Le Quotidien illustré - Monday, April 8, 1895

Londres. -- C'est à l'hôtel Cadogan, de Sloane street, que M. Oscar Wilde a été arrêté vendredi, vers six heures du soir, en vertu d'un mandat de sir John Bridge, président du tribunal de Bow street.

M. Wilde se trouvait en compagnie des deux fils du marquis, lord Douglas de Hawick (le fils aîné et héritier depuis la mort de lord Drumlenrig) et lord Alfred Douglas. Il était étendu sur une chaise longue et fumait. Quand un des détectives lui eut expliqué l'objet de sa visite, il demanda ce qu'on allait faire de lui:

«-- Vous conduire à Scotland-Yard. -- Serai-je gardé toute la nuit dans une cellule? -- Oui. -- Pourrai-je fournir une caution? -- Ce n'est pas à moi à vous le dire. -- Fumer? -- Nous ne le savons pas.»

Après cette conversation, M. Wilde se décida à monter dans le fiacre qui avait amené les policemen et à les suivre à Scotland-Yard. En descendant de voiture, il manqua de tomber par terre, à quoi l'on vit qu'il avait fait d'abondantes libations. Enfin a huit heures du soir, il était transféré de Scotland-Yard à Bow street, où il fut fouillé et enfermé dans une cellule; son traitement y est absolument pareil à celui qu'on fait subir aux autres prisonniers.

Le crime contre nature dont M. Wilde aura à répondre vient immédiatement dans l'échelle pénale anglaise, après le crime de meurtre. Si sa culpabilité est établie, il pourra être condamné à des peines variant entre dix ans de servitude pénale et la servitude pénale à vie; s'il n'est trouvé coupable que d'une tentative de crime et non de l'accomplissement même, la sentence pourra ordonner de trois à dix ans de servitude pénale.

Les directeurs des théâtres de Londres, où se donnent actuellement des pièces de M. Wilde (où joue le Mari idéal à Haymarket et l'Importance d'être sérieux au Saint James's Theatre), ont fait disparaître de leurs affiches le nom de l'écrivain et le Criteriou, où devait être transféré dans une semaine le premier de ses ouvrages, refusera, dit-on, d'exécuter son contrat.

Rappelons que M. Oscar Wilde, fils d'un médecin irlandais, est marié depuis 1894; il a épousé une demoiselle Lloyd, fille d'un riche financier; il est père de deux enfants. II a eu de grands succès littéraires et surtout dramatiques.

L'Estafette - Monday, April 8, 1895

Après l’abandon de la poursuite des scandaleux débats du procès Oscar Wilde on pouvait croire cette malpropreté anglaise définitivement enterrée — mais en se trompait. — Nos voisins d’outre-Manche nous avaient déjà donné la mesure de leur manque de sens moral dans cette vieille affaire des scandales de Londres, où l’on apprit le rôle que quelques vieux mylords anglais faisaient jouer aux jeunes télégraphistes.

Le souvenir de ces érotiques débats qui furent une bonne aubaine pour la presse anglaise, est resté dans la mémoire de nés confrères londoniens ; aussi se réjouissent-ils de la tournure nouvelle que prend le procès Oscar Wilde.

On connaît les faits. A la suite des écrasantes et malpropres révélations faites au cours des audiences précédentes sur le compte d’Oscar Wilde, celui-ci a fait déclarer par son avocat qu’il abandonnait sa plainte contre le marquis de Queensberry. Mais l’affaire ne s'est pas terminée ainsi : la cour a retenu le procès et le jury a rapporté un verdict déclarant que l’accusation publique faite par le marquis de Queensberry était justifiée et avait été portée dans l’intérêt public. Ce verdict qui équivaut à une sévère condamnation pour Oscar Wilde a été applaudi par les assistants.

Le marquis, remis immédiatement en liberté, reçoit force poignées de mains et félicitations. Mais ce n’est pas fini : avant que l’accusé d’hier, devenu aujourd'hui justicier, ne quitte la cour, son avoué, M. Russell, adresse la lettre suivante au directeur des poursuites publiques, M. Hamilton Cuffe :

« Pour éviter que la justice se trouve en défaut, je crois devoir vous envoyer immédiatement une copie des dépositions de tous nos témoins, en même temps qu’une copie du compte rendu scénographique des débats. »

Aussitôt, un mandat d’arrêt était lancé contre Oscar Wilde.

