Oscar Wilde

Ce triste personnage, dont on parle tant, je l’ai plusieurs fois aperçu à Paris ; je l’y ai vu faire parade, et non d’ailleurs sans esprit, de sa virtuosité dans le paradoxe. Il ne me semble pas que ses mœurs, alors, fussent aucunement suspectes. On le savait seulement bizarre, étrange, précieux, original. En somme, on le considérait un peu comme un excentrique de talent, ayant tout ce qu'il faut pour amuser, par son esthétisme plus ou moins sincère, des curiosités raffinées. Il était donc assez recherché, durant ses rapides séjours en France. Et je crois bien qu’il se complaisait volontiers à s’exhiber.

Son premier aspect était assez déconcertant. On avait devant soi un très grand garçon, — j’emploie le mot à dessein, car, en dépit de ses trente-cinq ans et de sa carrure, il ne donnait pas l'impression d’un homme, — un très grand garçon fort bouffi. Habillé du reste, désormais, à peu près comme tout le monde, de vêtements amples à la coupe anglaise très caractérisée.

Ce n’était plus l’échappé de Magdelen-College déambulant à travers Pall-Mall avec un grand lys ou un soleil en main, porté droit comme un cierge. C’était une manière de dandy, aux mains grasses, faisant craquer ses gants gris perle, souriant d’un perpétuel sourire, qui découvrait une denture très en dehors et plutôt médiocre, et portant fréquemment à ses lèvres et à ses narines un mouchoir parfumé. Comme fleurs, à la boutonnière, un simple bouquet de violettes. L’œillet vert qu’il avait un moment mis en vogue à Londres, était déjà démodé ! Sa façon de se coiffer, à l’anglaise, avec des cheveux trop longs, d’un châtain clair, lissés au cosmétique sur le front, achevait de lui donner un air de grand et gros gamin.

Il parlait avec un grasseyement aimable, affectant de glisser légèrement sur les opinions ou les réflexions les plus osées qu'il émettait. Fort peu de temps auparavant, une pièce de lui avait eu, à Londres, un succès énorme de première représentation. Pour répondre, voire pour obéir à l'enthousiasme tumultueux et acharné des spectateurs, Oscar Wilde avait dû se laisser traîner sur la scène. Il y était arrivé absolument flegmatique, très correct dans son habit au revers fleuri, et entre deux bouffées d’une cigarette qu’il n’avait pas cessé de fumer il avait, d’un ton plein de condescendance impertinente, adressé cette phrase au public : « Vraiment, je vous félicite d’avoir eu assez de goût pour apprécier mon œuvre à sa valeur... » Un tel genre de pose lui était évidemment devenu presque naturel.

L'impertinence envers le public-est un des caractères principaux de l'esthète, ai-je dit. Nul mieux que Wilde ne posséda cette impertinence. Voici, en effet, ce que l'on racontait de lui, à l'époque. Une de ses pièces avait eu à Londres un gros succès de représentation. Pour répondre à l'enthousiasme des spectateurs, Oscar Wilde avait dû se laisser traîner sur la scène. Il y était arrivé absolument flegmatique, très correct dans son habit à revers fleuris, et, entre deux bouffées d'une cigarette qu'il n'avait pas cessé de fumer, il avait, d'un ton plein de condescendance, adressé cette phrase au public : « Vraiment, je vous félicite d'avoir eu assez de goût pour apprécier mon oeuvre à sa valeur... »

Je me souviens qu’un jour, devant lui, on commentait une histoire d’empoisonnement, assez analogue à celle du procès Joniaux, dont il avait inséré un épisode dans quelque récit. Pour premier crime, un mari avait supprimé sa femme, après l’avoir fait assurer sur la vie pour une forte somme. Cette femme, qui appartenait à la haute société londonienne, M. Oscar Wilde l’avait connue. Et, comme on demandait ce qu'il pensait de la cruauté traîtresse du meurtrier : « Oh ! nous dit-il gravement, très, très shocking !... Mais elle avait les chevilles si grosses !... »

Cette réponse ne pouvait beaucoup nous surprendre, venant d’un homme qui a consacré un de ses ouvrages, le plus remarquable, assurent ses admirateurs, à l’apologie de l’assassinat en tant que sport noble et de haut goût !

