Le Gaulois - Wednesday, May 1, 1895

Cette dernière journée de débats, a semblé, contrairement à l'attente générale, ranimer l'intérêt épuisé de ce triste procès. Un incident, qui a causé dans l'auditoire une véritable émotion, a été soulevé par le brusque changement d'attitude de l'accusé auquel une question du ministère public a soudain fait abandonner l'allure abattue et honteuse qu'il avait gardée depuis le commencement du procès. Sir Clarke avait pour la seconde fois pris la parole, et M. Gill, avocat de l'accusation, s'apprêtait à répliquer à son tour, lorsqu'une allusion fut faite à un sonnet que lord Douglas aurait adressé à M. Wilde.

Expliquez-vous, demanda M. Gill à l'accusé, sur les termes bizarres de cette pièce de vers qu'un sentiment d'amitié, si profond qu'il soit, serait impuissant à justifier.

A cette question, M. Wilde se lève vivement et, avec un accent de colère indignée, s'écrie :

C'est là une affection que votre siècle ne peut comprendre. C'est celle de David pour Jonathan. C'est celle que Platon décrit dans sa philosophie comme le commencement de la sagesse. C'est une affection spirituelle et profonde, aussi pure qu'elle est parfaite. C'est elle qui donne naissance aux plus grands chefs-d'œuvre de l'art! Un semblable sentiment est bien mal compris aujourd'hui! C'est un sentiment intellectuel entre deux hommes, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, le plus âgé possédant l'expérience du monde, le plus jeune renfermant en lui la joie, l'espérance, le charme de la vie. C'est la une chose, je le répète, que votre époque ne comprend pas. Elle est le but des risées de tous et conduit ses adeptes au pilori.

Cette déclaration a été accueillie par des applaudissements tellement nourris et bruyants, que le magistrat a dû menacer de faire évacuer la salle si pareille manifestation se reproduisait.

Après plaidoirie de Me Yrain pour Taylor et une seconde réplique de l'avocat de l'accusation M. Gills, l'audience est renvoyée à aujourd'hui pour le verdict.

La France - Thursday, May 2, 1895

De Londres, 30 avril :

Les débats de l'affaire Oscar Wilde et Taylor ont été repris ce matin devant la cour criminelle centrale.

M. Gill, un des membres du ministère public, déclare que, pour permettre aux accusés d’être entendus comme témoins, il retire l’accusation d’avoir agi de concert en vue de procurer des personnes pour la perpétration d’actes immoraux.

Sir Edward Clarke commence la défense de son client. Il soutient que les ouvrages de M. Oscar Wilde ne mentionnent aucun personnage ayant commis l’abominable crime reproché à leur auteur.

Oscar Wilde est alors appelé comme témoin et admis à prêter serment.

Le défenseur lui demande :

— Y a-t-il la moindre chose qui soit vraie dans les allégations que vous auriez commis des actes d’indécence?

L’accusé répond qu'il n’y a absolument rien de vrai dans aucune de ces allégations.

M. Gill, ministère public, procède à un contre-interrogatoire de Wilde.

Parlant d’un sonnet de lord Alfred Douglas, dans lequel il est question d’amour, M. Gill demande : « De quelle espèce d’amour s’agissait-il dans cette pièce de vers ? »

Wilde, à cette question, reprend tout son aplomb et répond avec chaleur :

C’est un amour qui n’est pas compris dans ce siècle ! C’est l’amour de David pour Jonathan. C’est l’amour que Platon, dans sa philosophie, décrit comme le commencement de la sagesse. C’est une affection spirituelle et profonde, aussi pure qu’elle est parfaite. C’est elle qui donne naissance aux plus grands chefs-d’œuvre de l’art. Un semblable amour est bien mal compris aujourd’hui ! C’est une affection intellectuelle entre deux hommes, l’un plus âgé, l’autre plus jeune ; le plus âgé possédant l’expérience du monde, le plus jeune renfermant en lui la joie, l’espérance, le charme de la vie. C’est là une chose, je le répète, que notre époque ne comprend pas. Elle est le but des risées de tous et conduit ses adeptes au pilori !

A peine Wilde a-t-il terminé cette longue réponse, que des applaudissements éclatent dans la galerie où se trouve le public.

M. Gill poursuit son interrogatoire.

Wilde nie tout.

A propos d’Alphonse Tonway, de Mavor et d’Atkins, que l’association lui donne comme complices, la question suivante est posée à l’accusé :

D. — Eprouviez-vous pour ces jeunes gens le genre d’affection que vous avez décrit ?

— Non certes, répond Wilde.

Après Wilde, Taylor est appelé à témoigner :

Il est faux, dit-il, qu’il célébré une cérémonie de mariage avec lui. Il n’avait pas de vêtements de femme chez lui ; il avait un costume oriental. Il avait une perruque et des bas de femme. Il fut présenté aux frères Parker par un monsieur dans Piccadilly.

Il ignorait ce qu’ils étaient. Jamais il ne leur suggéra l’idée de gagner de l’argent comme ils l’ont dit. Il leur donna son adresse, les invitant à venir le voir chez lui, où il recevait beaucoup de jeunes gens.

Il présenta les Parker à Wilde sans avoir rien découvert sur ces jeunes gens.

Cet interrogatoire termine le procès proprement dit. Sir Edward Clarke prend de nouveau la parole. Son discours est un magnifique morceau d’éloquence. Les applaudissements éclatent quand il a terminé.

M. Train, avocat de Taylor, présente la défense de ce dernier.

Le procès finira demain.

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