L’Événement - Monday, April 8, 1895

M. Oscar Wilde est attendu à Paris. Quelques jeunes couturiers espèrent avoir gagné bientôt de quoi s'établir. La rue de Penthièvre illumine. Et cependant, les Parisiens n’ont pas encore appelé Londres la moderne Sodôme.

Le chroniqueur est aujourd'hui dans une position bien embarrassante.

Il est pris entre le respect de ses lecteurs et le souci de l’actualité.

Pour satisfaire à ces deux obligations, il n’aurait qu’une ressource, parler latin.

Il est certain que le latin dans les mots brave d’autant plus l’honnêteté que bien des gens ne comprennent pas cette langue, en laquelle le berger Corydon, faisait ses déclarations au bel Alexis.

Mais en vérité, la position du chroniqueur rappelle celle du professeur de latin, le jour où il est obligé de faire traduire à ses élèves la deuxième églogue de Virgile, celle précisément où il est question de l’inflammable berger.

L’homme érudit qui s'efforça, mais en vain de m’enseigner la langue de Perse, d'Horace et de Juvénal s’en tirait de la façon la plus simple du monde.

Voici la scène :

— Voyons, messieurs, un peu de mot à mot. Où en étions-nous restés la dernière fois ?

UN BON ÉLÈVE. — Virgile, deuxième églogue.

LE PROFESSEUR. — Bien? à qui le tour?… Vous, Tripobleu, traduisez.

TRIPOBLEU. (Lisant, de ce ton traînard particulier aux écoliers qui attendent qu’on leur souffle). — Formosum pasfor Corydon ardebat Alexis.

LE PROFESSEUR. — Bon, traduisez, maintenant, mot à mot.

TRIPOBLEU. (Qui vient de jeter un regard sur une traduction clandestine). — Pastor Coridon, ardebat…, (Une hésitation) ardebat… heu... heu !

Tripobleu se se met à se tordre.

LE PROFESSEUR. — Eh bien, quoi, ardebat ? qu’est-ce que vous avez à rire comme un idiot ? Vous me copierez cent vers,.. Au suivant. Voyons, monsieur Canard, ardebat ?

CANARD. — Le berger Corydon... ardebat… heu !… hi ! (Canard se met à se tordre).

LE PROFESSEUR. — Non, mais, sont-ils bêtes ! Qu’est-ce qu'ils ont tous à rire bêtement comme cela ?... Le berger Corydon brûlait d’amour pour le bel Alexis... Qu’est-il que vous voyez de drôle là dedans. C’est tout naturel !… Le premier qui rit, consigné dimanche toute la journée. Au suivant !

* * *

Voilà comment l’histoire de M. Oscar Wilde ramène tout naturellement aux souvenirs de collège.

Elle ramène aussi aux souvenirs de la Pall Mall Gazette.

C'est, comme disait le marquis de Queensberry, une histoire qui ramène en arrière.

Et dire que depuis l'affaire de Walcheren les Anglais n’avaient plus jamais tourné le dos.

On conçoit dès lors l’indignation du marquis de Queensbury contre son fils lord Douglas et contre M. Oscar Wilde qui ont pour toujours terni cette réputation de bravoure.

Il parait, cependant, que la vertueuse Albion se gargarise depuis quelques jours de tous les détails de ce procès.

On lit les journaux en famille, le soir, en buvant son thé et chacun place son mot.

On n’aura pas de peine à croire que ce mot est toujours plein d’une vertueuse colère.

Seulement, ce n’est pas à M. Oscar Wilde qu'on en veut le plus.

On est surtout furieux contre le marquis de Queensberry, autrement dit de Bourg-la-Reine, qui a révélé ces aimables habitudes à l’Europe.

Shoking ! my dear ! ces choses-là se font ; mais on ne les dit pas. Shoking ! Monsieur de Bourg-la-Reine.

Quelques personnes se sont étonnées que le juge n’ait pas prononcé le huis clos.

M’enfermer avec M. Oscar Wilde ! a répondu cet aimable magistrat, plus souvent ! Il serait capable de m’offrir un étui à cigarettes à la sortie.

