Le Gaulois - Friday, April 12, 1895

Londres, 11 avril.

A la suite des incidents de la première audience, dont nous avons rendu compte, nous annoncions que des poursuites allaient être intentées contre M. Oscar Wilde.

Il a comparu aujourd'hui devant le tribunal de Bow-Street, présidé par sir John Bridge. Un public très nombreux et aussi quelque peu bruyant a envahi la petite salle d'audience, dans laquelle se règlent d'ordinaire les affaires d'extradition, trop exiguë aujourd'hui pour un procès à sensation.

Les deux accusés, Oscar Wilde et Taylor, devront-ils être renvoyés devant les assises criminelles?

Telle est la question à laquelle doit répondre le juge.

Taylor est poursuivi comme complice, et l'accusation lui reproche d'avoir favorisé par de coupables complaisances la scandaleuse inconduite de M. Oscar Wilde.

Ce dernier est très abattu. Il n'a plus l'indifférente assurance des premiers jours. Il est extrêmement pâle et toute sa physionomie semble torturée par l'inquiétude.

Taylor, au contraire, a conservé une bonne humeur dédaigneuse, une faconde cynique qui semble dénoter une absence absolue de conscience et de dignité. Sir Edward Clarcke, l'avocat de M. Oscar Wilde, dès le début de l'audience, a déclaré renoncer à l'audition de tous témoins.

C'est M.Newton, avocat de Taylor, qui, suivant la coutume anglaise, va poser les questions aux témoins.

Le premier, Charles Parker, déclare que Taylor lui a demandé s'il voudrait être présenté a M. Wilde.

Il a répondu affirmativement.

Il avoue, d'ailleurs, s'être déjà soumis aux sollicitations d'autres personnes que M. Wilde et, le délit une fois commis, s'être, après coup, rendu complice d'un fort chantage.

Un comédien, Atkins, lui succède à la barre.

Il a vingt-deux ans. Au mois de novembre 1893, il fut invité a dîner, au restaurant de l'hôtel de Florence.

Là, il rencontra Oscar Wilde, Taylor et deux autres personnes. C'était la première fois qu'il voyait Oscar Wilde. Celui-ci lui demanda d'aller à Paris avec lui en qualité de secrétaire particulier. Ils partirent deux jours après, descendirent dans un hôtel du boulevard des Capucines, où ils prirent deux chambres contiguës. Le lendemain, après avoir déjeuné dans un café, Wilde le conduisit chez un coiffeur où il lui fit couper et friser les cheveux.

D'autres témoins, tels qu'un nommé Shelly, en des termes auxquels il nous est impossible de faire même allusion, étalent avec complaisance leur propre turpitude. Qu'il nous suffise de dire que la lumière est faite dans ce triste procès; jamais faits plus scandaleux n'auront été établis avec un tel luxe de preuves. Sir John Bridge a refusé de mettre les prévenus en liberté sous caution et a renvoyé à huitaine la continuation des débats.

MAITRE Z...

La Justice - Saturday, April 13, 1895

L'affaire Oscar Wilde est revenue hier devant le tribunal de Bow-Street. On sait qu'il s'agit simplement de savoir si les deux inculpés, Wilde et Taylor seront renvoyés ou non devant les assises.

Néaumoins la salle était comble, lorsque les deux prévenus assistés de leurs défenseurs sir Edward Clarke et M. Newton, ont fait leur entrée. Pale, amaigri, Wilde, semblait très abattu; Taylor au contraire affectait une attitude cynique.

C'était hier au tour de la défense de procéder à l'interrogatoire des témoins. Sir Edward Clarke y renonce presque aussitôt, et c'est M. Newton qui demande à poser quelques questions aux témoins.

Les témoins

On entend d'abord un certain Parker qui déclare s'être rendu deux fois au Savoy-Hôtel, en compagnie d'Oscar Wilde.

Pressé de questions par l'avocat, il reconnaît avoir connu un comédien du nom d'Atkins, puis avoue avoir commis des indécences avec une personne que deux de ses camarades ont fait ensuite chanter dans les grands prix.

Il a reçu pour psix de sa coopération une forte somme.

Ce n'est pas lui qui demanda Tàylor de le présenter à Wilde. C'est Taylor qui lui demanda s'il voulait etre présenté à Wilde. Parker répondit affirmativement.

Atkins, dont il vient d'être question, comparaît à son tour comme témoin. Interrogé par M. Gill, ministère public, il répond, ainsi:

Il a vingt-deux ans. Au mois de novembre 1892, il fut invité à diner an restaurant de l'hotel de Florence.