Cependant, le marquis de Queensberry avait informé Wilde qu’il ne s’opposerait pas à sa fuite, mais que s’il emmenait son fils avec lui, il le tuerait comme un chien. Pour se disculper, Wilde adressait à L’Evening-News la lettre suivante :

« Il m’eût été impossible d’établir mes griefs sans appeler en témoignage lord Alfred Douglas contre son père. Lord Alfred Douglas désirait vivement que je le fisse, mais je n’y ai pu consentir. Plutôt que de le placer dans une si pénible position, j’ai résolu de retirer ma plainte et de prendre sur mes épaules tout le poids de l'ignominie et de la honte qui résultent pour moi de cette affaire. »

Depuis ce moment M. Wilde se doutait bien que les choses ne se passeraient pas aussi simplement qu’il l’aurait désiré ; il changea d’hôtel, pour dépister la police, mais il n’en fut pas moins arrêté vendredi soir, à six heures, au Cadogan Hôtel pur deux policemen.

Ils obéissaient à un mandat de sir John Bridge, président du tribunal de Bow Street, lequel avait examiné personnellement deux des témoins cités par lord Queensberry, après avoir reçu communication de la lettre adressée au procureur Hamilton Cuffe.

M. Wilde se trouvait en compagnie des deux fils du marquis, lord Douglas de Hawick (le fils aîné et héritier depuis la mort de lord Drumlanrig) et lord Alfred Douglas. Il était étendu sur une chaise longue et fumait. Quand un des détectives lui ent expliqué l’objet de sa visite, il demanda ce qu’on allait faire de lui : « Vous conduire à Scotland yard. — Serai-je gardé toute la nuit dans une cellule? Oui. —Pourrai-je fournir une caution? — Ce lest pas à moi à vous le dire. — Fumer? —-Nous ne le savons pas. »

Après cette conversation, M. Wilde se décida à monter dans le fiacre qui avait amené les policemen et à les suivre à Scotland yard, non sans emporter, pour se distraire pendant le trajet, un exemplaire du Yellow book, qui est une publication littéraire trimestrielle. En descendant de voiture, il manqua de tomber par terre, à quoi l’on vit qu’il avait fait d’abondantes libations. Enfin à huit heures du soir, il était transféra de Scotland yard à Bow Street, où il fut fouillé. Il ne fit aucune remarque à la lecture du mandat d’arrêt, mais demanda qu'on lui redit la date (25 mars dernier) sur laquelle s’appuie surtout l’accusation formée par la procédure anglaise, de préciser et de prouver un fait spécial. Une forte caution que vint offrir lord Alfred Douglas pour sa mise en liberté conditionnelle fut refusée et il fut enfermé dans une cellule : son traitement y est exactement pareil à celui qu’on fait subir aux autres prisonniers. C’est ce matin, à dix heures, qu’il a dû comparaître devant sir John Bridge.

Le crime contre nature dont M. Wilde aura à répondre vient immédiatement dans l’échelle pénale anglaise, après le crime de meurtre. Si sa culpabilité est établie, il pourra être condamné à des peines variant entre dix ans de servitude pénale et la servitude pénale à vie ; s’il n’est trouvé coupable que d’une tentative de crime et non de l'accomplissement même, la sentence pourra ordonner de trots à dix ans de servitude pénale.

La police, qui surveillait M. Wilde depuis deux mois environ, recherche activement les deux individus (surtout Taylor qui était surveillé mais qu'on a laissé échapper hier matin) douilles les informations ont amené à la connaissance ou à la présomption des faits imputés ; on craint qu’ils n’aient quitté Londres.

Les directeurs des théâtres de Londres, où se donnent actuellement des pièces de M. Wilde (on joue le Mari idéal à Hay-marker et l’Importance d’être sérieux au Saint-James’s Theater), ont fait disparaître de leurs affiches le nom de l’écrivain.

Le scandale, on le voit, n’est pas près d’être terminé ; le nouveau procès qui va s'ouvrir promet d'édifiantes révélations sur les mœurs de la pudibonde et hypocrite Angleterre.

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