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Le Soir - Sunday, May 26, 1895
Difference
Je viens de converser longuement avec lord Alfred Douglas, dans la manière de jardin au fond duquel s'élève l'hôtel de la Poste, rue Jeanne-d'Arc.
Le fervent ami d'Oscar Wilde a vingt-quatre ans. Comme dirait ma concierge, il ne les paraît pas. On lui donnerait vingt ans, tout au plus. Il est grand. Au premier coup d'œil, des pieds à la tête, il m'apparaît blond : blond de cheveux, blond de peau, blond d'habits. Très en harmonie avec cette générale impression blonde, trois teintes tendres : le bleu céleste des yeux ; le rose, au cou, de la cravate de linge ; le mauve, au bord de la poche du veston, d'un petit mouchoir fin.
Bien que s'y accusent un peu fortement le nez et la bouche, le visage — long — est celui d'un mystique. Cela ne va pas pourtant, jusqu'à de l'extase dans le regard. La physionomie d'Alfred Douglas n'a rien de très particulier que sa douceur absolue et son calme. Mais, pour celui qui ne cherche pas midi à quatorze heures, cet adulte a simplement l'air d'un parfait bon petit jeune homme.
Et rien d'anormal dans la démarche ; des allures tout à fait naturelles.
— Je suis ici depuis le commencement du procès; me dit-il. L'avocat de M. Wilde m'avait dit que j'y pourrais être appelé comme témoin, et je ne voulais pas cela. J'ai été à Paris, il y a trois jours ; mais j'avais fait en sorte que les journaux ne connussent point ma présence.
— Est-ce donc que vous fuyez l'occasion de vous expliquer ?
— Cependant, votre lettre au Temps, hier ?
— Savez-vous bien que vous vous y montrez définitivement un fils bien extraordinaire ?
— Aoh ! voilà. Il faut donc vous expliquer que ma conduite vis-à-vis de mon père n'a rien que de très logique.
— Oui, vous ne savez pas. Vous ignorez quel homme entièrement abominable est le marquis de Queensberry. Probablement, vous avez un bon père, vous ? Oui, n'est ce pas ? Moi, non. Jusqu'à l'âge de douze ans, peut-être j'ai vu le mien a peine vingt fois, et je ne savais pas du tout, observant quelles manières il avait avec moi, si j'étais le fils de cet homme.
Et, comme je me taisais, songeant, Alfred Douglas reprit :
— Ne pensez pas que je ne suis pas son fils. Sûrement, il est mon père, car ma mère est la créature la plus noble. C'est elle qui, sans le vouloir, me le fit voir tel qu'il avait été et comme il est. Je questionnai ma mère, en effet, après qu'elle eut obtenu le divorce. Il y a huit ans, je crois, de cela. Moi, j'avais seize ans. Je voulais savoir les choses. Ma mère me dit seulement une partie des souffrances que le marquis lui avait fait endurer. Après le divorce, il continua, du reste. Encore il continue. Il n'a cessé, il ne cesse d'adresser à la marquise des lettres ignobles et insultantes, et, souvent, il est allé, le soir, frapper dans la porte, pendant des heures, quand il savait que ma mère était malade et que le repos lui était indispensable.
— Avait-il de meilleurs procédés pour lord Douglas of Havick, votre frère ?
— Non. Mon frère déteste le marquis tout comme moi. Et il est vrai qu'il a dû être parfaitement satisfait de le corriger il y a quelques jours.
Lord Alfred Douglas disait ces choses sans passion, avec la plus stupéfiante tranquillité.
— Néanmoins, ajouta-t-il, je ne crois pas que rien de désastreux eût dû survenir entre le marquis et moi, s'il ne s'était un jour avisé de regarder de trop près dans ma vie, à laquelle il n'avait jamais contribué que par son argent, et s'il n'avait eu la prétention, de détruire mon amitié pour Oscar Wilde. Je lui écrivis nettement qu'il n'avait pas de droits sur ma conscience, et que je trouvais mauvais qu'il se mêlât de mes affaires, lui qui, pendant vingt ans, s'y était montré si peu attentif. Il me répondit que si je n'interrompais mes relations avec Wilde, il me couperait les vivres (j'étais alors à Oxford, et il m'envoyait trois cent cinquante livres par an). Je lui écrivis : « Gardez votre argent. » Plus tard, pourtant, il voulut connaître Wilde, et s'arrangea pour déjeuner avec lui et moi. Durant ce déjeuner, il fût charmant et s'excusa d'avoir méconnu mon maître. Mais il ne devait pas persister dans ces bonnes dispositions... Vous savez, comme tout le monde, ce qu'il fit.
— Votre frére était aussi à Oxford ?
— Non. Après avoir désiré entrer dans la marine, il avait renoncé à cette carrière, et il était parti pour l'Australie. Il eut la chance d'y trouver de l'or, et, il y a six mois, il est revenu assez riche pour pouvoir fournir la caution de Wilde, ces temps derniers.
Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d'être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.
Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d’être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.
Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que, relativement confus, j'eus achevé de m'exprimer :
Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que relativement confus, j’eus achevé de m'exprimer.
— Wilde n'a pas les passions antiphysiques qu'on lui prête. C'est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n'est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : le Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre nature : cela veut-il dire que, lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu'il s'abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Balzac a peint, dans Une Passion du désert, l'amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas, pourtant, que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).
— Wilde n’a pas les passions antiphysiques qu’on lui prête, C’est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n’est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : le Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre-nature : cela veut-il dire que lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu’il s’abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Balzac a peint, dans Une Passion du Désert, l’amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas pourtant que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).
— Alors, pour ce qui vous concerne, l'amitié que vous avez vouée à Wilde...
— Alors, pour ce qui vous concerne, l’amitié que vous avez vouée à Wilde...
— Cette amitié, fit Alfred Douglas s'animant soudain, je ne dis pas qu'elle n'ait pas un côté exceptionnel. J'avoue même, vous entendez, que l'affection que j'ai pour lui est extraordinaire. Appelons-la romantique. Il n'y a pas, pour moi, de plus grande joie que celle de dîner avec Oscar Wilde, quand il est en good form. Nos deux âmes communient réellement dans le Symbole. Cela a quelque chose d'extraterrestre. Ici, cela peut sembler louche, et cela n'est que séraphique. Et c'est maintenant, que nous avons tant souffert l'un à cause de l'autre, que nous songerions le moins à nous séparer. Avant, j'étais lié à lui par une sorte d'unique plaisir de dilettante ; je suis maintenant lié à lui, plus sûrement, par la persécution.