L’Éclair - Saturday, April 13, 1895

Londres, 11 avril. — L’affaire Oscar Wilde est revenue aujourd'hui devant le tribunal de Bow-Street. Le juge sir John Bridge avait choisi la plus petite salle du tribunal pour y tenir audience. Aussi n’y a-t- il que quelques privilégiés qui aient pu assister aux débats. Néanmoins la foule était nombreuse aux abords du tribunal et la police avait toutes les peines du monde à contenir les curieux.

Oscar Wilde a comparu devant le juge en compagnie du fameux Taylor, accusé de lui avoir procuré des jeunes gens dans un but que la loi réprouve. On sait qu'au tribunal de Bow-Street on ne juge pas les procès quant au fond. Dans l'affaire actuelle d’Oscar Wilde et de Taylor, le magistrat doit simplement décider si les deux inculpés doivent être renvoyés devant la cour d’assises.

Bien que dans le cours de l’audience de samedi dernier on eût déjà procédé à l’interrogatoire de plusieurs témoins, le magistrat sir John Bridge a de nouveau autorisé l’avocat de Taylor à questionner ces mêmes témoins.

Le nouvel interrogatoire a été accablant pour les deux inculpés. Voici entre autres un rapide résumé de la déposition d’Atkins.

Le témoin a vingt-deux ans. Au mois de novembre 1892, il fut invité à dîner au restaurant de l’hôtel de Florence. Là, il rencontra Oscar Wilde, Taylor et deux autres personnes.

C’était la première fois qu’il voyait Oscar Wilde. Celui-ci lui demanda d’aller à Paris avec lui en qualité de secrétaire particulier. Ils partirent deux jours après, descendirent dans un hôtel du boulevard des Capucines où ils prirent deux chambres contiguës.

Le lendemain, après avoir déjeuné dans un café, Wilde le conduisit chez un coiffeur où il lui fit couper et friser les cheveux. Ils soupèrent ensemble dans la soirée. » C’est le meilleur souper que j’aie jamais fait de ma vie ! » s'écrie le témoin à ce souvenir. Ensuite, Oscar Wilde lui donna un louis avec lequel Atkins alla s’amuser au Moulin-Rouge. Quand il rentra à l’hôtel, il trouva Wilde déjà couché avec quelqu’un. Il alla se coucher de son côté. Plus avant dans la nuit, Wilde vint le trouver dans sa chambre et, après un instant de conversation, voulut entrer dans son lit. Mais Atkins l’en empêcha..

Wilde lui donna à Paris un porte-cigares en argent, et quand ils furent de retour à Londres il lui fit don de trois livres, en débarquant à la station de Victoria.

Sur la demande du magistrat, Atkins précise que la personne couchée à l’hôtel avec Wilde était un homme.

Mais c’est surtout la déposition du témoin Shelly qui est édifiante.

Ce témoin fit la connaissance de Wilde chez un éditeur où il était employé.

Wilde lui écrivit d’aller le voir à l’hôtel Albermarle. Ils dînèrent ensemble, et après le dîner, où ils burent beaucoup, ils se rendirent dans le salon particulier qui, vers une heure du matin, invita Shelly à venir se coucher; ce qu’il fit. Wilde, en le conduisant dans la chambre à coucher, l’embrassa à plusieurs reprises.

Shelly raconte qu’il passa toute la nuit avec Wilde, couché dans le même lit. Ils se rencontrèrent le lendemain de nouveau et visitèrent plusieurs restaurants et cafés.

Le témoin assure qu’il a détruit toutes les lettres que Wilde lui a écrites.

Shelly admirait beaucoup le poète Wilde et il était très flatté que Wilde montrât tant d’affection pour lui.

On a ensuite entendu plusieurs femmes qui ont confirmé les charges qui pèsent sur les inculpés.

Puis les inspecteurs de police ont raconté les circonstances de l’arrestation de Wilde et de Taylor. Ils ont signalé un détail curieux. Au cours de leur perquisition au domicile de Taylor, ils trouvèrent huit paires de pantalons ; les poches de sept de ces pantalons étaient complètement décousues.

La culpabilité des accusés parait dès maintenant sérieusement établie. Toutefois sir John Bridge a ajourné l’affaire à huitaine pour le jugement, mais il a refusé de laisser les deux inculpés en liberté sous caution.

