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Le Réveil - Thursday, April 25, 1895
Difference
Un véritable autodafé des œuvres de l'esthète Oscar Wilde s'accomplit en ce moment sur toute l'étendue du territoire anglo-américain. La Morale préside, ayant pour assesseurs le Bigotisme et l’Hypocrisie. De Londres à Chicago, poèmes, romans, comédies, portant le nom devenu infâme du bouc émissaire chargé de tous les péchés anglicans, montent en fumée expiatoire jusqu'au trône de l'Eternel. Est-il si irrité que les puritains le disent, le Sabaoth des armées du salut, parce qu’un garçon, fortement toqué, a commis des contre-sens dans l'interprétation de l’universelle loi d'amour ? Il n’avait qu’à mieux construire la machine humaine, le divin forgeron. Toute faute dont l’architecture physique de la créature permet l’accomplissement retombe un peu sur le créateur.
Un véritable autodafé des œuvres de l'esthète Oscar Wilde s'accomplit en ce moment sur toute l'étendue du territoire anglo-américain. La Morale préside, ayant pour assesseurs le Bigotisme et l’Hypocrisie. De Londres à Chicago, poèmes, romans, comédies, portant le nom devenu infâme du bouc émissaire chargé de tous les péchés anglicans, montent en fumée expiatoire jusqu'au trône de l'Eternel. Est-il si irrité que les puritains le disent, le Sabaoth des armées du salut, parce qu’un garçon, fortement toqué, a commis des contre-sens dans l'interprétation de l’universelle loi d'amour ? Il n’avait qu’à mieux construire la machine humaine, le divin forgeron. Toute faute dont l’architecture physique de la créature permet l’accomplissement retombe un peu sur le créateur.
Les inquisiteurs espagnols brûlant le livre hérétique, avec l’auteur qui l’avait écrit, prouvaient une logique qui fait défaut aux incinérateurs des œuvres d’Oscar Wilde. Ils punissaient la pensée estimée criminelle et anéantissaient sa trace, sa propagande, sa puissance. On supprimait ainsi la contagion.
Les inquisiteurs espagnols brûlant le livre hérétique, avec l’auteur qui l’avait écrit, prouvaient une logique qui fait défaut aux incinérateurs des œuvres d’Oscar Wilde. Ils punissaient la pensée estimée criminelle et anéantissaient sa trace, sa propagande, sa puissance. On supprimait ainsi la contagion.
Les libraires de Londres et de New-York, en retirant, avec des pincettes, les volumes signés Oscar Wilde étalés sur leurs rayons, s'maginent-ils anéantir le vice pour lequel l’auteur est déféré aux tribunaux ? Ces « booksellers » sont d’impudents tartuffes, désireux de gratter la tartufferie anglicane là où elle démange. Les ouvrages de Wilde ne contenaient aucune hérésie sexuelle. Si l’on avait le courage de parcourir ce fatras de sottises, de prétentieuses bizarreries, de platitudes emphatiques, de divagations plus ou moins sonores et de stupéfiantes obscurités, — tout le fatras ordinaire de nos déliquescents, on en retirerait une impression d'ennui carabiné, mais rien d’anormal, de licencieux, de dépravé. Les poèmes, les pièces, les nouvelles, les romans de l’esthète au nom devenu ignominieux sont plutôt chastes. Le juge le plus adroit, le plus vicieux aussi, car il faut au bon magistrat, comme à l’excellent confesseur, une érudition lubrique intense et une science approfondie de toutes les aberrations passionnelles, ne trouverait pas dans ses vingt mille vers et ses cinquante mille lignes deux épithètes à joindre au dossier. Oscar n'avait pas de sexe devant sa table à écrire. Il était éthéré, nuageux, candide, un ange aux ailes immaculées. La proscription dont ses écrits sont en ce moment l’objet est donc absurde autant que misérable. Aucune souillure contagieuse n'était à craindre pour les lecteurs. En cachant, comme des objets honteux, ces livres simplement insignifiants et ennuyeux, en les purifiant par le pilon, la librairie anglo-américaine proclame une fois de plus l’hypocrisie de sa clientèle et le mensonge moral dont elle est coutumière. La destruction même des écrits de l’ami du jeune lord Douglas prouve leur innocence. S'ils avaient contenu la moindre particularité sur les relations de l'auteur avec les grooms aux joues rosées qu'il traitait en cabinet particulier, toute la séquelle des prédicants, des teatotallers, des salutistes, des quakers, se fût ruée aux librairies et l’on eût, oh ! dans l’arrière-boutique obscure, écoulé les éditions à la douzaine. Il n’y avait rien de shocking et d’improper dans ces vagues et incohérentes productions : donc, au cuvier ! Ainsi, sans se priver d'une délectation, la vertueuse Albion montre à l’univers sa rigoureuse moralité.
