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Le Voltaire - Sunday, December 8, 1895
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Il est arrivé d’Angleterre une triste nouvelle. Oscar Wilde serait sur le point de mourir, tué par la fatigue du hard labour. Des cœurs généreux se sont émus en France, et l’on a rédigé une pétition qui, au nom de l’Art et de l’Humanité, supplie la reine Victoria de gracier le poète presque moribond.
Il est arrivé d’Angleterre une triste nouvelle. Oscar Wilde serait sur le point de mourir, tué par la fatigue du hard labour. Dos cœurs généreux se sont émus en France, et l’on a rédigé une pétition qui, au nom de l’Art et de l’Humanité, supplie la reine Victoria de gracier le poète presque moribond.
Certes, le sort présent d’Oscar Wilde est digne de pitié. La torture n’a point disparu de l’Europe. En Angleterre, elle s’appelle hard labour. Elle s’est perfectionnée depuis le moyen âge. Elle use des progrès de la mécanique. Au lieu de mourir en huit jours, le sujet meurt en huit mois ; et la civilisation n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Certes, le sort présent d’Oscar Wilde est digne de pitié. La torture n’a point disparu de l’Europe. En Angleterre, elle s’appelle hard labour. Elle s’est perfectionnée depuis le moyen âge. Elle use des progrès de la mécanique. Au lieu de mourir en huit jours, le sujet meurt en huit mois ; et la civilisation n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Pour un misérable quelconque, préparé à toutes les duretés par les rudesses quotidiennes d’une vie de travail manuel, le hard labour est un supplice affreux ; que doit-il être pour Oscar Wilde, le dandy ?
Pour un misérable quelconque, préparé à toutes les duretés parles rudesses quotidiennes d’une vie de travail manuel, le hard labour est un supplice affreux ; que doit-il être pour Oscar Wilde, le dandy ?
Pauvre esthète ! quand sa chair gémit sous la douleur, il faut encore que son âme se lamente sur l’honneur perdu et la gloire éteinte. Nouvelle infortune : dernièrement, on l’a tiré un instant de sa prison pour lui apprendre qu’il était ruiné.
Pauvre esthète ! quand sa chair gémit sous la douleur, il faut encore que son âme se lamente sur l’honneur perdu et la gloire éteinte. Nouvelle infortune : dernièrement, on l’a tiré un instant de sa prison pour lui apprendre qu’il était ruiné.
Et cet homme est un névrosé, un hyperesthésique. (Qui a lu ses œuvres, qui a suivi son procès, n’en saurait douter.) Sa faculté de souffrir est donc plus grande que celle des autres. Etre normalement sensible au malheur et devenir la proie d’un malheur anormal : quelle atroce destinée !
Et cet homme est un névrosé, un hyperesthésique. (Qui a lu ses œuvres, qui a suivi son procès, n’en saurait douter.) Sa faculté de souffrir est donc plus grande que celle des autres. Etre normalement sensible au malheur et devenir la proie d’un malheur anormal : quelle atroce destinée !
Ocar Wilde résistera-t-il à un sort aussi cruel ? Vivra-t-il assez longtemps pour être libre de nouveau, pour essayer de voiler sa honte sous l’éclat de ses travaux ?
Oscar Wilde résistera-l-il à un sort aussi cruel ? Vivra-t-il assez longtemps pour être libre de nouveau, pour essayer de voiler sa honte sous l'éclat de ses travaux ?
L’esthète a déjà produit de fort belles choses. Le Portrait de Dorian Gray est capable de faire réfléchir les plus subtils et d’apprendre des sensations aux plus raffinés. On y trouve les indices d’une étrange et puissante personnalité. On y rencontre des phrases, des mots, qui éblouissent délicieusement l’intelligence ou qui, dans le cœur, font vibrer tout d’un coup les fibres les mieux cachées.
L’esthète a déjà produit de fort belles choses. Le Portrait de Dorian Gray est capable de faire réfléchir les plus subtils et d’apprendre des sensations aux plus raffinés. On y trouve les indices d’une étrange et puissante personnalité. On y rencontre des phrases, des mots, qui éblouissent délicieusement l’intelligence ou qui, dans le cœur, font vibrer tout d’un coup les fibres les mieux cachées.
Toutefois nous pensons qu’il n’y avait pas lieu de rédiger la pétition dont nous ayons parlé.
Toutefois nous pensons qu’il n’y avait pas lieu de rédiger la pétition dont nous avons parlé.
