Chronique

Nous connaissons aujourd’hui le fin mot du procès Oscar Wilde. L’accusateur — juste retour — est devenu accusé, il a avoué des relations suivies avec le fils de Lord Queensbury. A l’heure actuelle, M. Oscar Wilde doit se repentir d'avoir porté le cas devant un tribunal, car, au grand jour des débats, les faits ont pu se préciser, et ce n’est pas la morgue insolente du prétendu diffamé qui a pu, un seul instant, égarer l’opinion publique.

Nous connaissons aujourd’hui le fin mot du procès Oscar Wilde. L’accusateur — juste retour — est devenu accusé, il a avoué des relations suivies avec le fils de Lord Queensbury. A l'heure actuelle, M. Oscar Wilde doit se repentir d’avoir porté le cas devant un tribunal, car, au grand jour des débats, les faits ont pu se préciser, et ce n’est pas la morgue insolente du prétendu diffamé qui a pu, un seul instant, égarer l’opinion publique.

L’Anglais, c’est là une justice à lui rendre, ne se paye pas de mots. Il ne mâche pas à vide comme certaines races latines. Les conditions de son existence, son éducation, la ligne de conduite qu’il suit dans tous ses actes, lui tracent ce principe primordial de ne jamais se laisser prendre qu’aux faits. J’imagine qu’il a dû accueillir avec une pointe de pitié les réponses de M. Wilde, et il est évident qu’une fois accepté le caractère de la population, ces réponses ne signifiant rien, pas même que M. Oscar Wilde soit un beau parleur, car au prétoire comme en affaires, comme en littérature — exception faite, hélas ! pour la politique internationale ! — l’anglais ne parle que lorsqu’il a quelque chose à dire. Ce n’était pas le cas de M. Wilde. En une matière aussi précise, les bons gros lecteurs de là-bas ont dû se légèrement gausser des théories de l’art pour l’art exposées par Oscar Wilde, de son mépris pour le bourgeois et de ses lettres qui sont des sonnets. La question était autre part.

L’Anglais, c’est là une justice à lui rendre, ne se paye pas de mots. Il ne mâche pas à vide comme certaines races latines. Les conditions de son existence, son éducation, la ligne de conduite qu’il suit dans tous ses actes, lui tracent ce principe primordial de ne jamais se laisser prendre qu’aux faits. J’imagine qu’il a dû accueillir avec une pointe de pitié les réponses de M. Wilde, et il est évident qu’une fois accepté le caractère de la population, ces réponses ne signifiant rien, pas même que M. Oscar Wilde soit un beau parleur, car au prétoire comme en affaires, comme en littérature — exception faite, hélas ! pour la politique internationale ! — l’anglais ne parle que lorsqu’il a quelque chose à dire. Ce n’était pas le cas de M. Wilde. En une matière aussi précise, les bons gros lecteurs de là-bas ont dû se légèrement gausser des théories de l’art pour l’art exposées par Oscar Wilde, de son mépris pour le bourgeois et de ses lettres qui sont des sonnets. La question était autre part.

M. Oscar Wilde, s’il eût été prudent, n’eût pas soufflé mot des injures de Lord Queensbury. D’un geste magnifique, avec l’air de suprême hauteur que sait prendre au besoin l’artiste pour le philistin qui l’insulte, il eût, à son entrée au club, enfoui dans la poche de sa pelisse la carte incriminée. L’affaire n’eût pas été plus loin, les initiés ayant trop d’intérêts à ce qu’elle ne s’ébruitât pas pour aller la répandre au dehors. La réputation d’originalité que tenait à se faire M. Oscar Wilde n’y eût peut être pas gagné, car le public, jusqu’en ces derniers jours n’avait pas été à même de la contrôler à l’aide de documents... humains mais au moins, il aurait pu, en toute sécurité, promener en plein Piccadilly ses invraisemblables cravates, sans courir le risque qu’on se le montrât au doigt comme un monsieur malpropre, auquel on ne serre pas la main. L’amour de la réclame a parfois de cruels revers.

M. Oscar Wilde, s’il eût été prudent, n’eût pas soufflé mot des injures de Lord Queensbury. D’un geste magnifique, avec l’air de suprême hauteur que sait prendre au besoin d’artiste pour le philistin qui l’insulte, il eût, à son entrée au club.enfoui dans la poche de sa pelisse la carte incriminée. L’affaire n’eût pas été plus loin, les initiés ayant trop d’intérêts à ce qu’elle ne s’ébruitât pas pour aller la répandre au dehors. La réputation d’originalité que tenait à se faire M. Oscar Wilde n'y eût peut être pas gagné, car le public, jusqu’en ces derniers jours n’avait pas été à même de la contrôler à l’aide de documents... humains ; mais au moins, il aurait pu, en toute sécurité, promener en plein Piccadilly ses invraisemblables cravates, sans courir le risque qu'on se le montrât au doigt comme un monsieur malpropre, auquel on ne serre pas la main. L’amour de la réclame a parfois de cruels revers.