Les libraires de Londres et de New-York, en retirant, avec des pincettes, les volumes signés Oscar Wilde étalés sur leurs rayons, s'maginent-ils anéantir le vice pour lequel l’auteur est déféré aux tribunaux ? Ces « booksellers » sont d’impudents tartuffes, désireux de gratter la tartufferie anglicane là où elle démange. Les ouvrages de Wilde ne contenaient aucune hérésie sexuelle. Si l’on avait le courage de parcourir ce fatras de sottises, de prétentieuses bizarreries, de platitudes emphatiques, de divagations plus ou moins sonores et de stupéfiantes obscurités, — tout le fatras ordinaire de nos déliquescents, on en retirerait une impression d'ennui carabiné, mais rien d’anormal, de licencieux, de dépravé. Les poèmes, les pièces, les nouvelles, les romans de l’esthète au nom devenu ignominieux sont plutôt chastes. Le juge le plus adroit, le plus vicieux aussi, car il faut au bon magistrat, comme à l’excellent confesseur, une érudition lubrique intense et une science approfondie de toutes les aberrations passionnelles, ne trouverait pas dans ses vingt mille vers et ses cinquante mille lignes deux épithètes à joindre au dossier. Oscar n'avait pas de sexe devant sa table à écrire. Il était éthéré, nuageux, candide, un ange aux ailes immaculées. La proscription dont ses écrits sont en ce moment l’objet est donc absurde autant que misérable. Aucune souillure contagieuse n'était à craindre pour les lecteurs. En cachant, comme des objets honteux, ces livres simplement insignifiants et ennuyeux, en les purifiant par le pilon, la librairie anglo-américaine proclame une fois de plus l’hypocrisie de sa clientèle et le mensonge moral dont elle est coutumière. La destruction même des écrits de l’ami du jeune lord Douglas prouve leur innocence. S'ils avaient contenu la moindre particularité sur les relations de l'auteur avec les grooms aux joues rosées qu'il traitait en cabinet particulier, toute la séquelle des prédicants, des teatotallers, des salutistes, des quakers, se fût ruée aux librairies et l’on eût, oh! dans l’arrière-boutique obscure, écoulé les éditions à la douzaine. Il n’y avait rien de shocking et d’improper dans ces vagues et incohérentes productions : donc, au cuvier ! Ainsi, sans se priver d'une délectation, la vertueuse Albion montre à l’univers sa rigoureuse moralité.
Cette exécution en effigie d’un écrivain, bon ou mauvais, cette réversibilité sur l’œuvre, non coupable, de la pénalité et de la déchéance qui peuvent atteindre un homme reconnu guilty, condamnable, non pour ses écrits, mais pour ses actes, voilà une théorie contre laquelle, en France, il est permis de protester. Des tendances se manifestent déjà, chez nous vers cet absurde esprit britannique. Je rappellerai le cas d'Aristide Bruant, poète populaire d’une énergie intense, chantre des misères, ironique satiriste des vices et des difformités de son temps. Il ambitionnait, le bon Aristide, les palmes violettes. C'était pour lui une consécration officielle, un grade dans l’armée bourgeoise, où, grâce à ses économies, il s’apprêtait à faire quelque figure, devenant meunier dans le Gâtinais. Un personnage ayant la spécialité de présenter les sujets les plus convenables aux distinctions officielles, M. Camille Doucet, qui n’était pas un académicien, mais l’Académie même, appuyait la requête du chansonnier plébéien. Refus. Pourquoi ? Parce qu’Aristide n’avait pas de talent et que ses chansons étaient d'abominables rapsodies ? Personne, même dans l'entourage select du ministre de l'instruction publique, n’aurait osé lâcher cette bêtise. On a déclaré seulement Bruant indigne de porter la violette parce qu’il portait des bottes, et qu'il tenait un cabaret où l'on accueillait les gens aux cris de : « Oh ! la ! la ! c’te gueule ! c'te binette ! » Qu’est-ce que le costume et les vociférations du cabaret de Bruant ont de commun avec son talent ? Ce n’est pas comme cabaretier botté que Camille Doucet réclamait pour lui les palmes. O snobisme !