* * *

On en veut surtout au marquis de Queensberry d’avoir mêlé à toute cette affaire le nom de lord Roseberry, de M. le Premier comme on dit là-bas.

Les Anglais ont le respect de leur gouvernement.

Ils sont très embêtés que M. le Premier puisse être soupçonné de relations avec M. Oscar Wilde.

Quelle honte pour le pays si, en raison de ces relations, on n’appelait plus M. Wilde que M. le Second.

* * *

M. Wilde a fui l’Angleterre, et, comme je le disais au début de cet article, tout porte à penser qu’il se réfugiera à Paris.

Nous le reverrons promener sur les boulevards sa face grasse et glabre qui faisait hésiter le marquis de Queensberry sur la question de savoir s’il lui botterait la figure ou le derrière.

Et comme il sera devenu notre hôte, quand les Anglais parleront de ses facéties, ils les appelleront une fois de plus les vices français.

Parions qu’il aura un certain succès chez nous.

Avec le snobisme qui a cours, il risque d’être adopté par la meilleure société, oh ! en tout bien, tout honneur, et à titre de simple curiosité.

On le recevra dans les maisons les plus collet-monté, mais pour éviter les cancans, on le priera de prendre l’escalier de service, et tout porte à penser qu’il le fera avec plaisir.

Savez-vous que M. Oscar Wilde rendrait de grands services aux maris qui n’aiment pas à sortir avec leurs femmes et qui pourtant craignent de confier celle-ci au premier cavalier servant venu.

En apercevant madame au bras du sympathique écrivain sur lequel tous les petits télégraphistes de Londres ont les yeux, ils pourraient s'écrier en toute confiance :

— Je suis bien tranquille !

Il serait non-moins utile aux jeunes gens qui débutent dans la haute vie, et qui caressent sans espoir le rêve d’aller chercher les actrices jusque dans leur antre, je veux dire dans les coulisses.

M. Wilde pourrait les y conduire, car, comme l'a dit une jolie femme, en sa qualité d’auteur dramatique, on ne lui refuse pas l’entrée des artistes.

Paul Dollfus.

La Démocratie - Monday, April 8, 1895

M. Oscar Wilde est attendu à Paris. Quelques jeunes couturiers espèrent avoir gagné bientôt de quoi s'établir. La rue de Pènthièvre illumine. Et cependant, les Parisiens n’ont pas encore appelé Londres la moderne Sodome.

Le chroniqueur est aujourd’hui dans une position bien embarrassante.

Il est pris entre le respect de ses lecteurs et le souci de l'actualité.

[P]our satisfaire a ces deux obligations, il n’aurait qu’une ressource, parler latin.

Il est certain que le latin dans les mots brave d’autant plus l'honnêteté que bien des gens ne comprennent pas cette langue, en laquelle le berger Corydon, faisait ses déclarations au bel Alexis.

Mais en vérité, la position du chroniqueur rappelle celle du professeur de latin, le jour où il est obligé de faire traduire à ses élèves la deuxième églogue de Virgile, celle précisément où il est question de l'inflammable berger.

L’homme érudit qui s’efforça, mais en vain de m'enseigner la langue de Perse, d’Horace et de Juvénal s’en tirerait de la façon la plus simple du monde.

Voici la scène :

— Voyons, messieurs, un peu de mot à mot. Où en étions-nous restés à la dernière fois ?

UN BON ÉLÈVE. — Virgile, deuxième églogue.

LE PROFESSEUR — Bien ? à qui le tour ?... Vous. Tripobleu, traduisez.

TRIPOBLEU. (Lisant, de ce ton traînard particulier aux écoliers qui attendent qu’on leur souffle). Formosum pastor Corydon ardebat Alexim.

LE PROFESSEUR. — Bon, traduisez, maintenant, mot à mot.

TRIPOBLEU. — (Qui vient de jeter un regard sur une traduction clandestine). Pasttor Corydon, le berger Corydon, ardebat ....., (Une hésitation) ardebat... heu... heu !

Tripobleu se met à se tordre.

LE PROFESSEUR. — Eh bien, quoi, ardebat ? qu’est-ce que vous avez à rire comme un idiot ? Vous me copierez cent vers.... Au suivant. Voyons, monsieur Canard, ardebat ?

