La Patrie - Sunday, April 28, 1895

Aujourd’hui, seconde audience devant la Central Criminel Court, du procès Oscar Wilde. Celle d’hier a montré l'affaissement complet du prévenu ; sou attitude est un aveu. Pourtant, de même que son complice Taylor, Wilde a déclaré plaider « non coupable ». On sait que, d’après la loi anglaise, la pénalité est plus ou moins forte, selon que le prévenu a nié, en se reconnaissant non coupable, ou avoué en plaidant coupable.

Le « home » de l'esthète

Dans l’inconsciente correspondance qu’il a adressée aux journaux anglais, le jeune lord Alfred Douglas s’était vanté d’avoir reçu par milliers des lettres d’amis inconnus s’associant à sa campagne en faveur d’Oscar Wilde. Aucun de ces amis ne se trouvait, à coup sûr, dans la petite maison de Tite Street, 16, le jour où l'on vendait le mobilier de l’écrivain dont la notoriété a pris, depuis un mois, une si vilaine tournure.

Cette maison, bien connue de l’accusé Taylor et des témoins Parker, Shelley et Atkins, est une modeste habitation assez éloignée du centre, dans une rue qui s’ouvre sur le quai de Chelsea, près l'hôpital de la Marine. Elle ne se distingue en rien des autres. Impossible d’en admirer les élégances intérieures, cependant si réputées dans la chronique des petits journaux. Tout est sens dessus dessous, en plein déménagement. Il est procédé à la vente dans le grand salon du premier étage, tapissé de papier gaufré vieil or à fleurs, qui encadre au plafond deux vastes panneaux décoratifs japonais : tigre luttant contre des dragons de pourpre, chimère d’or sur un fond de paysage paradoxal traversé par des migrations d’oiseaux couleur d’émeraude.

Plus de tentures. Il ne reste, accrochées au plafond, que des tringles de cuivre doré. Au mur le portrait grandeur nature, d’Oscar Wilde, le Wilde des jours heureux, des soirées à succès, rose, chevelu, portant beau. Dans un fumoir, derrière le salon, s’est entassé le bric-à-brac de la maisonnée : des corbeilles pleines de fioles de pharmacie et de flacons à parfums, des albums, des vêtements d'enfants — Wilde est père de deux garçons — des chiffons, des bouquets artificiels tout poussiéreux dont la pauvre Mme tilde s’est peut-être parée quelque soir.

Dans le public, pas un homme du monde, pas un gentleman, pas une femme comme il faut ; des marchands, rien que des revendeurs, des courtiers suspects.

Citons quelques prix : une traduction de l’Odyssée et de l’Iliade de Pope est payée 18 shillings (23 francs) par un éphèbe ficelé comme un décrotter. La Cassell's History of England est payée 75 francs, sur dernière enchère poussée par un domestique dont on aperçoit le gilet de livrée mal dissimulé sous un veston de ville. Un vieux brocanteur de Soho square achète, sans même en contrôler le contenu, un carton rempli de vieilles eaux-fortes de Londres — les mêmes que l’on vend partout 1 franc tout encadrées. — Des écrans japonais à deux sous la pièce sont disputés sur le pied de 50 centimes. Un tondeur à pantalons, valeur marchande 40 sous, trouve acheteur à 3 francs.

Les meubles auraient atteint des prix sans doute élevés, mais beaucoup avaient été retirés de la vente. La table de travail de Carlyle a été payée 60 livres — 1,500 francs.

Au total, la vente a produit un peu plus de 9,000 francs.

La Presse - Sunday, April 28, 1895

Aujourd'hui, seconde audience devant la Central Criminel Court, du procès Oscar Wilde. Celle d'hier a montré l'affaissement complet du prévenu; son attitude est un aveu. Pourtant, de même que son complice Taylor, Wilde a déclaré plaider «non coupable». On sait que, d'apres la loi anglaise, la pénalité est plus ou moins forte, selon que le prévenu a nié, en se reconnaissant non coupable, ou avoué en plaidant coupable.

Le « home » de l'esthète

Dans l'inconsciente correspondance qu'il a adressée aux journaux anglais, le jeune lord Alfred Douglas s'était vanté d'avoir reçu par milliers des lettres d'amis inconnus s'associant à sa campagne en faveur d'Oscar Wilde. Aucun de ces amis ne se trouvait, a coup sûr, dans la petite maison de Tite street, 16, le jour où l'on vendait le mobilier de l'écrivain dont la notoriété a pris, depuis un mois, une si vilaine tournure.

