Le Matin - Saturday, May 25, 1895

Un rédacteur du Journal a eu, à Rouen, avec lord Alfred Douglas une conversation dont nous extrayons le passage suivant :

Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d'être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.

Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que, relativement confus, j'eus achevé de m'exprimer :

— Wilde n'a pas les passions antiphysiques qu'on lui prête. C'est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n'est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : la Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre nature : cela veut-il dire que lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu'il s'abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Bàlzac a peint, dans Une Passion du Desert, l'amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas, pourtant, que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).

— Alors, pour ce qui vous concerne, l'amitié que vous avez vouée à Wilde...

— Cette amitié, fit Alfred Douglas, s'animant, soudain, je ne dis pas qu'elle n'ait pas un côté exceptionnel. J'avoue même, vous entendez, que l'affection que j'ai pour lui est extraordinaire. Appelons-la romantique. It n'y a pas, pour moi, de plus grande joie que celle de dîner avec Oscar Wilde, quand it est en good form. Nos deux âmes communient réellement dans le Symbole. Cela a quelque chose d'extraterrestre. Ici, cela peut sembler louche, et cela n'est que séraphique. Et c'est maintenant, que nous avons tant souffert l'un à cause de l'autre, que nous songerions le moins à nous séparer. Avant, j'étais lié à lui par une sorte d'unique plaisir de dilettante ; je suis maintenant lié à lui, plus sûrement, par la persécution.

Le Soir - Sunday, May 26, 1895

Un rédacteur du Journal a eu, à Rouen, avec lord Alfred Douglas une conversation dont nous extrayons le passage suivant :

Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d’être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.

Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que relativement confus, j’eus achevé de m'exprimer.

— Wilde n’a pas les passions antiphysiques qu’on lui prête, C’est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n’est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : le Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre-nature : cela veut-il dire que lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu’il s’abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Balzac a peint, dans Une Passion du Désert, l’amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas pourtant que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).

— Alors, pour ce qui vous concerne, l’amitié que vous avez vouée à Wilde...

— Cette amitié, fit Alfred Douglas, s’animant soudain, je ne dis pas qu’elle n’ait pas un côté exceptionnel. J’avoue même, vous entendez, que l’affection que j’ai pour lui est extraordinaire. Appelons-la romantique. Il n’y a pas pour moi de plus grande joie que celle de dîner avec Oscar Wilde, quand il est en good form.

Nos deux âmes communient réellement dans le symbole. Cela a quelque chose d’extra-terrestre. Ici, cela peut sembler louche, et cela n’est que séraphique. Et c’est maintenant que nous avons tant souffert l’un à cause de l’autre, que nous songerions le moins à nous séparer. Avant, j’étais lié à lui par une sorte d’unique plaisir de dilettante ; je suis maintenant lié à lui, plus sûrement, par la persécution.

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