Ce procès, c'est, en effet, la mort littéraire et mondaine de M. Oscar Wilde. Il est certain que le très curieux écrivain qu'il est ne pourra plus rien publier désormais, rien faire jouer : il en coûterait l’existence à son éditeur, ou au « manager » assez hardi pour lui prêter les planches de son théâtre. Au lendemain du scandale déchaîné sur son nom, quel abonné des petites revues où il pontifiait jusqu’ici voudrait lire un article portant sa signature, quel passant acheter un de ses livres, quel spectateur entendre une de ses pièces ? Il faut avoir vécu un peu de l’existence anglaise pour pouvoir se bien rendre compte de l’espèce de folie qu’il y aurait aujourd’hui à essayer de ressusciter M. Oscar Wilde, homme de lettres. Les faits auxquels a été mêlé celui-ci ne se pardonnent pas en Angleterre, — moins les faits eux-mêmes peut-être que la rumeur qu’ils ont causée, que la considération qu'ils jettent sur une classe de la société, où, depuis quelque temps déjà, M. Oscar Wilde prenait posture d’homme écouté. Ces faits-là sont irréparables.

Ce procès, c'est, en effet, la mort littéraire et mondaine de M. Oscar Wilde. Il est certain que le très curieux écrivain qu'il est ne pourra plus rien publier désormais, rien faire jouer : il en coûterait l'existence à son éditeur, ou au « manager » assez hardi pour lui prêter les planches de son théâtre. Au lendemain du scandale déchaîné sur son nom, quel abonné des petites revues où il pontifiait jusqu’ici voudrait lire un article portant sa signature, quel passant acheter un de ses livres, quel spectateur entendre une de ses pièces ? Il faut avoir vécu un peu de l’existence anglaise pour pouvoir se bien rendre compte de l’espèce de folie qu’il y aurait aujourd’hui à essayer de ressusciter M. Oscar Wilde, homme de lettres. Les faits auxquels a été mêlé celui-ci ne se pardonnent pas en Angleterre, — moins les faits eux-mêmes peut-être que la rumeur qu’ils ont causée, que la déconsidération qu'ils jettent sur une classe de la société, où, depuis quelque temps déjà, M. Oscar Wilde prenait posture d’homme écouté. Ces faits-là sont irréparables.

Car, il n’y a pas à s’y méprendre, M. Oscar Wilde commençait à être connu autrement que par des excentricités de mauvais goût. Il avait passé longtemps pour un Péladan d’outre-Manche. Longtemps on n’avait vu en lui que l’individu qui ne veut pas s’habiller comme tout le monde, qui veut trancher par une mise à lui sur le vulgaire vêtu de la redingote ou du veston. Comme pour Péladan aussi, on avait fini par s’apercevoir qu’il y avait en lui autre chose qu’un fumiste.

Car, il n’y a pas à s’y méprendre, M. Oscar Wilde commençait à être connu autrement que par des excentricités de mauvais goût. Il avait passé longtemps pour un Péladan d’outre-Manche. Longtemps on n’avait vu en lui que l’individu qui ne veut pas s’habiller comme tout le monde, qui veut trancher par une mise à lui sur le vulgaire vêtu de la redingote ou du veston. Comme pour Péladan aussi, on avait fini par s’apercevoir qu’il y avait en lui autre chose qu’un fumiste.

Cette réputation datait d’il y a trois ans. Elle avait pris naissance le soir même de la représentation à Haymarket, en 1892, de sa pièce « Jady Windmere’s fan », au cours de laquelle le high life britannique s’était avisé tout à coup — après les purs artistes — qu’il avait affaire à un homme de talent.

Cette réputation datait d’il y a trois ans. Elle avait pris naissance le soir même de la représentation à Haymarket, en 1892, de sa pièce « Jady Windmere’s fan », au cours de laquelle le high life britannique s’était avisé tout à coup — après les purs artistes — qu’il avait affaire à un homme de talent.

Depuis, elle s’était suffisamment accrue pour que M. Oscar Wilde pût se glorifier de l’accès de quelques salons, d’où on l’eût exclu autrefois pour cause de manque de tenue. Qu’aura dit ce monde particulier, chez qui le mot pantalon prend le nom « d’inexpressive », lorsqu’il aura appris les frasques amoureuses de sa nouvelle recrue ? Déjà fortement éprouvé dans le respect public par certaine affaire de petits télégraphistes, de quel oeil chagrin et colère ne va-t-il pas voir ce discrédit qui rejaillit sur lui, du fait des malpropretés de M. Oscar Wilde ? Cette classe de la société a la même devise que certains malandrins : il n’est pas défendu de mal faire, tâchez seulement de ne pas vous laisser prendre. M. Oscar Wilde s’est laissé prendre; on saura l’en faire repentir.