Cette maison, bien connue de l'accusé Taylor et des témoins Parker, Shelley et Atkins,est une modeste habitation assez éloignée du centre, dans une rue qui s'ouvre sur le quai de Chelsea, près l'hôpital de la Marine. Elle nose distingue en rien des autres. Impossible d'en admirer les élégances intérieures, cependant si réputées dans la chronique des petits journaux. Tout est sens dessus dessous, en plein déménagement. Il est procédé à la vente dans le grand salon du premier étage, tapissé de papier gaufré vieil or à fleurs qui encadre au plafond demux vastes panneaux décoratifs japonais tigre luttant contre des dragons de pourpre, chimère d'or sur un fond de paysage paradoxal traversé par des migrations d'oiseaux couleur d'émeraude.

Plus de tentures. Il ne reste, accrochées au plafond, que des tringles de cuivre doré. Au mur te portrait grandeur nature, d'Oscar Wilde, le Wilde des jours heureux, des soirées à succès, rosé, chevelu, portant beau. Dans un fumoir, derrière le salon, s'est entassé le bric a-brac de la maisonnée des corbeilles pleines de fioles de pharmacie et de Maçons à parfums, des albums, des vêtements d'enfants -- Wilde est père de deux garçons -- des chiffons, des bouquets artificiels tout poussiéreux dont la pauvre Mme Wilde s'est peut-être parée quelque soir.

Dans le public, pas un homme du monde, pas un gentleman, pas une femme comme il faut; des marchands, rien que des revendeurs, des courtiers suspects.

Citons quelques prix: une traduction de l'Odyssée et de l'Iliade de Pope est payée 18 shillings (23 francs) par un éphébe ficelé comme un décrotteur. La Cassell's History of England est payée 75 francs, sur dernière enchère poussée par un domestique dont on aperçoit le gilet de livrée mal dissimulé sous un veston de ville. Un vieux brocanteur de Soho square achète, sans même en contrôler le contenu, un carton rempli de vieilles eaux-fortes de Londres -- les memes que l'on vend partout 1 franc tout encadrées. -- Des écrans japonais à deux sous la pièce sont disputés sur le pied de 50 centimes. Un tendeur à pantalons, valeur marchande 40 sous, trouve acheteur à 3 francs.

Les meubles auraient atteint des prix sans doute élevés, mais beaucoup avaient été retirés de la vente. La table de travail de Carlyle a été payée 60 livres -- 1,500 francs.

Au total, la vente a produit un peu plus de 9, 080 francs.

Nouveau scandale Douglas

Au moment même où se plaidait à Londres cette lamentable affaire, lord Sholto Douglas, le frère cadet de lord Alfred Donglas, faisait parier de lui de manière sensationnelle en Amérique.

Lord Sholto Douglas, également fils du marquis de Queensberry, vient d'être, en effet, arrêté a Bakersfield, en Californie. La raison avouée de cette arrestation, qui a fait énormément de bruit, est que le jeune lord serait atteint d'aliénation mentale; mais s'il faut en croire les journaux de New-York qui racontent le fait, on aurait, en réalité, arrêté lord Sholto pour l'empêcher d'épouser une jeune femme dont il était tombé éperdùment amoureux.

Lord Sholto Douglas a vingt-trois ans. Il avait débarqué à Bakersfield il y a quelques mois pour prendre la direction d'une exploitation fruitière qui lui avait été laissée par sa mère.

Jeudi dernier, le fils du marquis de Queensberry se procura la licence nécessaire à son mariage avec une fille d'hôtel nommée Loretta Addis, récemment arrivée de San-Francisco, ou elle était employée dans un café-concert.

Loretta Addis est d'une grande beauté; elle paraissait partager la grande passion de lord Sholto. Celui-ci ne faisait aucun mystère de ses intentions matrimoniales. A peine se fut-il procuré la licence qu'un de ses amis, M. Burwester, alla trouver le magistrat et lui affirma que lord Sholto Douglas était atteint de folie et par conséquent inconscient de ses actes. C'est alors que fut décerné le mandat d'amenér. Le jeune lord a été incarcéré et mis en observation.

Il a, sur les conseils de son avocat, consenti a se prêter à un examen médical.

Comme nous le disons plus haut, cette arrestation a produit une grande sensation et provoqué les commentaires les plus invraisemblables.

Des gens qui connaissent la famille du marquis de Queensberry affirment que jamais lord Sholto n'a donné le moindre signe d'aliénation mentale.

L'affaire en est là.

Highlighted DifferencesMatch: 62.1%