ENTRETIEN AVEC LORD ALFRED DOUGLAS
(PAR DÉPÊCHE DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL)

Rouen, 24 mai 1895.

Je viens de converser longuement avec lord Alfred Douglas, dans la manière de jardin au fond duquel s'élève l'hôtel de la Poste, rue Jeanne-d'Arc.

Le fervent ami d'Oscar Wilde a vingt-quatre ans. Comme dirait ma concierge, il ne les paraît pas. On lui donnerait vingt ans, tout au plus. Il est grand. Au premier coup d'œil, des pieds à la tête, il m'apparaît blond : blond de cheveux, blond de peau, blond d'habits. Très en harmonie avec cette générale impression blonde, trois teintes tendres : le bleu céleste des yeux ; le rose, au cou, de la cravate de linge ; le mauve, au bord de la poche du veston, d'un petit mouchoir fin.

Bien que s'y accusent un peu fortement le nez et la bouche, le visage — long — est celui d'un mystique. Cela ne va pas pourtant, jusqu'à de l'extase dans le regard. La physionomie d'Alfred Douglas n'a rien de très particulier que sa douceur absolue et son calme. Mais, pour celui qui ne cherche pas midi à quatorze heures, cet adulte a simplement l'air d'un parfait bon petit jeune homme.

Et rien d'anormal dans la démarche ; des allures tout à fait naturelles.

— Je suis ici depuis le commencement du procès; me dit-il. L'avocat de M. Wilde m'avait dit que j'y pourrais être appelé comme témoin, et je ne voulais pas cela. J'ai été à Paris, il y a trois jours ; mais j'avais fait en sorte que les journaux ne connussent point ma présence.

— Est-ce donc que vous fuyez l'occasion de vous expliquer ?

— Mais, pourquoi parler ?

— Plutôt écrire, n'est-ce pas ?

— Pas davantage.

— Cependant, votre lettre au Temps, hier ?

— Il convenait de rectifier...

— Savez-vous bien que vous vous y montrez définitivement un fils bien extraordinaire ?

— Aoh ! voilà. Il faut donc vous expliquer que ma conduite vis-à-vis de mon père n'a rien que de très logique.

— Ho ! ho !

— Oui, vous ne savez pas. Vous ignorez quel homme entièrement abominable est le marquis de Queensberry. Probablement, vous avez un bon père, vous ? Oui, n'est ce pas ? Moi, non. Jusqu'à l'âge de douze ans, peut-être j'ai vu le mien a peine vingt fois, et je ne savais pas du tout, observant quelles manières il avait avec moi, si j'étais le fils de cet homme.

Et, comme je me taisais, songeant, Alfred Douglas reprit :

— Ne pensez pas que je ne suis pas son fils. Sûrement, il est mon père, car ma mère est la créature la plus noble. C'est elle qui, sans le vouloir, me le fit voir tel qu'il avait été et comme il est. Je questionnai ma mère, en effet, après qu'elle eut obtenu le divorce. Il y a huit ans, je crois, de cela. Moi, j'avais seize ans. Je voulais savoir les choses. Ma mère me dit seulement une partie des souffrances que le marquis lui avait fait endurer. Après le divorce, il continua, du reste. Encore il continue. Il n'a cessé, il ne cesse d'adresser à la marquise des lettres ignobles et insultantes, et, souvent, il est allé, le soir, frapper dans la porte, pendant des heures, quand il savait que ma mère était malade et que le repos lui était indispensable.

— Avait-il de meilleurs procédés pour lord Douglas of Havick, votre frère ?

— Non. Mon frère déteste le marquis tout comme moi. Et il est vrai qu'il a dû être parfaitement satisfait de le corriger il y a quelques jours.

Lord Alfred Douglas disait ces choses sans passion, avec la plus stupéfiante tranquillité.

— Néanmoins, ajouta-t-il, je ne crois pas que rien de désastreux eût dû survenir entre le marquis et moi, s'il ne s'était un jour avisé de regarder de trop près dans ma vie, à laquelle il n'avait jamais contribué que par son argent, et s'il n'avait eu la prétention, de détruire mon amitié pour Oscar Wilde. Je lui écrivis nettement qu'il n'avait pas de droits sur ma conscience, et que je trouvais mauvais qu'il se mêlât de mes affaires, lui qui, pendant vingt ans, s'y était montré si peu attentif. Il me répondit que si je n'interrompais mes relations avec Wilde, il me couperait les vivres (j'étais alors à Oxford, et il m'envoyait trois cent cinquante livres par an). Je lui écrivis : « Gardez votre argent. » Plus tard, pourtant, il voulut connaître Wilde, et s'arrangea pour déjeuner avec lui et moi. Durant ce déjeuner, il fût charmant et s'excusa d'avoir méconnu mon maître. Mais il ne devait pas persister dans ces bonnes dispositions... Vous savez, comme tout le monde, ce qu'il fit.

