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Le Courrier du soir - Friday, April 12, 1895
Le Courrier du soir - Friday, April 12, 1895
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Le Parisien - Tuesday, April 9, 1895
Le Parisien - Tuesday, April 9, 1895
Difference
Nous connaissons aujourd’hui le fin mot du procès Oscar Wilde. L’accusateur — juste retour — est devenu accusé, il a avoué des
relations suivies avec le fils de Lord Queensbury. A l’heure actuelle, M. Oscar Wilde doit se repentir d'avoir porté le cas devant un tribunal, car, au
grand jour des débats, les faits ont pu se préciser, et ce n’est pas la morgue insolente du prétendu diffamé qui a pu, un seul instant, égarer l’opinion
publique.
Nous connaissons aujourd’hui le fin mot du procès Oscar Wilde. L’accusateur — juste retour — est devenu accusé, il a avoué des relations
suivies avec le fils de Lord Queensbury. A l'heure actuelle, M. Oscar Wilde doit se repentir d’avoir porté le cas devant un tribunal, car, au grand jour
des débats, les faits ont pu se préciser, et ce n’est pas la morgue insolente du prétendu diffamé qui a pu, un seul instant, égarer l’opinion publique.
L’Anglais, c’est là une justice à lui rendre, ne se paye pas de mots. Il ne mâche pas à vide comme certaines races latines. Les
conditions de son existence, son éducation, la ligne de conduite qu’il suit dans tous ses actes, lui tracent ce principe primordial de ne jamais se
laisser prendre qu’aux faits. J’imagine qu’il a dû accueillir avec une pointe de pitié les réponses de M. Wilde, et il est évident qu’une fois accepté le
caractère de la population, ces réponses ne signifiant rien, pas même que M. Oscar Wilde soit un beau parleur, car au prétoire comme en affaires, comme en
littérature — exception faite, hélas ! pour la politique internationale ! — l’anglais ne parle que lorsqu’il a quelque chose à dire. Ce n’était pas le cas
de M. Wilde. En une matière aussi précise, les bons gros lecteurs de là-bas ont dû se légèrement gausser des théories de l’art pour l’art exposées par
Oscar Wilde, de son mépris pour le bourgeois et de ses lettres qui sont des sonnets. La question était autre part.
L’Anglais, c’est là une justice à lui rendre, ne se paye pas de mots. Il ne mâche pas à vide comme certaines races latines. Les
conditions de son existence, son éducation, la ligne de conduite qu’il suit dans tous ses actes, lui tracent ce principe primordial de ne jamais se
laisser prendre qu’aux faits. J’imagine qu’il a dû accueillir avec une pointe de pitié les réponses de M. Wilde, et il est évident qu’une fois accepté le
caractère de la population, ces réponses ne signifiant rien, pas même que M. Oscar Wilde soit un beau parleur, car au prétoire comme en affaires, comme en
littérature — exception faite, hélas ! pour la politique internationale ! — l’anglais ne parle que lorsqu’il a quelque chose à dire. Ce n’était pas le cas
de M. Wilde. En une matière aussi précise, les bons gros lecteurs de là-bas ont dû se légèrement gausser des théories de l’art pour l’art exposées par
Oscar Wilde, de son mépris pour le bourgeois et de ses lettres qui sont des sonnets. La question était autre part.
M. Oscar Wilde, s’il eût été prudent, n’eût pas soufflé mot des injures de Lord Queensbury. D’un geste magnifique, avec l’air de
suprême hauteur que sait prendre au besoin l’artiste pour le philistin qui l’insulte, il eût, à son entrée au club, enfoui dans la poche de sa pelisse la
carte incriminée. L’affaire n’eût pas été plus loin, les initiés ayant trop d’intérêts à ce qu’elle ne s’ébruitât pas pour aller la répandre au dehors. La
réputation d’originalité que tenait à se faire M. Oscar Wilde n’y eût peut être pas gagné, car le public, jusqu’en ces derniers jours n’avait pas été à
même de la contrôler à l’aide de documents... humains mais au moins, il aurait pu, en toute sécurité, promener en plein Piccadilly ses invraisemblables
cravates, sans courir le risque qu’on se le montrât au doigt comme un monsieur malpropre, auquel on ne serre pas la main. L’amour de la réclame a parfois
de cruels revers.
