

— J’ignore très sincèrement à quelle résolution s’arrêtera mon client, mais je crois, d’après nos entretiens antérieurs, qu’il se dirigera vers l’Orient.

— En Turquie, alors?

L’honorable « conseil » ne répond pas.

Ici l’émotion est très vive.

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