LE BOULEVARD
OLD ENGLAND

M. Oscar Wilde est attendu à Paris. Quelques jeunes couturiers espèrent avoir gagné bientôt de quoi s'établir. La rue de Penthièvre illumine. Et cependant, les Parisiens n’ont pas encore appelé Londres la moderne Sodôme.

M. Oscar Wilde est attendu à Paris. Quelques jeunes couturiers espèrent avoir gagné bientôt de quoi s'établir. La rue de Pènthièvre illumine. Et cependant, les Parisiens n’ont pas encore appelé Londres la moderne Sodome.

Le chroniqueur est aujourd'hui dans une position bien embarrassante.

Le chroniqueur est aujourd’hui dans une position bien embarrassante.

Il est pris entre le respect de ses lecteurs et le souci de l’actualité.

Il est pris entre le respect de ses lecteurs et le souci de l'actualité.

Pour satisfaire à ces deux obligations, il n’aurait qu’une ressource, parler latin.

[P]our satisfaire a ces deux obligations, il n’aurait qu’une ressource, parler latin.

Il est certain que le latin dans les mots brave d’autant plus l’honnêteté que bien des gens ne comprennent pas cette langue, en laquelle le berger Corydon, faisait ses déclarations au bel Alexis.

Il est certain que le latin dans les mots brave d’autant plus l'honnêteté que bien des gens ne comprennent pas cette langue, en laquelle le berger Corydon, faisait ses déclarations au bel Alexis.

Mais en vérité, la position du chroniqueur rappelle celle du professeur de latin, le jour où il est obligé de faire traduire à ses élèves la deuxième églogue de Virgile, celle précisément où il est question de l’inflammable berger.

Mais en vérité, la position du chroniqueur rappelle celle du professeur de latin, le jour où il est obligé de faire traduire à ses élèves la deuxième églogue de Virgile, celle précisément où il est question de l'inflammable berger.

L’homme érudit qui s'efforça, mais en vain de m’enseigner la langue de Perse, d'Horace et de Juvénal s’en tirait de la façon la plus simple du monde.

L’homme érudit qui s’efforça, mais en vain de m'enseigner la langue de Perse, d’Horace et de Juvénal s’en tirerait de la façon la plus simple du monde.

Voici la scène :

— Voyons, messieurs, un peu de mot à mot. Où en étions-nous restés la dernière fois ?

— Voyons, messieurs, un peu de mot à mot. Où en étions-nous restés à la dernière fois ?

UN BON ÉLÈVE. — Virgile, deuxième églogue.

LE PROFESSEUR. — Bien? à qui le tour?… Vous, Tripobleu, traduisez.

TRIPOBLEU. (Lisant, de ce ton traînard particulier aux écoliers qui attendent qu’on leur souffle). — Formosum pasfor Corydon ardebat Alexis.

TRIPOBLEU. (Lisant, de ce ton traînard particulier aux écoliers qui attendent qu’on leur souffle). Formosum pastor Corydon ardebat Alexim.

LE PROFESSEUR. — Bon, traduisez, maintenant, mot à mot.

TRIPOBLEU. (Qui vient de jeter un regard sur une traduction clandestine). — Pastor Coridon, ardebat…, (Une hésitation) ardebat… heu... heu !

TRIPOBLEU. — (Qui vient de jeter un regard sur une traduction clandestine). Pasttor Corydon, le berger Corydon, ardebat ....., (Une hésitation) ardebat... heu... heu !

Tripobleu se se met à se tordre.

LE PROFESSEUR. — Eh bien, quoi, ardebat ? qu’est-ce que vous avez à rire comme un idiot ? Vous me copierez cent vers,.. Au suivant. Voyons, monsieur Canard, ardebat ?

LE PROFESSEUR. — Eh bien, quoi, ardebat ? qu’est-ce que vous avez à rire comme un idiot ? Vous me copierez cent vers.... Au suivant. Voyons, monsieur Canard, ardebat ?

CANARD. — Le berger Corydon... ardebat… heu !… hi ! (Canard se met à se tordre).

CANARD. — Le berger Corydon... ardebat ... heu!.,. hi!.., (Canard se met à se tordre).

