La République Française - Saturday, April 13, 1895

Les débats du scandaleux procès Wilde ont continue hier devant le tribunal de Bow-street. Les details répugnants y abondent et il nous parait complètement impossible de reproduire les dépositions des « amis » du littérateur anglais, deux employés, Shelly et Parker, et un artiste dramatique du nom d'Atkins.

La déposition d’un garçon d'hôtel de Saint-James Palace a révélé des scènes révoltantes, qui prouvent la complicité de Taylor.

Après avoir entendu quelques autres témoins dont la déposition ue jette aucune lumière nouvelle sur l’affaire, le tribunal renvoie l'affaire au vendredi 19 avril, après avoir formellement refuse de mettre les deux accusés, Oscar Wilde et Taylor, en liberté sous caution.

Maurice Cabs.

Le Journal - Friday, April 12, 1895

Londres, 11 avril.

Le procès Oscar Wilde a continué, hier, devant le tribunal de Bow-Street, dont le prétoire était trop petit pour contenir tous les curieux que cette cause grasse autant que célèbre avait attirés.

Il convient de préciser, tout d'abord, le rôle juridique du tribunal de Bow-Street et du magistrat qui le préside, sir John Bridge, dans cette affaire.

Le tribunal de Bow-Street, l'instruction étant publique en Angleterre, joue à la fois le rôle du juge d'instruction et de la chambre des mises en accusations en France. Son rôle se borne à décider s'il y a lieu oui ou non, à renvoi devant la cour d'assises. Il peut aussi ordonner la mise en liberté sous caution, faveur qui a été refusée jusqu'ici à Oscar Wilde, malgré l'offre d'une caution de 50,000 liv. st., soit 1,250,000 fr., car on craindrait trop qu'il ne prit la fuite.

Le ministère public est représenté par M. Gill (nous le rappelons). Sir Edward Clarke défend Oscar Wilde, et M. Newton occupe, pour Taylor, le complice d'Oscar Wilde et son pourvoyeur.

Le contraste est frappant, d'ailleurs, entre les coaccusés. Oscar Wilde est très abattu ; il est pâle, amaigri, plein de langueur. Taylor, au contraire, est toujours un joyeux vivant, et ne cache pas son dédain pour les sots qui s'offusquent des plaisirs auxquels il excellait.

Au début de l'audience, sir Edward Clarke a pris la parole pour renoncer au contre-interrogatoire des témoins entendus à l'audience de samedi dernier, ce contre interrogatoire qu'il avait réservé ne pouvant être d'aucune utilité pour la défense d'Oscar Wilde.

M. Newton, au contraire, demande à poser un certain nombre de questions aux témoins précédemment entendus, et, à sa requête, Charles Parker est introduit. Interrogé par M. Newton, il répond:

«Je suis né en 1874; depuis huit mois, je suis employé dans la même maison. Je reconnais avoir été arrêté, au mois d'août dernier, dans une maison de Fitzroy-Square. D'ailleurs, je ne connais qu'un seul des individus qui se trouvaient là.»

« J'ai fait la connaissance de Taylor à Saint-James restaurant. Mais avant de connaître Oscar Wilde, je n'avais jamais commis aucun acte indécent ou contre nature.

« La premiere fois que je le vis, il me proposa de l'accompagner au Savoye-Hotel. Ceci se passait en présence de Taylor. Taulor entendit-il cette proposition? Je ne pourrais l'affirmer. Mais la séconde fois que j'accompagnai Oscar Wilde à Savoye-Hotel, Taylor n'en sait rien. »

Ici, un incident: le ministère public fait observer que si M. Newton continue à procéder comme il l'a fait jusqu'ici dans l'interrogatoire de Parker, il se verra, lui, dans l'obligation de faire ressortir les nouvelles charges que l'accusation possède contre Taylor. M. Newton, en effet, veut démontrer que Parker est un garçon notoirement connu pour ses mœurs dépravées.

Malgré les observations du ministère public, l'avocat Newton interroge Parker sur ses relations avec un comédien, nommé Atkins. Mais Parker n'en sait presque rien. Il se défend énergiquement d'avoir été chassé pour vol de la maison ou il était employé comme valet de chambre; puis, pressé de questions, il reconnaît avoir commmis des actes indécents avec une personne que deux de ses camarades et lui ont fait chanter dans les grands prix. Pour sa part, il reconnaît avoir reçu la très forte somme. Il n'a pas demandé à Taylor de le présenter à Oscar Wilde, c'est Taylor qui lui demanda s'il voulait être présenté à Oscar Wilde.

Un nouvel interrogatoire de Parker par M. Gill ne fait que confirmer les résultats acquis.

Atkins, dont il vient d'être question, comparaît ensuite à la barre des témoins.