Je crois que j'augmenterais encore singulièrement l’indignation de ses compatriotes contre lui, si je rapportais les humoristiques historiettes qu’il se plaisait à débiter, avec une ironique tranquillité, sur la vie de la cour et sur les plus éminentes personnalités de son pays. Je ne rapporterai que deux ou trois de ses propos les plus anodins.

Il était vraiment très comique en dépeignant la vie à Windsor. Depuis la mort du tant regretté prince-consort, on y fait tout en versant des larmes. On se compose un visage funèbre dès en entrant dans la salle à manger de la reine. On voit une rose sur la table, et on verse un pleur en essayant «le se rappeler combien il aimait les roses... On pleure à torrents dans les yeux brouillés... Et ce perpétuel attendrissement est jugé le comble de l’exquis !

Pourtant, toujours d’après Oscar Wilde, Sa Gracieuse Majesté serait, à l’occasion, fort susceptible d’une sincérité sans mièvrerie, bien au contraire ! — Un peintre, une fois faisait son portrait. La reine, au bout de quelques séances, va jeter un coup d'œil sur la toile. Elle y était fort embellie. Voici qu’elle entre en véhémente colère et, interpellant violemment l’artiste : « Eh quoi ! monsieur, vous me faites jolie ? Mais je suis rougeaude, monsieur ! mais je suis laide ! mais je suis un montre !... C’est de la dernière impertinence, monsieur, de vouloir me faire jolie !... »

Le mensonge, dans ce cas, — toujours selon Wilde, — eût été encore plus flagrant s’il se fût agi de prêter des charmes à la belle-fille de la reine, à la belle-sœur de la princesse de Galles, Mme la duchesse d'Edimbourg...

Le poste de première dame d’honneur au près d'une princesse du sang est, naturellement, l’objet de frénétiques ambitions. Mais il faut que cette première dame d’honneur remplisse avant tout une condition essentielle : il faut qu’elle soit un peu plus laide que la princesse elle-même. Eh bien ! M. Wilde affirmait qu’en dépit des compétitions il fallut plus de deux ans de recherches pour trouver une dame d'honneur à la duchesse d’Edimbourg, dans les conditions voulues...

Ce ne sont là, sans doute, que de malicieuses boutades. Cependent je crois qu’il est prudent que je m’interrompe de citer...

Quelques-unes de ses appréciations littéraires auraient moins d’inconvénient à être redites, quoique je ne l’aie entendu s'émerveiller qu’une seule fois, et cela à propos de certain passage d’un ouvrage dans lequel, à la profonde admiration d’Oscar Wilde, l’auteur était parvenu à écrire plusieurs phrases qui ne signifiaient absolument rien... Mais ses théories sur la matière ont été assez formellement résumées dans plusieurs des étonnantes réponses de son étonnant interrogatoire. Tout mauvais art, à son gré, provient du retour à la vie et à la nature... Ne discutons pas : il nous récuserait. « Un critique, a-t-il écrit, ne peut pas être juste au sens ordinaire du mot. Il n’est possible d’émettre une opinion vraiment non influencée que sur les choses qui ne nous intéressent pas du tout. Telle est à coup sûr la raison pour la quelle une opinion non influencée est toujours complètement sans valeur. L’homme qui voit les deux côtés d'une question est un homme qui ne voit absolument rien. »

Boiseguin.

Oscar Wilde

This sad character, of whom we talk so much, I saw him several times in Paris; I saw him parade there, and moreover not without spirit, his virtuosity in the paradox. It does not seem to me that his morals, then, were in any way suspect. We only knew it to be bizarre, strange, precious, original. In short, he was considered a bit of an eccentric of talent, having everything needed to amuse, by his more or less sincere aestheticism, refined curiosities. He was therefore quite sought after during his short stays in France. And I believe that he gladly took pleasure in showing off.

His first appearance was quite disconcerting. We had in front of us a very tall boy — I use the word deliberately, for, despite his thirty-five years and his build, he did not give the impression of a man — a very tall boy. very puffy. Dressed for the rest, from now on, more or less like everyone else, in loose clothes with a very characteristic English cut.

