La Justice - Thursday, April 11, 1895

Avec sa passion pour les « malicieux assauts », selon l'euphémique et pittoresque expression du Code anglais, M. Oscar Wilde nous fait une étrange figure d'esthète.. Olys! ô lys!...

Ce poète, si fort épris de liliale candeur et de virginité qu'on le vit naguère déambuler à travers salons et brasseries, la fleur symbolique à la main, eût-on pu croire qu'il en arrivât jamais à ce degré d'ironie ?

Mais, est-ce ironie, vraiment ?

Si l'ironie est chose discrète et légère, il ne semble pas qu'elle fût beaucoup dans les moyens de M. Wilde. Il posait pour le raffinement et le dandysme ; mais, il y avait trop d'affectation dans ses attitudes, trop de fracas dans ses gestes, trop de réclame autour de sa littérature. Il appuyait, à tout propos, britanniquement.

Puffiste, plutôt qu'ironiste et dandy ; et beaucoup plus Oscar qu'esthète.

* * *

On profite de sa mésaventure pour dauber une fois de plus sur l'hypocrisie de la pudique Albion. Il y a matière évidemment à grasses plaisanteries. Mais, il faut bien dire que la pudeur d'Albion, au point de vue de sa renommée, ne se portera pas plus mal — ni mieux — après qu'avant. Ce procès de Bowstreet ne nous apprend, sur certain côté des mœurs britanniques, rien qui ne nous fût connu. On nous fait le compte rendu public de quelques scènes d'une comédie qui se joue habituellement dans l'intimité : on proclame des noms d'acteurs premiers rôles ou comparses. Et voilà tout.

Ce qu'il me ferait plaisir de savoir, dans le cas présent, c'est ce que pensent les jolies Anglaises qui avaient choisi M. Oscar Wilde pour guide intellectuel, pour directeur de leur conscience esthétique. Je m'imagine vaguement la tête que doit faire, depuis huit jours, dans son manoir ou son cottage provincial, la Laura Lakspirit qui écrivit naguère la lettre dithyrambique dont j'ai parlé ici. M. Oscar Wilde était, déclarait-elle, son prophète et son maître élu, elle ne jurait plus que par lui, parce que c'était un homme charmant, libre de préjugés, dédaigneux des pudeurs surannées.

Ce sont là, certes, des raisons péremptoires pour décider une femme. Incontestablement, avec ses qualités éclatantes, avec sa grâce et sa séduction, goûté comme il l'était, M. Oscar Wilde se trouvait mieux en posture que personne pour promulguer des credos esthétiques. Et ces credos, tombés de ses lèvres, pieusement recueillis, devaient lui conquérir d'enthousiastes adeptes, courber, au souffle de sa parole, les plus jolis fronts.

Cependant, en fait de plastique, M. Oscar Wilde témoigne de prédilections un peu déconcertantes pour ses dévotes. Au cas meme ou Mme Laura Lakspirit et ses coreligionnaires en « Wildisme » ne feraient partie d'aucune ligue féministe, n'auraient engagé, au nom de la dignité de leur sexe, aucune lutte contre l'injuste et accapareuse tyrannie des hommes, je doute fort que les accusations formulées par lord Queensberry et les révélations du procès les laissent indifférentes et ne troublent pas un peu leur foi.

Et puis les principes mêmes de l'esthétique de M. Wilde et le beau dédain qu'il affichait pour quiconque n'était pas son admirateur, prêtent à son affaire un intérêt singulièrement aigu et amusant. On ne peut oublier que le poète proclamait, il y a quelques semaines, ce solennel aphorisme : « Il n'y a que les médiocrités qui progressent. » Et il ajoutait qu'un homme comme lui, à toutes les dates de sa carrière, est constamment égal à lui-même, Il n'a pas progressé. Il fut ainsi, toujours.

Allons, c'est bien, l'esthétisme de M. Wilde est un cercle dont le centre est partout, — pas tout a fait, tout de même, il le choisissait — et la circonférence nulle part.

C'est pour cela, sans doute, qu'on le prétendait divin.

Faut-il dire que cette divinité était pure littérature ?

La littérature n'a rien fait pour être rendue responsable d'un tel ridicule. Ni l'art, non plus.

Certes, il y a à Paris, comme à Londres, des bandes de petits dieux et des troupeaux de vagues déesses qui, plus ou moins « wildisent », s'érigent ou se couchent en de snobiques paradis d'où ils fuminent, Jéhovahs sans souffle, de mystiques décalogues.

Ces dieux et ces déesses sont étonnamment inféconds. M. Brunetière, qui leur fut d'abord violemment hostile, leur souriait un peu, depuis quelque temps. M. de Vogüé lui avait parlé pour eux. Mais leur impuissance est désastreuse. M. Brunetière attendait de ces dieux un argument en faveur de la Création, au moins de la création esthétique ! Ah ! bien oui.

Mais, ce n'est pas une raison pour dauber sur l'art et sur les lettres. Ce n'est pas une raison pour exécuter sur le mouvement préraphaélite, ni telle ou telle école, dont M. Oscar Wilde a pu se réclamer.

« Je ne fais rien que d'extraordinaire », a-t-il dit au juge.

C'est un mot de Dieu. Brûlons lui des parfums, et que tout soit dit.