Cette exécution en effigie d’un écrivain, bon ou mauvais, cette irréversibilité sur l’œuvre, non coupable, de la pénalité et de la déchéance qui peuvent atteindre un homme reconnu guilty, condamnable, non pour ses écrits, mais pour ses actes, voilà une théorie contre laquelle, en France, il est permis de protester. Des tendances se manifestent déjà, chez nous vers cet absurde esprit britannique. Je rappellerai le cas d'Aristide Bruant, poète populaire d’une énergie intense, chantre des misères, ironique satiriste des vices et des difformités de son temps. Il ambitionnait, le bon Aristide, les palmes violettes. C'était pour lui une consécration officielle, un grade dans l’armée bourgeoise, où, grâce à ses économies, il s’apprêtait à faire quelque figure, devenant meunier dans le Gâtinais. Un personnage ayant la spécialité de présenter les sujets les plus convenables aux distinctions officielles, M. Camille Doucet, qui n’était pas un académicien, mais l’Académie même, appuyait la requête du chansonnier plébéien. Refus. Pourquoi ? Parce qu’Aristide n’avait pas de talent et que ses chansons étaient d'abominables rapsodies ? Personne, même dans l'entourage select du ministre de l'instruction publique, n’aurait osé lâcher cette bêtise. On a déclaré seulement Bruant indigne de porter la violette parce qu’il portait des bottes, et qu'il tenait un cabaret où l'on accueillait les gens aux cris de : « OhI la ! la ! c’te gueule ! c'te binette ! » Qu’est-ce que le costume et les vociférations du cabaret de Bruant ont de commun avec son talent ? Ce n’est pas comme cabaretier botté que Camille Doucet réclamait pour lui les palmes. O snobisme!
Les Anglais sont libres d'agir chez eux comme ils l'entendent, mais tâchons de nous préserver de la pénétration de leurs vices. Je ne veux pas dire la contagion des mœurs dont Oscar Wilde et Taylor sont actuellement les parangons, mais l’hypocrisie et la sottise qui font aux choses de l'art mêler la moralité.
Les Anglais sont libres d'agir chez eux comme ils l'entendent, mais tâchons de nous préserver de la pénétration de leurs vices. Je ne veux pas dire la contagion des mœurs dont Oscar Wilde et Taylor sont actuellement les parangons, mais l’hypocrisie et la sottise qui font aux choses de l'art mêler la moralité.