CANARD. — Le berger Corydon... ardebat ... heu!.,. hi!.., (Canard se met à se tordre).

LE PROFESSEUR. — Non, mais, sont-ils bêtes ! Qu’est-ce qu’ils ont tous à rire bêtement comme cela.... Le berger Corydon brûlait d’amour pour le bel Alexis. Qu'est-ce que vous voyez de drôle là-dedans. C’est tout naturel !... Le premier qui rit, consigné dimanche toute la journée. Au suivant !

* * *

Voilà comment l’histoire de M. Oscar Wilde ramène tout naturellement aux souvenirs de collège.

Elle ramène aussi aux souvenirs de la Pall Mall Gazette.

C’est, comme disait le marquis de Queensberry, une histoire qui ramène en arrière.

Et dire que depuis l'affaire de Walcheren les Anglais n’avaient plus jamais tourné le dos.

On conçoit dès lors l’indignation du marquis de Queensbury contre son fils lord Douglas et contre M. Oscar Wilde qui ont pour toujours terni cette réputation de bravoure.

Il paraît, cependant, que la vertueuse Albion se gargarise depuis quelques jours de tous les détails de ce procès.

On lit les journaux en famille, le soir, en buvant son thé et chacun place son mot.

On n’aura pas de peine à croire que ce mot est toujours plein d'une vertueuse colère.

Seulement ce n’est pas à M. Oscar Wilde qu'on en veut le plus.

On est surtont furieux contre le marquis de Queensberry, autrement dit de Bourg-la-Reine, qui a révélé ces aimables habitudes à l’Europe.

Shoking ! my dear ! ces choses-là se font mais on ne les dit pas. Shoking ! Monsieur de Bourg-la-Reine.

Quelques personnes se sont étonnées que le juge n’ait pas prononcé le huis-clos.

M’enfermer avec M, Oscar Wilde ! a répondu cet aimable magistrat, plus souvent ! Il serait capable de m’offrir un étui à cigarettes à la sortie.

On en veut surtout au marquis de Queensberry d'avoir mêlé à toute cette affaire le nom de lord Roseberry, de M. le Premier comme on dit là-bas.

Les Anglais ont le respect de leur gouvernement.

Ils sont très embêtés que M. le Premier puisse être soupçonné de relations avec M. Oscar Wilde.

Quelle honte pour le pays si, en raison de ces relations, on appelait plus M. Wilde que M. le Second.

* * *

M. Wilde a fui l’Angleterre, et, comme je le disais au début de cet article, tout porte à penser qu’il se réfugiera à Paris.

Nous le reverrons promener sur les boulevards sa face grasse et glabre qui faisait hésiter le marquis de Queensberry sur la question de savoir s’il lui botterait la figure ou le derrière.

Et comme il sera devenu notre hôte, quand les Anglais parleront de ses facéties, ils les appelleront une fois de plus les vices français.

Parions qu'il aura un certain succès chez nous.

Avec le snobisme qui a cours, il risque d’être adopté par la meilleure société, oh ! en tout bien, tout honneur, et à titre de simple curiosité.

On le recevra dans les maisons les plus collet-monté, mais pour éviter les cancans, on le priera de prendre l'escalier de service, et tout porte à penser qu’il le fera avec plaisir.

Savez-vous que M. Oscar Wilde rendrait de grands services aux maris qui n’aiment pas à sortir avec leurs femmes et qui pourtant craignent de confier celles-ci au premier cavalier servant venu.

En apercevant madame au bras du sympathique écrivain sur lequel tous les petits télégraphistes de Londres ont les yeux ils pourraient s’écrier en toute confiance : — Je suis bien tranquille!

Il serait non moins utile aux jeunes gens qui débutent dans la haute vie, et qui caressent sans espoir le rêve d’aller chercher les actrices jusque dans leur antre, je veux dire dans les coulisses.

M. Wilde pourrait les y conduire, car, comme l’a dit une jolie femme, en sa qualité d’auteur dramatique, on ne lui refuse pas l’entrée des artistes.

Paul Dolfus.

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