B. Guinaudeau.

La Cocarde - Thursday, April 11, 1895

Avec sa passion pour les « malicieux assauts », selon l’euphémique et pittoresque expression du Code anglais, M. Oscar Wilde nous fait une étrange figure d’esthète... Olys ! ô lys !...

Ce poète, si fort épris de liliale candeur et de virginité qu’on le vit naguère déambuler à travers salons et brasseries, la fleur symbolique à la main, eût-on pu croire qu’il en arrivât jamais à ce degré d’ironie ?

Mais, est-ce ironie, vraiment ?

Si l’ironie est chose discrète et légère, il ne semble pas qu’elle fût beaucoup dans les moyens de M. Wilde. Il posait pour le raffinement et le dandysme ; mais, il y avait trop d’affectation dans ses attitudes, trop de fracas dans ses gestes, trop de réclame autour de sa littérature. Il appuyait, à tout propos, britanniquement.

Puffiste, plutôt qu’ironiste et dandy ; et beaucoup plus Oscar qu’esthète.

* * *

On profite de sa mésaventure pour dauber une fois de plus sur l’hypocrisie de la pudique Albion. Il y a matière évidemment à grasses plaisanteries. Mais, il faut bien dire que la pudeur d'Albion, au point de vue de sa renommée, ne se portera pas plus mal — ni mieux — après qu’avant. Ce procès de Bowstreet ne nous apprend, sur certain côté des moeurs britanniques, rien qui ne nous fût connu. On nous fait le compte rendu public de quelques scènes d’une comédie qui se joue habituellement dans l’intimité : on proclame des noms d’acteurs premiers rôes ou comparses. Et voilà tout.

Ce qu’il me ferait plaisir de savoir, dans le cas présent, c’est ce que pensent les joiies Anglaises qui avaient choisi M. Oscar Wilde pour guide intellectuel, pour directeur de leur conscience esthétique. Je m’imagine vaguement la tête que doit faire depuis huit jours, dans son manoir ou son cottage provincial, la Laura Lakspirit qui écrivit naguère la lettre dithyrambique dont j’ai parlé ici. M. Oscar Wilde était, déclarait-elle, son prophète et son maître élu, elle ne jurait plus que par lui, parce que c’était un homme charmant, libre de préjugés, dédaigneux des pudeurs surannées.

Ce sont là, certes, des raisons péremptoires pour décider une femme. Incontestablement, avec ses qualités éclatantes, avec sa grâce et sa séduction, goûté comme il l’était, M. Oscar Wilde se trouvait mieux en posture que personne pour promulguer des credos esthétiques. Et ces credos, tombés de ses lèvres, pieusement recueillis, devaient lui conquérir d’enthousiastes adeptes, courber, au souffle de sa parole, les plus jolis fronts.

Cependant, en fait de plastique, M. Oscar Wilde témoigne de prédilections un peu déconcertantes pour ses dévotes. Au cas même où Mme Laura Lakspirit et ses coreligionnaires en « Wildisme » ne feraient partie d’aucune ligue féministe, n’auraient engagé, au nom de la dignité de leur sexe, aucune lutte contre l’injuste et accapareuse tyrannie des hommes, je doute fort que les accusations formulées par lord Queensberry et les révélations du procès les laissent indifférentes et ne troublent pas un peu leur foi.

Et puis les principes mêmes de l’esthétique de M. Wilde et le beau dédain qu’il affichait pour quiconque n’était pas son admirateur, prêtent à son affaire un intérêt singulièrement aigu et amusant. On ne peut oublier que le poète proclamait, il y a quelques semaines, ce solennel aphorisme : « Il n’y a que les médiocrités qui progressent. » Et il ajoutait qu’un homme comme lui, à toutes les dates de sa carrière, est constamment égal à lui-même. Il n’a pas progressé. Il fut ainsi, toujours.

Allons, c’est bien. L’esthétisme de M. Wilde est un cercle dont le centre est partout, — pas tout à fait, tout de même, il le choisissait — et la circonférence nulle part.

C’est pour cela, sans doute, qu’on le prétendait divin.

Faut-il dire que cette divinité était pure littérature ?

La littérature n’a rien fait pour être rendue responsable d’un tel ridicule. Ni l’art, non plus.

Certes, il y a à Paris, comme à Londres, des bandes de petits dieux et des troupeaux de vagues déesses qui, plus ou moins « wildisent ». s’érigent ou se couchent en de snobiques paradis d’où ils fuminent, Jéhovahs sans souffle, de mystiques décalogues.

Ces dieux et ces déesses sont étonnamment inféconds. M. Brunetière, qui leur fut d’abord violemment hostile, leur souriait un peu, depuis quelque temps. M. de Vogüé lui avait parlé pour eux. Mais leur impuissance est désastreuse. M. Brunetière attendait de ces dieux un argument en faveur de la Création, au moins de la création esthétique ! Ah ! bien oui.

Mais, ce n’est pas une raison pour dauber sur l’art et sur les lettres. Ce n’est pas une raison pour exécuter sur le mouvement préraphaélite, ni telle ou telle école, dont M. Oscar Wilde a pu se réclamer.

« Je ne fais rien que d’extraordinaire », a-t-il dit au juge.

C’est un mot de Dieu. Brûlons lui des parfums, et que tout soit dit.

Highlighted DifferencesMatch: 99.6%