LE PROFESSEUR. — Non, mais, sont-ils bêtes ! Qu’est-ce qu'ils ont tous à rire bêtement comme cela ?... Le berger Corydon brûlait d’amour pour le bel Alexis... Qu’est-il que vous voyez de drôle là dedans. C’est tout naturel !… Le premier qui rit, consigné dimanche toute la journée. Au suivant !

LE PROFESSEUR. — Non, mais, sont-ils bêtes ! Qu’est-ce qu’ils ont tous à rire bêtement comme cela.... Le berger Corydon brûlait d’amour pour le bel Alexis. Qu'est-ce que vous voyez de drôle là-dedans. C’est tout naturel !... Le premier qui rit, consigné dimanche toute la journée. Au suivant !

* * *

Voilà comment l’histoire de M. Oscar Wilde ramène tout naturellement aux souvenirs de collège.

Voilà comment l’histoire de M. Oscar Wilde ramène tout naturellement aux souvenirs de collège.

Elle ramène aussi aux souvenirs de la Pall Mall Gazette.

C'est, comme disait le marquis de Queensberry, une histoire qui ramène en arrière.

C’est, comme disait le marquis de Queensberry, une histoire qui ramène en arrière.

Et dire que depuis l'affaire de Walcheren les Anglais n’avaient plus jamais tourné le dos.

Et dire que depuis l'affaire de Walcheren les Anglais n’avaient plus jamais tourné le dos.

On conçoit dès lors l’indignation du marquis de Queensbury contre son fils lord Douglas et contre M. Oscar Wilde qui ont pour toujours terni cette réputation de bravoure.

On conçoit dès lors l’indignation du marquis de Queensbury contre son fils lord Douglas et contre M. Oscar Wilde qui ont pour toujours terni cette réputation de bravoure.

Il parait, cependant, que la vertueuse Albion se gargarise depuis quelques jours de tous les détails de ce procès.

Il paraît, cependant, que la vertueuse Albion se gargarise depuis quelques jours de tous les détails de ce procès.

On lit les journaux en famille, le soir, en buvant son thé et chacun place son mot.

On lit les journaux en famille, le soir, en buvant son thé et chacun place son mot.

On n’aura pas de peine à croire que ce mot est toujours plein d’une vertueuse colère.

On n’aura pas de peine à croire que ce mot est toujours plein d'une vertueuse colère.

Seulement, ce n’est pas à M. Oscar Wilde qu'on en veut le plus.

On est surtout furieux contre le marquis de Queensberry, autrement dit de Bourg-la-Reine, qui a révélé ces aimables habitudes à l’Europe.

On est surtont furieux contre le marquis de Queensberry, autrement dit de Bourg-la-Reine, qui a révélé ces aimables habitudes à l’Europe.

Shoking ! my dear ! ces choses-là se font ; mais on ne les dit pas. Shoking ! Monsieur de Bourg-la-Reine.

Shoking ! my dear ! ces choses-là se font mais on ne les dit pas. Shoking ! Monsieur de Bourg-la-Reine.

Quelques personnes se sont étonnées que le juge n’ait pas prononcé le huis clos.

Quelques personnes se sont étonnées que le juge n’ait pas prononcé le huis-clos.

M’enfermer avec M. Oscar Wilde ! a répondu cet aimable magistrat, plus souvent ! Il serait capable de m’offrir un étui à cigarettes à la sortie.

M’enfermer avec M, Oscar Wilde ! a répondu cet aimable magistrat, plus souvent ! Il serait capable de m’offrir un étui à cigarettes à la sortie.

* * *

On en veut surtout au marquis de Queensberry d’avoir mêlé à toute cette affaire le nom de lord Roseberry, de M. le Premier comme on dit là-bas.

On en veut surtout au marquis de Queensberry d'avoir mêlé à toute cette affaire le nom de lord Roseberry, de M. le Premier comme on dit là-bas.

Les Anglais ont le respect de leur gouvernement.

Ils sont très embêtés que M. le Premier puisse être soupçonné de relations avec M. Oscar Wilde.