Là, il rencontra Oscar Wilde, Taylor et deux autres personnes.

C'était la première fois qu'il voyait Oscar Wilde. Celui-ci lui demanda d'aller à Paris, avec lui en qualité de secrétaire particulier.

Ils partirent deux jours après, descendirent dans un hôtel du boulevord des Capucines, où ils prirent deux chambres contigues.

A Paris. -- Un souper

Le lendemain après avoir déjeuné dans un café, Wilde le conduisit chez un coiffeur où il lui fit couper et friser les cheveux.

Ils soupirent ensemble dans la soirée.

« C'est le meilleur souper que j'aie jamais fait de ma vie! » s'écrie le témoin à ce souvenir.

Ensuite Oscar Wilde lui donna un louis avec lequel Atkins alla s'amuser au Moulin Rouge.

Quand il rentra â l'hôtel,il trouva Wilde déjà couché avec quelqu'un.

Il alla se coucher de son côté.

Plus avant dans la nuit, Wilde vint le trouver dans sa chambre; et après un instant de conversation, voulut entrer dans son lit.

Mais Atkins l'emempecha.

Wilde lui donna à Paris un porte-cigarettes en argent et quand ils furent de retour à Londres il lui fit don de trois livres, en débarquant à la station de Victoria.

Dans la suite, Wilde lui écrivit d'aller le voir. Il y alla en effet.

Lorsque Wilde, au restaurant de Florenoe, lui demanda de le suivre à Paris, il lui avait passé le bras autour de la taille.

M. Newton, défenseur de Taylor, procède au contre-interrogatoire d'Atkins et lui dit:

« N'avez-vous donc pas été présenté à Taylor par un monsieur à Parîs? »

Atkins répond: Oui. -- Et cette meme personne ne vous a t-elle pas également présenté à Wilde? -- Oui répond le témoin qui raconte ensuite avoir vécu avec un nommé Burton.

Atkins nie avoir jamais participé à aucun acte de chantage. Il nie également avois commis des actes immoraux pour vivre.

Le magistrat demande au témoin s'il a servi de secrétaire à Wîlde à Paris.

La témoin dit qu'il a recopié une pièce de théâtre pour lui.

D. -- Etait-ce une femme ou bien un homme qui était couché avec Wilde lors que vous êtes rentré à l'hôtel? R. -- C'était un homme.

La série continue

Un autre témoin, Shelly, raconte qu'il fit la connaissance de Wilde chez un éditeur ou il était employé.

Wilde lui écrivit d'aller le voir à l'hôtel Albermale. Ils dînèrent ensemble, et après le diner où ils burent beaucoup, ils se rendirent dans le salon particulier de Wilde qui, vers une heure du matin, invita Shelly à venir se coucher: ce qu'il fit.

Wilde, en lui conduisant dans la chambre à coucher, l'embrassa à plusieurs reprises. Il passa toute la nuit avec Wilde, couché dans le même lit. Ils se rencontrèrent le lendemain de nouveau et vistèrent plusieurs restaurants et cafés.

Le témoin assure qu'il a détruit toutes les lettres que Wilde lui a écrites.

Ouant à Taylor, c'est pour lui un étranger.

Plusieurs femmes ayant habité dans les mêmes maisons que Parker et Taylor déposent etracontent leurs soupçons.

On demande à l'une delle: -- Est-ce que Taylor ne recevait jamais des femmes? -- Oh non! répond-elle.

Le garçon d'un petit hotel de Saint-Jame's Palace, où Wilde habite quelques temps, raconte les memes faits.

Le propriétaire de l'hôlel Albermale, près plusieurs séjours de Wiide ehex lui, eut des soupçuns et chercha à se débarrasser de lui en le faisant, poursuivre par son sollicitor pour une note restée en souffrance.

L'inspecteur de police Charles Richard et un de ses collèques racontent s'opérèrent l'arrestation de Wilde et Taylor. Ces faits sont connus, sauf que chez Taylor on trouve entre autres choses, une lettre adressée à Mavor, un des témoins de samedi dernier; cette lettre est ainsi conçue:

« Cher Soti impossible d'attendre plus longtemps. Viens tout de suite voir Oscar. Il est à sa maison de Chelsea. »

Les détectives trouvèrent huit paires de pantalons chez Taylor; les poches da sept de ces pantalons étaient complètement décousses.

Quelques autres témoins de peu d'importance donnent quelques explications qui n'ajoutent rien à la triste clarté, suffisament complète d'ailleurs, des faits déjà révélés.

Sir John Bridge ajourne l'affaire à demain en huit et refuse de laisser les deux prisonniers en liberté sous caution.

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