— Votre frére était aussi à Oxford ?

— Non. Après avoir désiré entrer dans la marine, il avait renoncé à cette carrière, et il était parti pour l'Australie. Il eut la chance d'y trouver de l'or, et, il y a six mois, il est revenu assez riche pour pouvoir fournir la caution de Wilde, ces temps derniers.

Alfred Douglas se tut.

Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d'être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.

Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d'être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.

Je cherchai comment je pourrais lui poser, sans le blesser, la question délicate sur les façons d’être de Wilde et sur les siennes propres, en dehors de leurs habitudes de pur esprit.

Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que, relativement confus, j'eus achevé de m'exprimer :

Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que, relativement confus, j'eus achevé de m'exprimer :

Je finis par trouver une formule, et je sus me faire entendre du jeune lord qui, toujours fort tranquille et très doux, me dit, dès que relativement confus, j’eus achevé de m'exprimer.

— Wilde n'a pas les passions antiphysiques qu'on lui prête. C'est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n'est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : le Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre nature : cela veut-il dire que, lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu'il s'abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Balzac a peint, dans Une Passion du désert, l'amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas, pourtant, que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).

— Wilde n'a pas les passions antiphysiques qu'on lui prête. C'est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n'est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : la Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre nature : cela veut-il dire que lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu'il s'abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Bàlzac a peint, dans Une Passion du Desert, l'amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas, pourtant, que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).

— Wilde n’a pas les passions antiphysiques qu’on lui prête, C’est, seulement, un être original et fantastiquement artiste. Il recherche toutes les émotions, mais ce n’est que par singularité morale. Ainsi, il adorerait causer avec un assassin et lui offrirait avec joie à dîner dans sa chambre. Cela comporterait un danger. Il estime que ce serait véritablement amusant. Vous me dites que dans son roman : le Portrait de Dorian Gray, il a montré son héros courant à des aventures contre-nature : cela veut-il dire que lui, Wilde, ait les mêmes préoccupations et qu’il s’abandonne aux mêmes actes ? Votre grand romancier Balzac a peint, dans Une Passion du Désert, l’amour d'un soldat pour une panthère ; et je ne crois pas pourtant que Balzac ait jamais couché avec une panthère (sic).

— Alors, pour ce qui vous concerne, l'amitié que vous avez vouée à Wilde...

— Alors, pour ce qui vous concerne, l'amitié que vous avez vouée à Wilde...

— Alors, pour ce qui vous concerne, l’amitié que vous avez vouée à Wilde...

— Cette amitié, fit Alfred Douglas s'animant soudain, je ne dis pas qu'elle n'ait pas un côté exceptionnel. J'avoue même, vous entendez, que l'affection que j'ai pour lui est extraordinaire. Appelons-la romantique. Il n'y a pas, pour moi, de plus grande joie que celle de dîner avec Oscar Wilde, quand il est en good form. Nos deux âmes communient réellement dans le Symbole. Cela a quelque chose d'extraterrestre. Ici, cela peut sembler louche, et cela n'est que séraphique. Et c'est maintenant, que nous avons tant souffert l'un à cause de l'autre, que nous songerions le moins à nous séparer. Avant, j'étais lié à lui par une sorte d'unique plaisir de dilettante ; je suis maintenant lié à lui, plus sûrement, par la persécution.

— Cette amitié, fit Alfred Douglas, s'animant, soudain, je ne dis pas qu'elle n'ait pas un côté exceptionnel. J'avoue même, vous entendez, que l'affection que j'ai pour lui est extraordinaire. Appelons-la romantique. It n'y a pas, pour moi, de plus grande joie que celle de dîner avec Oscar Wilde, quand it est en good form. Nos deux âmes communient réellement dans le Symbole. Cela a quelque chose d'extraterrestre. Ici, cela peut sembler louche, et cela n'est que séraphique. Et c'est maintenant, que nous avons tant souffert l'un à cause de l'autre, que nous songerions le moins à nous séparer. Avant, j'étais lié à lui par une sorte d'unique plaisir de dilettante ; je suis maintenant lié à lui, plus sûrement, par la persécution.

GEORGES DOCQUOIS.

INTERVIEW WITH LORD ALFRED DOUGLAS
(BY DISPATCH FROM OUR SPECIAL ENVOY)

Rouen, May 24, 1895.

I have just had a long conversation with Lord Alfred Douglas, in the sort of garden at the end of which rises the Hotel de la Poste, rue Jeanne-d'Arc.

The fervent friend of Oscar Wilde is twenty-four years old. As my concierge would say, they don't appear. We would give him twenty years, at the most. He is tall. At first glance, from head to toe, he looks blond to me: blond hair, blond skin, blond clothes. Very in harmony with this general blond impression, three tender shades: the celestial blue of the eyes; the rose, at the neck, of the linen tie; the mauve, at the edge of the jacket pocket, of a small thin handkerchief.