Depuis, elle s’était suffisamment accrue pour que M. Oscar Wilde pût se glorifier de l’accès de quelques salons, d’où on l’eût exclu autrefois pour cause de manque de tenue. Qu’aura dit ce monde particulier, chez qui le mot pantalon prend le nom « d’inexpressible », lorsqu’il aura appris les frasques amoureuses de sa nouvelle recrue ? Déjà fortement éprouvé dans le respect public par certaine affaire de petits télégraphistes, de quel œil chagrin et colère ne va-t-il pas voir ce discrédit qui rejaillit sur lui, du fait des malpropretés de M. Oscar Wilde ? Cette classe de la société a la même devise que certains malandrins : il n’est pas défendu de mal faire, tâchez seulement de ne pas vous laisser prendre. M. Oscar Wilde s’est laissé prendre ; on saura l’en faire repentir.

Il nous sera permis toutefois de regretter la triste fin morale de M. Oscar Wilde. C’était un artiste du verbe, un écrivain et un poète de race. Je sais de lui telles pages qui sont de véritables petits chefs-d’œuvre de langue alerte et d’ironie. Ces pages-là n'abondent pas tant parmi la littérature anglaise contemporaine pour qu'on ne déplore pas que celui qui les a écrites se soit laissé entraîner à des pratiques nauséabondes qui le chassent du rang des honnêtes gens. Ce Mangin britannique — Mangin de réclame et de costume—avait pour la France une affection réelle. Il avait eu, il y a quelques années l’idée d’abandonner sa nationalité pour endosser la nôtre. Ce n’eut peut-être pas été très flatteur pour nous, lorsqu’eussent éclaté au grand jour ses relations avec lord Douglas, et je crois qu’au fond il y avait bien chez lui un peu de dépit de ne pas se voir suffisamment compris dans son propre pays, — du moins, cette intention est-elle caractéristique. Je ne puis pas oublier non plus qu’en 1892, un groupe de littérateurs français, dont faisait partie M. Maurice Barrés, lui avait offert chez Voisine, lors d'un de ses passages à Paris, un banquet où il fut dit d’excellentes choses. Le nom de M. Barrés a assez d’autorité par lui-même pour qu’on ne soit pas autorisé à considérer comme surfaite, la réputation littéraire de celui qui était son hôte, et on ne peut que regretter de nouveau les événements malheureux dans lesquels s’est perdu un nom si littérairement honorable.

Il nous sera permis toutefois de regretter la triste fin morale de M. Oscar Wilde. C’était un artiste du verbe, un écrivain et un poète de race. Je sais de lui telles pages qui sont de véritables petits chefs-d’œuvre de langue alerte et d’ironie. Ces pages-là n’abondent pas tant parmi la littérature anglaise contemporaine pour qu’on ne déplore pas que celui qui les a écrites se soit laissé entraîner à des pratiques nauséabondes qui le chassent du rang des honnêtes gens. Ce Mangin britannique — Mangin de réclame et de costume — avait pour la France une affection réelle. Il avait eu, il y a quelques années l’idée d’abandonner sa nationalité pour endosser la nôtre. Ce n’eut peut-être pas été très flatteur pour nous, lorsqu’eussent éclaté au grand jour ses relations avec lord Douglas, et je crois qu’au fond il y avait bien chez lui un peu de dépit de ne pas se voir suffisamment compris dans son propre pays, — du moins, cette intention est-elle caractéristique. Je ne puis pas oublier non plus qu’en 1892, un groupe de littérateurs français, dont faisait partie M. Maurice Barrès, lui avait offert chez Voisine, lors d’un de ses passages à Paris, un banquet où il fut dit d’excellentes choses. Le nom de M. Barrès a assez d’autorité par lui-même pour qu’on ne soit pas autorisé à considérer comme surfaite, la réputation littéraire de celui qui était son hôte, et on ne peut que regretter de nouveau les événements malheureux dans lesquels s’est perdu un nom si littérairement honorable.

Jules René.

Chronic

Today we know the end of the Oscar Wilde trial. The accuser - just back - became accused, he confessed to ongoing relations with the son of Lord Queensbury. At present, Mr. Oscar Wilde must repent of having brought the case before a court, because, in broad daylight of the debates, the facts were able to be clarified, and it is not the insolent arrogance of the allegedly defamed which could, for a single moment, mislead public opinion.