M. Oscar Wilde, s’il eût été prudent, n’eût pas soufflé mot des injures de Lord Queensbury. D’un geste magnifique, avec l’air de suprême
hauteur que sait prendre au besoin d’artiste pour le philistin qui l’insulte, il eût, à son entrée au club.enfoui dans la poche de sa pelisse la carte
incriminée. L’affaire n’eût pas été plus loin, les initiés ayant trop d’intérêts à ce qu’elle ne s’ébruitât pas pour aller la répandre au dehors. La
réputation d’originalité que tenait à se faire M. Oscar Wilde n'y eût peut être pas gagné, car le public, jusqu’en ces derniers jours n’avait pas été à
même de la contrôler à l’aide de documents... humains ; mais au moins, il aurait pu, en toute sécurité, promener en plein Piccadilly ses invraisemblables
cravates, sans courir le risque qu'on se le montrât au doigt comme un monsieur malpropre, auquel on ne serre pas la main. L’amour de la réclame a parfois
de cruels revers.
Ce procès, c'est, en effet, la mort littéraire et mondaine de M. Oscar Wilde. Il est certain que le très curieux écrivain qu'il est ne
pourra plus rien publier désormais, rien faire jouer : il en coûterait l’existence à son éditeur, ou au « manager » assez hardi pour lui prêter les
planches de son théâtre. Au lendemain du scandale déchaîné sur son nom, quel abonné des petites revues où il pontifiait jusqu’ici voudrait lire un article
portant sa signature, quel passant acheter un de ses livres, quel spectateur entendre une de ses pièces ? Il faut avoir vécu un peu de l’existence
anglaise pour pouvoir se bien rendre compte de l’espèce de folie qu’il y aurait aujourd’hui à essayer de ressusciter M. Oscar Wilde, homme de lettres. Les
faits auxquels a été mêlé celui-ci ne se pardonnent pas en Angleterre, — moins les faits eux-mêmes peut-être que la rumeur qu’ils ont causée, que la
considération qu'ils jettent sur une classe de la société, où, depuis quelque temps déjà, M. Oscar Wilde prenait posture d’homme écouté. Ces faits-là sont
irréparables.
Ce procès, c'est, en effet, la mort littéraire et mondaine de M. Oscar Wilde. Il est certain que le très curieux écrivain qu'il est ne
pourra plus rien publier désormais, rien faire jouer : il en coûterait l'existence à son éditeur, ou au « manager » assez hardi pour lui prêter les
planches de son théâtre. Au lendemain du scandale déchaîné sur son nom, quel abonné des petites revues où il pontifiait jusqu’ici voudrait lire un article
portant sa signature, quel passant acheter un de ses livres, quel spectateur entendre une de ses pièces ? Il faut avoir vécu un peu de l’existence
anglaise pour pouvoir se bien rendre compte de l’espèce de folie qu’il y aurait aujourd’hui à essayer de ressusciter M. Oscar Wilde, homme de lettres. Les
faits auxquels a été mêlé celui-ci ne se pardonnent pas en Angleterre, — moins les faits eux-mêmes peut-être que la rumeur qu’ils ont causée, que la
déconsidération qu'ils jettent sur une classe de la société, où, depuis quelque temps déjà, M. Oscar Wilde prenait posture d’homme écouté. Ces faits-là
sont irréparables.
Car, il n’y a pas à s’y méprendre, M. Oscar Wilde commençait à être connu autrement que par des excentricités de mauvais goût. Il avait
passé longtemps pour un Péladan d’outre-Manche. Longtemps on n’avait vu en lui que l’individu qui ne veut pas s’habiller comme tout le monde, qui veut
trancher par une mise à lui sur le vulgaire vêtu de la redingote ou du veston. Comme pour Péladan aussi, on avait fini par s’apercevoir qu’il y avait en
lui autre chose qu’un fumiste.
Car, il n’y a pas à s’y méprendre, M. Oscar Wilde commençait à être connu autrement que par des excentricités de mauvais goût. Il avait
passé longtemps pour un Péladan d’outre-Manche. Longtemps on n’avait vu en lui que l’individu qui ne veut pas s’habiller comme tout le monde, qui veut
trancher par une mise à lui sur le vulgaire vêtu de la redingote ou du veston. Comme pour Péladan aussi, on avait fini par s’apercevoir qu’il y avait en
lui autre chose qu’un fumiste.
Cette réputation datait d’il y a trois ans. Elle avait pris naissance le soir même de la représentation à Haymarket, en 1892, de sa
pièce « Jady Windmere’s fan », au cours de laquelle le high life britannique s’était avisé tout à coup — après les purs artistes — qu’il avait affaire à
un homme de talent.
Cette réputation datait d’il y a trois ans. Elle avait pris naissance le soir même de la représentation à Haymarket, en 1892, de sa pièce
« Jady Windmere’s fan », au cours de laquelle le high life britannique s’était avisé tout à coup — après les purs artistes — qu’il avait affaire à un
homme de talent.