Qu’importe qu'un homme de talent soit débauché, voleur, assassin, infâme ! C’est son œuvre qu’on fréquente, non sa personne. Tropmann aurait laissé un beau livre, qu’il faudrait donner des extraits de son ouvrage dans les morceaux choisis pour la jeunesse et le citer avec les éloges et la reconnaissance dus aux bienfaiteurs de l'esprit humain. La postérité n'a pas se préoccuper des vertus privées de l’auteur dont elle recueille les travaux, mais de la vertu, de la qualité spéciale de son œuvre. Ou viendrait à découvrir aujourd’hui que Shakespeare était un Jack l’éventreur, que Chateaubriand faisait de la fausse monnaie, que Victor Hugo attendait les gens dans les burgs du Rhin pour les dévaliser et que Renan, comme Gilles de Bais, humait avec délices le sang des jeunes garçons, que ces indiscrétions historiques n’ôteraient rien de leur puissance, de leur charme, de leur vertu, de leur pureté aux Souvenirs d’enfance, à la Légende des Siècles, aux Mémoires d’outre-Tombe, au Roi Lear. L’Angleterre, si grande en tant de circonstances, la patrie féconde de Shakespeare et de Newton, de Darwin et de Stephenson, apparaît bien mesquine et bien petite, quand, pour complaire à ses cafards et à ses cagots, elle frappe l’écrit chaste pour punir l’écrivain corrompu. C’est un enfantillage indigne d'une nation aussi intelligente, aussi ouverte à toutes les clartés littéraires, philosophiques, scientifiques, industrielles. Que cet exemple nous instruise. Chez nous, le vice d’Oscar Wilde est à peu près nul. Nous avons dégoût et éloignement pour cette dépravation dont Henry Fouquier a merveilleusement combattu la curiosité même, en montrant combien était ridicule la posture des curieux. Mais n’allons pas emprunter à nos voisins la répercussion de l’infamie dont ils accablent en ce moment des écrits, des imprimés qui n’ont subi pourtant aucun contact avilissant. Maintenons et défendons ce principe : l’artiste peut être un scélérat, un infâme, un objet de mépris et d'horreur pour ses contemporains, et l’œuvre qui émane de lui peut être éblouissante, d’une pureté, d’une douceur admirables, digne de l’admiration et de l’estime de tous. Le fait est rare, presque impossible, c’est évident. Je ne crois pas beaucoup à un Tropmann homme de génie. L’aventure d’Oscar Wilde prouve cependant qu'on peut être un pourceau dans la vie et dans les régions de l'art un séraphin.
Qu’importe qu'un homme de talent soit débauché, voleur, assassin, infâme ! C’est son œuvre qu’on fréquente, non sa personne. Tropmann aurait laissé un beau livre, qu’il faudrait donner des extraits de son ouvrage dans les morceaux choisis pour la jeunesse et le citer avec les éloges et la reconnaissance dus aux bienfaiteurs de l'esprit humain. La postérité n'a pas se préoccuper des vertus privées de l’auteur dont elle recueille les travaux, mais de la vertu, de la qualité spéciale de son œuvre. Ou viendrait à découvrir aujourd’hui que Shakespeare était un Jack l’éventreur, que Chateaubriand faisait de la fausse monnaie, que Victor Hugo attendait les gens dans les burgs du Rhin pour les dévaliser et que Renan, comme Gilles de Bais, humait avec délices le sang des jeunes garçons, que ces indiscrétions historiques n’ôteraient rien de leur puissance, de leur charme, de leur vertu, de leur pureté aux Souvenirs d’enfance, à la Légende des Siècles, aux Mémoires d’outre-Tombe, au Roi Lear. L’Angleterre, si grande en tant de circonstances, la patrie féconde de Shakespeare et de Newton, de Darwin et de Stephenson, apparaît bien mesquine et bien petite, quand, pour complaire à ses cafards et à ses cagots, elle frappe l’écrit chaste pour punir l’écrivain corrompu. C’est un enfantillage indigne d'une nation aussi intelligente, aussi ouverte à toutes les clartés littéraires, philosophiques, scientifiques, industrielles. Que cet exemple nous instruise. Chez nous, le vice d’Oscar Wilde est à peu près nul. Nous avons dégoût et éloignement pour cette dépravation dont Henry Fouquier a merveilleusement combattu la curiosité même, en montrant combien était ridicule la posture des curieux. Mais n’allons pas emprunter à nos voisins la répercussion de l’infamie dont ils accablent en ce moment des écrits, des imprimés qui n’ont subi pourtant aucun contact avilissant. Maintenons et défendons ce principe : l’artiste peut être un scélérat, un infâme, un objet de mépris et d'horreur pour ses contemporains, et l’œuvre qui émane de lui peut être éblouissante, d’une pureté, d’une douceur admirables, digne de l’admiration et de l’estime de tous. Le fait est rare, presque impossible, c’est évident. Je ne crois pas beaucoup à un Tropmann homme de génie. L’aventure d’Oscar Wilde prouve cependant qu'on peut être un pourceau dans la vie et dans les régions de l'art un séraphin.