The Englishman, it is to be fair to him, is not satisfied with words. He does not chew like some Latin breeds. The conditions of his existence, his education, the line of conduct he follows in all his actions, trace to him this primordial principle of never letting himself be taken in by facts alone. I imagine he must have greeted Mr. Wilde's answers with a touch of pity, and it is obvious that once you accept the character of the people, those answers mean nothing, not even that Mr. Oscar Wilde is a fine talker, for in the courtroom as in business, as in literature—except, alas! for international politics! — English only speaks when it has something to say. This was not the case with Mr. Wilde. In such a precise matter, the good fat readers over there must have made light fun of the theories of art for art's sake expounded by Oscar Wilde, of his contempt for the bourgeois and of his letters which are sonnets. The question was somewhere else.

Mr. Oscar Wilde, if he had been prudent, would not have breathed a word of Lord Queensbury's insults. With a magnificent gesture, with the air of supreme haughtiness which the artist knows how to assume when necessary for the philistine who insults him, he would have, on entering the club, buried the offending card in the pocket of his fur coat. The affair could not have gone further, the initiates having too much of an interest in preventing it from spreading to the outside world. The reputation for originality Mr. Oscar Wilde insisted on making would perhaps not have been gained by it, for the public, until recently, had not been able to verify it with the help of documents. .. human, but at least he could, in complete safety, walk around in the middle of Piccadilly with his incredible ties, without running the risk of being shown on his finger like a dirty gentleman, whose hand you don't shake. The love of advertising sometimes has cruel setbacks.

This trial is, in fact, the literary and worldly death of M. Oscar Wilde. It is certain that the very curious writer that he is will no longer be able to publish anything from now on, to have anything performed: it would cost his publisher's existence, or the "manager" bold enough to lend him the boards of his theater. In the aftermath of the scandal unleashed on his name, what subscriber of the small magazines where he pontificated until now would like to read an article bearing his signature, what passerby buys one of his books, what spectator hears one of his plays? One must have lived a little of English existence to be able to fully appreciate the kind of madness there would be today in trying to resurrect M. Oscar Wilde, a man of letters. The facts in which he was mixed up cannot be forgiven in England—less the facts themselves perhaps than the rumor they have caused, than the consideration they cast on a class of society, where , for some time now, Mr. Oscar Wilde has assumed the posture of a man listened to. These facts are irreparable.

Because, there is no mistaking it, Mr. Oscar Wilde was beginning to be known for other than eccentricities in bad taste. He had long passed for a Péladan from across the Channel. For a long time we had seen in him only the individual who does not want to dress like everyone else, who wants to decide with his own bet on the vulgar dressed in the frock coat or the jacket. As for Péladan too, we had ended up realizing that there was in him something other than a smoker.

This reputation dated from three years ago. It had arisen the very evening of the performance at Haymarket, in 1892, of his play "Jady Windmere's fan", during which the British high life had suddenly realized - after the pure artists - that it had dealing with a man of talent.

Since then, it had increased sufficiently for M. Oscar Wilde to be able to boast of access to a few salons, from which he would have been excluded formerly for lack of dress. What will this particular world, in which the word trousers takes on the name of “inexpressive”, have said when it has learned of the amorous escapades of its new recruit? Already strongly tested in the public respect by certain business of small telegraphists, of which eye sorrow and anger will not it see this discredit which reflects on him, because of the dirtinesses of Mr. Oscar Wilde? This class of society has the same motto as some villains: it is not forbidden to do wrong, just try not to let yourself be taken in. Mr. Oscar Wilde let himself be caught; we will know how to make him repent of it.

We will, however, be allowed to regret the sad moral end of M. Oscar Wilde. He was an artist of words, a writer and a poet by race. I know such pages from him which are veritable little masterpieces of lively language and irony. These pages are not so abundant in contemporary English literature that it is not deplored that the person who wrote them allowed himself to be drawn into nauseating practices which chased him from the rank of honest people. This British Mangin—Mangin of advertising and costume—had a real affection for France. A few years ago he had the idea of abandoning his nationality to endorse ours. It might not have been very flattering for us, when his relations with Lord Douglas had come to light, and I believe that deep down there was a little resentment on his part at not seeing himself sufficiently. understood in his own country—at least this intention is characteristic. Nor can I forget that in 1892, a group of French writers, including M. Maurice Barrés, had offered him at Voisine's, during one of his visits to Paris, a banquet where he was said to excellent things. The name of M. Barres has enough authority in itself that one is not authorized to consider as overrated the literary reputation of him who was his host, and one cannot but regret again the unfortunate events in which has lost such a literaryly honorable name.

Jules Rene.