L’Opinion française - Friday, May 31, 1895

L’Angleterre, comme l'Allemagne, est le pays des bonnes mœurs. Chacun sait ça.

Aussi, fût-ce avec une véritable stupéfaction que l'Univers apprit les mirifiques exploits du littérateur Oscar Wilde et de ses bons amis Alfred Douglas, Taylor, Parker, and C.

Quant à la Grande-Bretagne elle-même, inutile de dire, n'est-ce pas ? quelle n’est pas encore parvenue à comprendre comment un tel scandale a pu se produire chez elle.

L’ahurissement de notre excellente voisine d’outre-Manche est d'ailleurs facile à concevoir.

Jamais, en effet, — chacun sait ça aussi — on n’entendit parler dans le Royaume-Uni, d’aventures semblables à celle d'Oscar ; et c'est en France, en France seulement que fleurissent les Alfred Douglas et les Wilde, — les Benvenuto Bellardini et les Mas...

* * *

Et cependant, nous en apprenons de belles, ce matin encore, sur le compte des bons insulaires britanniques.

Alas poor England

Voile de tes mains ta face blême, ô vertueuse Angleterre, pour cacher la rougeur que va mettre à tes joues la honte!... Abaisse sur tes yeux verts, ô pudique Albion, tes paupières que vont alourdir des pleurs de chagrin.

Voici ce quinoas lisons dans la Patrie :

Hier après midi, vers 5 h. 1/4, lord Queensberry traversait Piccadilly, allant dans la direction d’Albemarle Street, où est situé son son hôtel. Prêt à tourner le coin de cette rue, il fut accosté par son fils lord Douglas de Hawick, qui paraissait en proie à une vive surexcitation et qui, interpellant brusquement son père pour lui demander compte de lettres insuffisantes écrites par lui à lady Douglas, bouscula plutôt qu’il ne frappa le marquis.

Celui-ci chancela quelque peu et son chapeau tomba, mais, recouvrant bientôt son équilibre, il fondit à poings fermés sur son assaillant.

En ce moment, un policeman s'interposa qui, étendant le bras entre les deux antagonistes, les invita à s’abstenir de toute autre voie de fait.

Toutefois, lord Douglas, au lieu d’obtempère qu’il me jugera de son côté avec plus de bienveillance !

On n'est pas plus accommodant, ni plus aimablement paternel.

Ces Anglais, vous le voyez, sont pétris d’atticisme et d'esprit. Et c'est, en vérité, une bien jolie famille que la famille de Queensberry...

* * *

Le jeune Alfred Douglas... Wilde tient, du reste, à ce que nul n’ignore les sentiments dont sont animés les siens et lui-même à l’égard du marquis.

Un journal ayant rapporté par erreur que c’état lui qui avait « boxé » avec le chef de sa maison, il s'est empressé d’écrire à notre confrère la charmante lettre que voici :

Ce n’est pas moi « malheureusement » qui s'est battu avec lord Queensberry, c’est mon frère aîné lord Douglas of Hawick. Ce n’est pas aussi, comme vous le dites, à cause du verdict contre Taylor que mon frère a fait ce qu’il a fait, puisqu’il ne connaît pas Taylor et n’a même jamais parlé avec lui.

C’est parce que le marquis, depuis deux mois, n’a pas cessé d’écrire a la femme de mon frère des lettres d’une obscénité et d'une grossièreté incroyables.

... Mon père fut divorcé à cause de sa cruauté et de son adulterie depuis huit ans. J'ajouterai que le marquis de Queensberry s'est encore marié il y a quinze mois avec une jeune fille de dix sept ans et qu'il est encore divorcé.

Que dites-vous, chers lecteurs, de cette petite histoire... britannique?

Ne vous semble-t-il pas, comme à nous, que lorsqu'on assiste, dans son propre pays — et plus souvent qu'à son tour — à des scandales de cet acabit, on devrait — au rebours de messieurs les Anglais — « poser » un peu moins pour l’inflexible vertu, et se montrer un peu plus avare d’anathèmes contre les voisins qui ne jouent pas au rigorisme?...

Le Pays - Saturday, May 25, 1895

Nous avons parlé de la rencontre scandaleuse entre lord Queensberry et lord Douglas, le père et le fils à Londres; rencontre qui s'est terminée devant le tribunal de Malborough Street ou les deux adversaires ont été condamnés l'un et l'autre au dépôt d'une caution de 12500 fr. qui leur sera restituées dans six mois si dans ce laps de temps ils ne sont l'objet d'aucune poursuite pour des faits analogues.

Il paraît que le lord Douglas dont il s'agit n'est pas l'ami d'Oscar Wild mais un autre fils de lord Queensberry, ainsi qu'il résulte de la lettre suivante reçue et publiée par le Temps.

Le 22 mai. Monsieur, Je viens de lire dans votre journal une version tout à fait inexacte de l'affaire de mon frère, le marquis de Queensberry. Ce n'est pas moi, malheureusement qui s'est battu avec lord Queensberry, c'est mon frère aîné, lord Douglas of Hawick. Ce n'est pas aussi, comme vous le dites à cause du verdict contre Taylor que mon frère a fait ce qu'il a fait, puisqu'il ne connait pas Taylor et n'a jamais même parlé de lui.

C'est parce que le marquis, depuis deux mois, n'a pas cessé d'écrire à la femme de mon frère des lettres d'une obscénité et d'une grossiéreté incroyables.

Encore une erreur assez sérieuse que vous avez faites c'est de parler de madame ma mère, la marquise de Queensberry, comme la femme divorcée de mon père. Permettez-moi de vous faire connaître, monsieur, que c'est lui qui est le mari divorcé de cette dame le mari divorcé à cause de sa cruauté et de son adulterie depuis huit ans. Ajoutons que le marquis s'est encore marié il y a quinze mois avec une fille de dix-sept ans, et qui est encore divorcé.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien agréer mes excuses pour les fautes que j'ai dû faire dans une langue que je suis inaccoutumé à écrire, et en même temps mes compliments très distingués.

Alfred Douglas

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