Difference
Le monde des esthètes parisiens a été douloureusement impressionné par la fâcheuse mésaventure qui a conduit le poête Oscar Wilde dans les prisons de Londres.
Les esthètes ? Vous ignorez cette école ? Tant mieux ! D'ailleurs, elle ne compte pas de grands noms, mais tout simplement une bande d'inquiétants jeunes hommes qui se figurent que le talent consiste dans le pufisme et que, pour être un grand artiste, on n'a qu'a se moquer du public.
Ce genre décadent avait pour grand-prêtre, en Angleterre, le dénommé Oscar Wilde, dont les goûts par trop esthétiques pour les petits garçons viennent de causer à Londres le scandale que l'on sait.
Il vint jadis à Paris, ce triste personnage, et je me rappelle encore la campagne qui fut menée, par toute la légion des snobs et des imbéciles, pour nous faire saluer le génie de cet « amateur de sensations rares ».
Je le vis, à un spectacle où l'on faisait cercle autour de lui. C'était un grand garçon, joufflu, imberbe, aux cheveux blonds pommadés sur les tempes, à la main grasse et molle, aux gestes lents, au parler paresseux, avec je ne sais quoi d'anti-viril dans toute sa personnalité.
L'impertinence envers le public-est un des caractères principaux de l'esthète, ai-je dit. Nul mieux que Wilde ne posséda cette impertinence. Voici, en effet, ce que l'on racontait de lui, à l'époque. Une de ses pièces avait eu à Londres un gros succès de représentation. Pour répondre à l'enthousiasme des spectateurs, Oscar Wilde avait dû se laisser traîner sur la scène. Il y était arrivé absolument flegmatique, très correct dans son habit à revers fleuris, et, entre deux bouffées d'une cigarette qu'il n'avait pas cessé de fumer, il avait, d'un ton plein de condescendance, adressé cette phrase au public : « Vraiment, je vous félicite d'avoir eu assez de goût pour apprécier mon oeuvre à sa valeur... »
Il parlait avec un grasseyement aimable, affectant de glisser légèrement sur les opinions ou les réflexions les plus osées qu'il émettait. Fort peu de temps auparavant, une pièce de lui avait eu, à Londres, un succès énorme de première représentation. Pour répondre, voire pour obéir à l'enthousiasme tumultueux et acharné des spectateurs, Oscar Wilde avait dû se laisser traîner sur la scène. Il y était arrivé absolument flegmatique, très correct dans son habit au revers fleuri, et entre deux bouffées d’une cigarette qu’il n’avait pas cessé de fumer il avait, d’un ton plein de condescendance impertinente, adressé cette phrase au public : « Vraiment, je vous félicite d’avoir eu assez de goût pour apprécier mon œuvre à sa valeur... » Un tel genre de pose lui était évidemment devenu presque naturel.
N'est-ce pas le comble du genre ? C'est le même homme qui se pâmait d'admiration à la lecture d'une œuvre dans laquelle l'auteur était parvenu à écrire plusieurs phrases qui ne signifiaient absolument rien. Pour un esthète cela est, en effet, le suprême de l'art !