« J'ai vingt-deux ans, dit-il, et je suis artiste dramatique. Au mois de novembre 1892, je reçu une invitation --anonyme-- à dîner, au restaurant de l'hôtel de Florence. Je m'y rendis. Là, je rencontrai Oscar Wilde, Taylor et deux autres personnes. C'était la première fois que je voyais Oscar Wilde. Celui-ci, au dessert, me demanda si je voulais l'accompagner à Paris en qualité de secrétaire particulier. J'acceptai. Nous partîmes deux jours après; nous descendîmes à Paris, dans un hôtel du boulevard des Capucines et nous prîmes deux chambres contigues. »

Le lendemain, nous déjeunâmes au restaurant; puis Oscar Wilde me conduisit chez un coiffeur où il me fit couper et friser les cheveux. Le soir, nous soupâmes ensemble. C'est d'ailleurs le meilleur souper que j'ai fait de ma vie! »

« Puis Oscar Wilde me donna un louis en me disant d'aller m'amuser au Moulin-Rouge. Quand je rentrai à l'hôtel, Oscar Wilde était couché avec quelqu'un. J'allai me coucher de mon côté. Dans la nuit, Wilde vint me trouver dans ma chambre et voulut entrer dans mon lit. Je le repoussai.

« Quelques jours après, il me fit cadeau d'un porte-cigarette en argent, et quand, de retour à Londres, nous nous séparâmes à Victoria-Station, il me donna trois livres sterling.

« A quelque temps de là, je reçu une lettre de lui m'invitant à l'aller voir. Je m'y rendis. Je trouvai chez lui, un jeune homme qu'il me présenta.

« Notre intimité était telle qu'Oscar Wilde -- mon prénom étant Frédéric -- m'appelait Fred tout court. »

M. Newton procède en outre au contre-interrogatoire d'Atkins:

-- Lorsque Wilde, au restaurant de Florence, vous demanda de le suivre à Paris, quelle attitude avait-il? demande l'avocat de Taylor. -- Il me prit par la taille, répond Atkins. -- N'avez-vous pas été présenté à Paris à quelqu'un par Taylor? Qui était-ce? -- Le fait est exact C'est un nommé Burton dont je fis la connaissance. J'ai vécu quelques temps avec lui. -- N'avez-vous pas participé à une affaire de chantage? -- C'est faux! -- N'avez-vous pas vécu de votre immoralité? -- C'est absolument faux!

Le ministère public intervint alors et, s'adressant à Atkins:

-- Avez-vous servi, à Paris, de secrétaire à Oscar Wilde? -- Oui. J'ai recopié une de ses pièces. -- Etait-ce un homme ou une femme que vous avez trouvé couché à l'hôtel avec Oscar Wilde? -- C'était un homme.

On passe à l'audition du témoin Shelly, employé de librairie, qui a fait chez un éditeur la connaissance d'Oscar Wilde.

-- Wilde, dit-il, m'écrivit de l'aller voir à l'hôtel Albermale. J'y allai. Il m'invita à dîner. Après le repas, pendant lequel nous bûmes beaucoup de champagne, Wilde, vers une heure du matin, me dit de venir me coucher avec lui. Je le fis. En me conduisant dans sa chambre il m'embrassait sur la bouche. J'admirais beaucoup le grand talent du poète et j'étais très flatté des témoignages d'affection qu'Oscar Wilde me prodiguait. Nous passâmes toute la nuit couchés ensemble. Le lendemain, nous nous rencontrâmes de nouveau et nous fîmes de nombreuses stations dans les restaurants et les cafés. Wilde m'a écrit plusieurs lettres que j'ai détruites. Quant à Taylor, je ne le connais pas.

Le tribunal recueille ensuite le témoignage de plusieurs femmes qui ont habité les mêmes maisons que Taylor et Parker. Elles font part des soupçons qu'elles avaient conçus.

-- Est-ce que Taylor ne recevait pas de femmes? demande à l'une d'elles le ministère public. -- Oh! non.

Le garçon d'un hôtel de Saint-Jame's Palace confirme ces dépositions, puis le propriétaire de l'hôtel Albermale, ayant également conçu des soupçons, chercha à se débarasser d'Oscar Wilde en le faisant poursuivre pour une note restée en souffrance. Enfin, l'inspecteur Charles Richard et l'un de ses collègues racontent comment ils ont arrêté Oscar Wilde à l'hôtel Cadogan, dans Sloan-Street, et Taylor à Pimlico. Chez celui-ci, ils trouvèrent une lettre adressée à Mavor, l'un des témoins entendus samedi. Cette lettre est ainsi conçue:

« Cher Sidi, impossible d'attendre plus longtemps. Viens tout de suite voir Oscar. Il est à sa maison de Chelsea. »

Les deux detectives trouvèrent huit pantalons chez Taylor; les poches de sept de ces inexpressibles étaient décousues.

Après avoir entendu quelques autres témoins dont la déposition ne jette aucune lumière nouvelle sur l'affaire, sir John Bridge renvoie l'affaire au vendredi 19 avril, après avoir formellement refusé de mettre les accusés en liberté sous caution.

W.

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