L’Événement - Saturday, April 13, 1895

L’affaire Oscar Wilde a été reprise hier devant le tribunal de Bow Street.

Le co-accusé, Alfred Taylord, qui a été arrêté samedi pendant les débats, était présent. Public très nombreux.

Sir Edward Clarke défend Oscar Wilde. L’accusé était pâle et très abattu.

Sir Edward Clarke déclare au début de l’audience qu’un nouvel interrogatoire des témoins déjà entendus samedi dernier ne peut être d’aucune utilité dans les débats.

Mais le défenseur de Taylor, M. Newton demande à poser quelques nouvelles questions à certains témoins, ce qui lui est accordé.

Les réponses sont absolument écrasantes pour Oscar Wilde. Les détails sont absolument répugnants.

Le témoin Shelly raconte qu’il passa toute la nuit avec Wilde, couché dans le même lit. Ils se rencontrèrent le lendemain de nouveau et visitèrent plusieurs restaurants et cafés.

Le témoin assure qu’il a détruit toutes les lettres que Wilde lui a écrites.

Quant à Taylor, c’est pour lui un étranger.

Plusieurs femmes ayant habité dans les mêmes maisons que Parker et Taylor déposent et racontent leurs soupçons.

On demande à l’une d’elles :

— Est-ce que Taylor ne recevait jamais de femmes ?

— Oh non ! répond-elle.

Dans ces dépositions reviennent constamment les noms de Taylor, de Parker et d’Oscar Wilde qui se visitaient et couchaient ensemble.

Le garçon d’un petit hôtel de Saint-James Palace, où Wilde habita quelque temps, raconte les mêmes faits.

Le propriétaire de l’hôtel Albermale, après plusieurs séjours de Wilde chez lui, eut des soupçons et chercha à se débarrasser de lui en le faisant poursuivre par son solicitor pour une cote restée en souffrance.

L’inspecteur de police Charles Richard et un de ses collègues racontent comment s’opèrent l’arrestation de Wilde, à l’hotel Cadogan, dans Sloan Street, et celle de Taylor. Ces faits sont connus, sauf que chez Taylor on trouva, entre autres choses, une lettre adressée à Mahor, un des témoins de samedi dernier ; cette lettre est ainsi conçue :

« Cher Sidi, impossible d’attendre plus longtemps. Viens de suite voir Oscar. Il est à sa maison de Chelsea. »

Les détectives trouvèrent huit paires de pantalons chez Taylor : les poches de sept de ses pantalons étaient complètement décousues.

Quelques autres témoins de peu d’importance donnent quelques explications qui n’ajoutent rien à la triste clarté, suffisamment complète, d’ailleurs, des faits déjà révêlés.

Sir John Bridge ajourne l’affaire à demain en huit et refuse de laisser les deux prisonniers en liberté sous caution.

* * *

On me rappelle que, parmi les révélations édifiantes du procès Queensberry-Wilde, il y eut surtout un incident qui donna lieu à beaucoup de commentaires.

Il s’agit de l’omission, et cela du consentement mutuel de la personne qui, non seulement mit Taylor en rapport avec Wilde, Taylor est l’individu qui fournissait à Wilde les « sujets » que celui-ci demandait, mais qui fut aussi me2lé à d’autres aventures de Wilde.

Il fut constaté à l’audience que ce personnage mystérieux, que sir Edward Clarke désignait par la lettre B… était un homme de certain rang et occupant une haute position, qui ne se trouvait pas pour le quart d’heure en Angleterre.

J’entends dire, à présent, que ce B… est un membre de la Chambre de lords, qui quitte l’Angleterre, il y a quelques semaines, pour faire un voyage d’agrément.

Le bruit court même qu’un mandat d’arrestation aura déjà été lancé contre ce personnage ; mais je puis affirmer, de bonne autorité, que cette nouvelle est prématurée.

Jusqu’à une heure avancée de la sodrée d’hier, aucun nouveau mandat d’arrestation n’a été lancé contre une personne mêlée à l’affaire Wilde ; mais , ce que je puis affirmer aussi, c’est qu’au moins, une personne appartenant au plus grand monde, en ce moment à Londres, est étroitement surveillée par la police, et j’ajouterai même que son arrestation sera probablement opérée cette semaine.

Laroche.

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