Ils sont très embêtés que M. le Premier puisse être soupçonné de relations avec M. Oscar Wilde.

Quelle honte pour le pays si, en raison de ces relations, on n’appelait plus M. Wilde que M. le Second.

Quelle honte pour le pays si, en raison de ces relations, on appelait plus M. Wilde que M. le Second.

* * *

M. Wilde a fui l’Angleterre, et, comme je le disais au début de cet article, tout porte à penser qu’il se réfugiera à Paris.

M. Wilde a fui l’Angleterre, et, comme je le disais au début de cet article, tout porte à penser qu’il se réfugiera à Paris.

Nous le reverrons promener sur les boulevards sa face grasse et glabre qui faisait hésiter le marquis de Queensberry sur la question de savoir s’il lui botterait la figure ou le derrière.

Nous le reverrons promener sur les boulevards sa face grasse et glabre qui faisait hésiter le marquis de Queensberry sur la question de savoir s’il lui botterait la figure ou le derrière.

Et comme il sera devenu notre hôte, quand les Anglais parleront de ses facéties, ils les appelleront une fois de plus les vices français.

Et comme il sera devenu notre hôte, quand les Anglais parleront de ses facéties, ils les appelleront une fois de plus les vices français.

Parions qu’il aura un certain succès chez nous.

Avec le snobisme qui a cours, il risque d’être adopté par la meilleure société, oh ! en tout bien, tout honneur, et à titre de simple curiosité.

Avec le snobisme qui a cours, il risque d’être adopté par la meilleure société, oh ! en tout bien, tout honneur, et à titre de simple curiosité.

On le recevra dans les maisons les plus collet-monté, mais pour éviter les cancans, on le priera de prendre l’escalier de service, et tout porte à penser qu’il le fera avec plaisir.

On le recevra dans les maisons les plus collet-monté, mais pour éviter les cancans, on le priera de prendre l'escalier de service, et tout porte à penser qu’il le fera avec plaisir.

Savez-vous que M. Oscar Wilde rendrait de grands services aux maris qui n’aiment pas à sortir avec leurs femmes et qui pourtant craignent de confier celle-ci au premier cavalier servant venu.

Savez-vous que M. Oscar Wilde rendrait de grands services aux maris qui n’aiment pas à sortir avec leurs femmes et qui pourtant craignent de confier celles-ci au premier cavalier servant venu.

En apercevant madame au bras du sympathique écrivain sur lequel tous les petits télégraphistes de Londres ont les yeux, ils pourraient s'écrier en toute confiance :

En apercevant madame au bras du sympathique écrivain sur lequel tous les petits télégraphistes de Londres ont les yeux ils pourraient s’écrier en toute confiance : — Je suis bien tranquille!

— Je suis bien tranquille !

Il serait non-moins utile aux jeunes gens qui débutent dans la haute vie, et qui caressent sans espoir le rêve d’aller chercher les actrices jusque dans leur antre, je veux dire dans les coulisses.

Il serait non moins utile aux jeunes gens qui débutent dans la haute vie, et qui caressent sans espoir le rêve d’aller chercher les actrices jusque dans leur antre, je veux dire dans les coulisses.

M. Wilde pourrait les y conduire, car, comme l'a dit une jolie femme, en sa qualité d’auteur dramatique, on ne lui refuse pas l’entrée des artistes.

M. Wilde pourrait les y conduire, car, comme l’a dit une jolie femme, en sa qualité d’auteur dramatique, on ne lui refuse pas l’entrée des artistes.

Paul Dollfus.

THE BOULEVARD
OLD ENGLAND

Mr. Oscar Wilde is expected in Paris. A few young fashion designers hope to soon have earned enough to establish themselves. Rue de Penthièvre lights up. And yet, the Parisians have not yet called London the modern Sodôme.

The columnist is now in a very embarrassing position.

He is caught between the respect of his readers and the concern for current events.

To satisfy these two obligations, he would have only one resource, to speak Latin.

It is certain that Latin in words defies honesty all the more because many people do not understand this language, in which the shepherd Corydon made his declarations to the handsome Alexis.