Depuis, elle s’était suffisamment accrue pour que M. Oscar Wilde pût se glorifier de l’accès de quelques salons, d’où on l’eût exclu
autrefois pour cause de manque de tenue. Qu’aura dit ce monde particulier, chez qui le mot pantalon prend le nom « d’inexpressive », lorsqu’il aura appris
les frasques amoureuses de sa nouvelle recrue ? Déjà fortement éprouvé dans le respect public par certaine affaire de petits télégraphistes, de quel oeil
chagrin et colère ne va-t-il pas voir ce discrédit qui rejaillit sur lui, du fait des malpropretés de M. Oscar Wilde ? Cette classe de la société a la
même devise que certains malandrins : il n’est pas défendu de mal faire, tâchez seulement de ne pas vous laisser prendre. M. Oscar Wilde s’est laissé
prendre; on saura l’en faire repentir.
Depuis, elle s’était suffisamment accrue pour que M. Oscar Wilde pût se glorifier de l’accès de quelques salons, d’où on l’eût exclu
autrefois pour cause de manque de tenue. Qu’aura dit ce monde particulier, chez qui le mot pantalon prend le nom « d’inexpressible », lorsqu’il aura
appris les frasques amoureuses de sa nouvelle recrue ? Déjà fortement éprouvé dans le respect public par certaine affaire de petits télégraphistes, de
quel œil chagrin et colère ne va-t-il pas voir ce discrédit qui rejaillit sur lui, du fait des malpropretés de M. Oscar Wilde ? Cette classe de la société
a la même devise que certains malandrins : il n’est pas défendu de mal faire, tâchez seulement de ne pas vous laisser prendre. M. Oscar Wilde s’est laissé
prendre ; on saura l’en faire repentir.
Il nous sera permis toutefois de regretter la triste fin morale de M. Oscar Wilde. C’était un artiste du verbe, un écrivain et un poète
de race. Je sais de lui telles pages qui sont de véritables petits chefs-d’œuvre de langue alerte et d’ironie. Ces pages-là n'abondent pas tant parmi la
littérature anglaise contemporaine pour qu'on ne déplore pas que celui qui les a écrites se soit laissé entraîner à des pratiques nauséabondes qui le
chassent du rang des honnêtes gens. Ce Mangin britannique — Mangin de réclame et de costume—avait pour la France une affection réelle. Il avait eu, il y a
quelques années l’idée d’abandonner sa nationalité pour endosser la nôtre. Ce n’eut peut-être pas été très flatteur pour nous, lorsqu’eussent éclaté au
grand jour ses relations avec lord Douglas, et je crois qu’au fond il y avait bien chez lui un peu de dépit de ne pas se voir suffisamment compris dans
son propre pays, — du moins, cette intention est-elle caractéristique. Je ne puis pas oublier non plus qu’en 1892, un groupe de littérateurs français,
dont faisait partie M. Maurice Barrés, lui avait offert chez Voisine, lors d'un de ses passages à Paris, un banquet où il fut dit d’excellentes choses. Le
nom de M. Barrés a assez d’autorité par lui-même pour qu’on ne soit pas autorisé à considérer comme surfaite, la réputation littéraire de celui qui était
son hôte, et on ne peut que regretter de nouveau les événements malheureux dans lesquels s’est perdu un nom si littérairement honorable.
Il nous sera permis toutefois de regretter la triste fin morale de M. Oscar Wilde. C’était un artiste du verbe, un écrivain et un poète
de race. Je sais de lui telles pages qui sont de véritables petits chefs-d’œuvre de langue alerte et d’ironie. Ces pages-là n’abondent pas tant parmi la
littérature anglaise contemporaine pour qu’on ne déplore pas que celui qui les a écrites se soit laissé entraîner à des pratiques nauséabondes qui le
chassent du rang des honnêtes gens. Ce Mangin britannique — Mangin de réclame et de costume — avait pour la France une affection réelle. Il avait eu, il y
a quelques années l’idée d’abandonner sa nationalité pour endosser la nôtre. Ce n’eut peut-être pas été très flatteur pour nous, lorsqu’eussent éclaté au
grand jour ses relations avec lord Douglas, et je crois qu’au fond il y avait bien chez lui un peu de dépit de ne pas se voir suffisamment compris dans
son propre pays, — du moins, cette intention est-elle caractéristique. Je ne puis pas oublier non plus qu’en 1892, un groupe de littérateurs français,
dont faisait partie M. Maurice Barrès, lui avait offert chez Voisine, lors d’un de ses passages à Paris, un banquet où il fut dit d’excellentes choses. Le
nom de M. Barrès a assez d’autorité par lui-même pour qu’on ne soit pas autorisé à considérer comme surfaite, la réputation littéraire de celui qui était
son hôte, et on ne peut que regretter de nouveau les événements malheureux dans lesquels s’est perdu un nom si littérairement honorable.