Although the nose and mouth are a little pronounced, the face—long—is that of a mystic. It does not go however, until ecstasy in the glance. The face of Alfred Douglas has nothing very special except his absolute gentleness and his calm. But, for those who don't look for noon to two o'clock, this adult simply looks like a perfect good little young man.

And nothing abnormal in the process; totally natural looks.

— I have been here since the beginning of the trial; he told me. Mr. Wilde's lawyer had told me that I could be called there as a witness, and I didn't want that. I was in Paris three days ago; but I had made sure that the newspapers did not know of my presence.

"Are you running away from an opportunity to explain yourself?"

"But why talk?"

- Rather write, is not it?

- No more.

"However, your letter to Le Temps yesterday?"

- It should be corrected...

"Do you know that you definitely show yourself to be a very extraordinary son there?"

— Oh! here. You must therefore explain to you that my behavior towards my father is entirely logical.

- Hey! hey!

“Yes, you don't know. You don't know what utterly abominable man the Marquess of Queensberry is. Probably, you have a good father, do you? Yes, isn't it? Me no. Until I was twelve years old, maybe I saw mine barely twenty times, and I had no idea, watching what manners he had with me, whether I was that man's son.

And, as I was silent, thinking, Alfred Douglas resumed:

“Don't think I'm not his son. Surely he is my father, for my mother is the noblest creature. It was she who, unwittingly, made me see him as he had been and as he is. I questioned my mother, indeed, after she had obtained the divorce. Eight years ago, I believe, of that. I was sixteen years old. I wanted to know things. My mother tells me only part of the sufferings that the marquis had made her endure. After the divorce, he continued, however. Still he continues. He did not stop, he does not stop sending despicable and insulting letters to the Marquise, and he often went in the evening to knock on the door, for hours, when he knew that my mother was ill and that rest was essential to him.

"Did he have better ways for Lord Douglas of Havick, your brother?"

- Nope. My brother hates the marquis just like me. And it is true that he must have been perfectly satisfied to correct it a few days ago.

Lord Alfred Douglas said these things without passion, with the most astounding calm.

"Nevertheless," he added, "I do not believe that anything disastrous should have occurred between the Marquis and me, if he had not one day taken it into his head to look too closely at my life, to which he did not had never contributed except with his money, and if he had not had the pretension, of destroying my friendship for Oscar Wilde. I wrote to him clearly that he had no rights over my conscience, and that I found it wrong that he interfered in my affairs, he who, for twenty years, had shown himself so inattentive to them. He answered me that if I did not interrupt my relations with Wilde, he would cut off my provisions (I was then at Oxford, and he sent me three hundred and fifty pounds a year). I wrote to him: “Keep your money. Later, however, he wanted to meet Wilde, and arranged to have lunch with him and me. During this lunch, he was charming and apologized for having misunderstood my master. But he was not to persist in these good dispositions... You know, like everyone else, what he did.

'Your brother was also at Oxford?'

- Nope. After wishing to enter the navy, he had given up that career and left for Australia. He was lucky enough to find gold there, and six months ago he came back rich enough to be able to post Wilde's bail lately.

Alfred Douglas fell silent.

I wondered how I could ask him, without hurting him, the delicate question about Wilde's ways of being and his own, apart from their habits of pure spirit.

I ended up finding a formula, and I managed to make myself heard by the young lord who, always very calm and very gentle, said to me, as soon as, relatively confused, I had finished speaking:

'Wilde does not have the antiphysical passions attributed to him. He is simply an original and fantastically artistic being. He seeks all emotions, but only out of moral singularity. Thus, he would love to chat with an assassin and would happily treat him to dinner in his room. It would be dangerous. He thinks it would be genuinely fun. You tell me that in his novel: The Picture of Dorian Gray, he showed his hero running to adventures against nature: does that mean that he, Wilde, has the same preoccupations and that he abandons himself to the same acts? Your great novelist Balzac painted, in A Passion of the Desert, the love of a soldier for a panther; and I don't believe, however, that Balzac ever slept with a panther (sic).

'So, as far as you're concerned, the friendship you've made for Wilde...

'This friendship,' said Alfred Douglas, suddenly becoming animated, 'I'm not saying it isn't exceptional. I even admit, you hear, that the affection I have for him is extraordinary. Let's call it romantic. There is no greater joy for me than to have dinner with Oscar Wilde, when he is in good shape. Our two souls really commune in the Symbol. It has something extraterrestrial. Here it may seem suspicious, and it is only seraphic. And it is now, when we have suffered so much for each other, that we would least dream of separating. Before, I was bound to him by a kind of unique dilettante pleasure; I am now bound to him, more surely, by persecution.

GEORGES DOCQUOIS.

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