But in truth, the position of the chronicler recalls that of the Latin teacher, the day when he is obliged to have his students translate the second eclogue of Virgil, precisely the one where the inflammable shepherd is mentioned.

The erudite man who tried, but in vain, to teach me the language of Persia, Horace and Juvenal got off with the simplest way in the world.

Here is the scene:

"Let's see, gentlemen, a little word for word." Where did we leave off last time?

A GOOD STUDENT. — Virgil, second eclogue.

THE TEACHER. - Good? Who's next?… You, Tripobleu, translate.

TRIPOBLUE. (Reading, in that sluggish tone peculiar to schoolchildren who wait to be prompted). — Formosum pasfor Corydon ardebat Alexis.

THE TEACHER. — Okay, now translate, word for word.

TRIPOBLUE. (Who just took a look at a clandestine translation). — Pastor Coridon, ardebat…, (A hesitation) ardebat… uh... uh!

Tripobleu begins to writhe.

THE TEACHER. "Well, what, ardebat?" why are you laughing like an idiot? You will copy me a hundred verses. Next. Come on, Monsieur Canard, ardebat?

DUCK. — The shepherd Corydon... ardebat... uh!... hi! (Duck starts writhing).

THE TEACHER. - No, but, are they stupid! Why are they all laughing stupidly like that?... The shepherd Corydon was burning with love for the handsome Alexis... What do you see funny in that. It's quite natural!… The first one who laughs, consigned all day Sunday. Next !

* * *

That's how Mr. Oscar Wilde's story naturally leads back to college memories.

It also brings back memories of the Pall Mall Gazette.

It is, as the Marquess of Queensberry said, a story that goes back in time.

And to think that since the Walcheren affair the English had never turned their backs.

We can therefore imagine the indignation of the Marquess of Queensbury against his son, Lord Douglas, and against Mr. Oscar Wilde, who have forever tarnished this reputation for bravery.

It seems, however, that the virtuous Albion has been gargling for a few days all the details of this trial.

We read the newspapers as a family, in the evening, drinking our tea and everyone puts their word.

It will be easy to believe that this word is always full of virtuous anger.

Only, it is not to Mr. Oscar Wilde that we want the most.

We are especially furious against the Marquis de Queensberry, in other words de Bourg-la-Reine, who revealed these pleasant habits to Europe.

Shocking! my dear! these things are done; but we don't say them. Shocking! Monsieur de Bourg-la-Reine.

Some people were surprised that the judge did not order the closed session.

Lock me up with Mr. Oscar Wilde! replied this amiable magistrate, more often! He would be able to offer me a cigarette case on the way out.

* * *

They are especially angry with the Marquess of Queensberry for having mixed up the name of Lord Roseberry, of Mr. the First, as they say over there, in this whole affair.

The English have the respect of their government.

They are very annoyed that Mr. the First could be suspected of relations with Mr. Oscar Wilde.

What a shame for the country if, because of these relations, Mr. Wilde was no longer called anything but Mr. Second.

* * *

Mr. Wilde fled England, and, as I said at the beginning of this article, everything suggests that he will take refuge in Paris.

We shall see him again walking the boulevards with his plump, clean-shaven face which made the Marquess of Queensberry hesitate on the question of knowing whether he would kick his face or his behind.

And as he will have become our guest, when the English speak of his pranks, they will once again call them French vices.

We bet he will have some success with us.

With the prevailing snobbery, he risks being adopted by the best society, oh! in all good, all honour, and as a simple curiosity.

We will receive him in the most uptight houses, but to avoid gossip, we will ask him to take the back stairs, and everything suggests that he will do so with pleasure.

Do you know that Mr. Oscar Wilde would be of great service to husbands who do not like to go out with their wives and yet who are afraid to entrust the latter to the first cavalier who comes along.

On perceiving Madame on the arm of the sympathetic writer on whom all the little London telegraphers have their eyes, they might exclaim in all confidence:

- I am very quiet!

It would be no less useful to young people who are starting out in high life, and who cherish the hopeless dream of going after actresses even in their lair, I mean behind the scenes.

Mr. Wilde could take them there, for, as a pretty woman said, in his capacity as a playwright, he is not refused entry to artists.

Paul Dollfus.