Vous demandez la grâce d’Oscar Wilde au nom de l’Humanité : c’est que vous jugez le hard labour inhumain. Si vous trouvez cette peine tellement odieuse, pourquoi n’avoir point pétitionné contre elle auparavant ? Vous attendiez, peut-être, qu’elle fît une grande victime ; mais c’était oublier qu’en matière d’humanité, toute victime est grande. Peut-être, voulez-vous saisir cette occasion de commencer l’attaque d’une abominable coutume ? Eh bien ! l’occasion est mauvaise. La grâce d’Oscar Wilde constituerait une faute grave de la part du gouvernement anglais. La maladie criminelle de l’esthète devenait épidémique à Londres ; on l’a soignée violemment : on a bien fait.
Vous demandez la grâce d’Oscar Wilde au nom de l’Humanité : c’est que vous jugez le haro labour inhumain. Si vous trouvez cette peine tellement odieuse, pourquoi n’avoir point pétitionné contre elle auparavant ? Vous attendiez, peut-être, qu’elle lit une grande victime ; mais c’était oublier qu’en matière d’humanité, toute victime est grande. Peut-être, voulez-vous saisir cette occasion de commencer l’attaque d’une abominable coutume ? Eh bien ! l’occasion est mauvaise. La grâce d’Oscar Wilde constituerait une faute grave de la part du gouvernement anglais. La maladie criminelle de l’esthète devenait épidémique à Londres; on l’a soignée violemment : on a bien fait.
Nous ne répéterons pas ce que les moralistes ont dit sur les conséquences terribles que la pratique généralisée d’une distraction chère à l’aristocratie anglaise aurait pour la société ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer avec horreur que la propagation de l’ignoble manie d’Oscar Wilde troublerait mortellement les affections les plus douces et les plus belles : les amitiés entre hommes.
Nous ne répéterons pas ce que les moralistes ont dit sur les conséquences terribles que la pratique généralisée d’une distraction chère à l’aristocratie anglaise aurait pour la société ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer avec horreur que la propagation de l'ignoble manie d’Oscar Wilde troublerait mortellement les affections les plus douces et les plus belles : les amitiés entre hommes.
Partisan convaincu de l’abolition de la peine de mort, nous aurions jugé maladroit de soutenir notre opinion au moment du procès d’Emile Henry ; révolté qu’un peuple soi-disant civilisé accepte le maintien du hard labour, nous trouvons inopportun d’en demander la suppression à propos du criminel esthète.
Partisan convaincu de l’abolition de la peine de mort, nous aurions jugé maladroit de soutenir notre opinion au moment du procès d’Emile Henry ; révolté qu’un peuple soi-disant civilisé accepte le maintien du hard labour, nous trouvons inopportun d’en demander la suppression à propos du criminel esthète.
Mais peu vous importe actuellement le hard labour : ce que vous sollicitez, c’est la grâce d’Oscar Wilde et rien de plus. Le même supplice qui vous fait pousser des clameurs de pitié quand il est infligé à l’esthète, vous laisse muets s’il torture un autre misérable.
Mais peu vous importe actuellement le hard labour : ce que vous sollicitez, c’est la grâce d’Oscar Wilde et rien de plus. Le même supplice qui vous fait pousser des clameurs de pitié quand il est infligé à l’esthète, vous laisse muets s’il torture un autre misérable.
Certains prisonniers souffrent moralement et physiquement tout autant qu’Oscar Wilde. Les douleurs de l’esthète sont augmentées par la sensiblerie excessive et son esprit d’analyse; mais quelques-uns de ses compagnons d’infortune peuvent lui ressembler sous ce rapport : avec le don du verbe, ils auraient, comme lui, produit des œuvres remarquables.
Certains prisonniers soufrent moralement et physiquement tout autant qu'Oscar Wilde. Les douleurs de l’esthète sont augmentées par la sensiblerie excessive et son esprit d’analyse; mais quelques-uns de ses compagnons d’infortune peuvent lui ressembler sous ce rapport : avec le don du verbe, ils auraient, comme lui, produit des œuvres remarquables.
Vous dites que le malheureux est tombé de très haut, qu’il était le dieu de la plus délicate société. Puisque l’esthète possédait une telle influence, puisqu’il voyait tant de regards admirativement dirigés vers lui, il avait mille raisons de plus pour se refuser à l’ignominie qui l’a perdu. Le mal que fait à Oscar Wilde le souvenir de son bonheur passé, reste le juste châtiment de cette grande faute: s’être complu à de semblables turpitudes, quand sa place dans le monde intellectuel lui ordonnait d’avoir une vie si haute.
Vous dites que le malheureux est tombé de très haut, qu’il était le dieu de la plus délicate société. Puisque l’esthète possédait une telle influence, puisqu’il voyait tant de regards admirativement dirigés vers lui, il avait mille raisons de plus pour se refuser à l’ignominie qui l’a perdu. Le mal que fait à Oscar Wilde le souvenir de son bonheur passé, reste le juste châtiment de cette grande faute: s’être complu à de semblables turpitudes, quand sa place dans le monde intellectuel lui ordonnait d’avoir une vie si haute.