It was no longer the escapee from Magdelen-College strolling through Pall-Mall with a large lily or a sun in hand, carried as tall as a candle. He was like a dandy, with greasy hands, cracking his pearl-grey gloves, smiling a perpetual smile, who showed very outward and rather mediocre teeth, and frequently carrying a perfumed handkerchief to his lips and nostrils. . As flowers, in the buttonhole, a simple bouquet of violets. The green carnation that he had once made fashionable in London was already out of fashion! His way of doing his hair, in the English style, with hair that was too long, light brown, cosmetically smoothed on the forehead, finished giving him the look of a big, fat kid.

He spoke with an amiable slur, affecting to glide lightly over the most daring opinions or reflections he uttered. Very shortly before, a play by him had had an enormous success at its first performance in London. To respond, even to obey the tumultuous and relentless enthusiasm of the spectators, Oscar Wilde had to let himself be dragged onto the stage. He had arrived there absolutely phlegmatic, very correct in his coat with the flowered lapels, and between two puffs of a cigarette which he had not quit smoking he had, in a tone full of impertinent condescension, addressed this sentence to the audience: "Really, I congratulate you on having had enough taste to appreciate my work at its value..." Such a pose had obviously become almost natural to him.

I remember that one day, in front of him, they were commenting on a story of poisoning, rather analogous to that of the Joniaux trial, an episode of which he had inserted in some account. For the first crime, a husband had suppressed his wife, after having insured her on life for a large sum. This woman, who belonged to London high society, Mr. Oscar Wilde had known. And, as they asked what he thought of the treacherous cruelty of the murderer: “Oh! he told us gravely, very, very shocking!... But she had such big ankles!...”

This answer could not surprise us much, coming from a man who devoted one of his most remarkable works, assure his admirers, to the apology of assassination as a noble sport and of high taste!

I believe that I would still singularly increase the indignation of his compatriots against him, if I reported the humorous little stories that he liked to spout, with ironic calm, on the life of the court and on the most eminent personalities of his country. I will report only two or three of his most innocuous remarks.

He was really very comical in portraying life in Windsor. Since the death of the much-missed prince-consort, everything has been done there while shedding tears. We put on a funereal face as soon as we enter the queen's dining room. We see a rose on the table, and we shed a tear trying to "remember how much he loved roses... We cry in torrents in the blurred eyes... And this perpetual tenderness is considered the height of the exquisite. !

However, still according to Oscar Wilde, His Gracious Majesty would, on occasion, be very susceptible to sincerity without sentimentality, quite the contrary! — A painter once painted his portrait. The queen, after a few sittings, will take a look at the canvas. She was very beautiful there. Here she gets into a vehement rage and, violently calling out to the artist: “Hey what! Sir, are you making me pretty? But I am ruddy, sir! but I'm ugly! but I am a watch!... It is the utmost impertinence, sir, to want to make myself pretty!...”

The lie, in this case—again according to Wilde—would have been even more flagrant had it been a question of attributing charms to the queen's daughter-in-law, to the sister-in-law of the Princess of Wales, Mme. Duchess of Edinburgh...

The post of first lady of honor next to a princess of the blood is, naturally, the object of frenzied ambitions. But this first lady-in-waiting must above all fulfill one essential condition: she must be a little uglier than the princess herself. Well ! Mr. Wilde claimed that despite the competition it took more than two years of research to find a lady-in-waiting to the Duchess of Edinburgh, under the desired conditions...

These are, no doubt, only malicious jokes. However, I think it is prudent for me to stop quoting...

Some of his literary appreciations would be less inconvenient to be repeated, although I only heard him marvel once, and that in connection with a certain passage of a work in which, to the deep admiration of Oscar Wilde, the author had managed to write several sentences which meant absolutely nothing... But his theories on the matter were rather formally summarized in several of the astonishing answers of his astonishing interrogation. All bad art, to its liking, comes from the return to life and to nature... Let's not argue: it would challenge us. "A critic," he wrote, "cannot be just in the ordinary sense of the word. It is only possible to express a truly uninfluenced opinion about things that do not interest us at all. This is surely the reason why an uninfluenced opinion is always completely worthless. The man who sees both sides of a question is a man who sees absolutely nothing. »

Boiséguin.

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