UN MANIFESTE
EN FAVEUR D'OSCAR WILDE

La revue la Plume, que l'on a toujours trouvée en tête de toutes les manifestations d'audace ou de générosité, publiera dans son prochain numéro un pressant appel aux célébrités des littératures françaises et anglaises, dans le but d'obtenir l'élargissement d'Oscar Wilde ou, au moins, un adoucissement à sa détention. Les travaux du hard-labour ont, paraît-il, entièrement ruiné la santé de l'auteur du Portrait de Dorian Gray et detant d'autres œuvres originales. C'est M. Stuart Merrille qui l'annonce et qui provoque par la même occasion un mouvement de pitié et de sollicitation en faveur du poète anglais. Nous ne saurions mieux expliquer sa pensée et ses intentions qu'en citant les propres termes dans lesquels il les exprime.

Une lettre que j'ai reçue de M. Robert Sherard, admis à visiter Oscar Wilde dans l'infirmerie de sa prison, me bouleverse de colère et de pitié. « J'ai vu Oscar Wilde, » m'ecrit-il, « il y a quinze jours. Il venait de passer deux semaines a l'infirmerie et avait l'air terriblement malade. Il me dit qu'il ne comptait pas vivre encore longtemps : je ne puis m'empêcher de partager ses craintes. Il lui est impossible de digérer la nourriture qu'on lui donne, et il souffre d'une continuelle insomnie. Cela surpasse en horreur, me dit-il, tout ce que j'ai jamais imagine. »

M. Sherard ajoute qu'en réponse à ses propres instances auprès de hauts personnages, il lui a été declaré que Oscar Wilde ne serait libéré que s'il devenait fou ou tombait mortellement malade. Dernier détail : le prisonnier n'est autorisé à recevoir qu'une fois par trimestre une lettre de sa femme, qui s'est montrée admirable de confiance et de constance.

Voilà donc un grand artiste qu'on s'ingénie à tuer en secret, non pas par dégoût d'un vice que lui a peut-être été menteusement imputé.

N'est-il pas temps que les écrivains de France et d'Angleterre réagissent, par une éclatante protestation, contre l'hypocrisie bourgeoise qui les menace de nouveau dans ces deux pays ?

Malheureusement, la protestation d'écrivains encore mal connus du public europeen n'aura aucun poids auprès de ceux qui ont entre leurs mains le sort du prisonnier. Il faudrait qu'une pétition fût rédigée et signée par d'illustres chefs de file, tels ceux-ci que je cite au hasard : Zola, Daudet, de Goncourt, de Heredia, Coppée, en France ; Swinburne, Owen Meredith, Thomas Hardy, Henry James, William Black, en Angleterre. Cette pétition devrait être rédigee en des termes tels que ceux qui croient à la culpabilité d'Oscar Wilde, mais qui estiment sa punition suffisante, pussent la signer. Les courageux articles d'Octave Mirbeau, de Henry Bauer, de Paul Adam, de Hugues Rebell n'ont amené aucun résultat pratique, parce qu'ils furent le fait d'écrivains isolés et trop visiblement apologistes.

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Tels sont les passages principaux de ce manifeste qui doit paraître dans quelques heures. Je ne crois pas me tromper en disant que la jeune littérature le signera en masse. Que feront les aînés à qui ils demandent de prendre le rôle de porte-file, que pensent de l'opportunité de ce mouvement MM. Zola, Daudet, de Goncourt, de Heredia et Coppée ?

Il y aurait peut-être quelque mauvaise grâce de leur part à refuser leur signature, car, si je suis bien renseigné, les adhésions de leurs confrères anglais sont assurées, pour la plupart, si elles ne sont pas encore toutes recueillies. — En tous cas voilà du travail pour les interviewers.

PAUL ROYER

A MANIFEST
IN FAVOR OF OSCAR WILDE

The review La Plume, which has always been found at the head of all manifestations of audacity or generosity, will publish in its next issue a pressing appeal to celebrities of French and English literature, with the aim of obtaining the enlargement of Oscar Wilde or, at least, an alleviation to his detention. The labors of hard labor have, it seems, entirely ruined the health of the author of The Picture of Dorian Gray and of so many other original works. It is Mr. Stuart Merrille who announces it and who provokes at the same time a movement of pity and solicitation in favor of the English poet. We cannot better explain his thought and his intentions than by quoting the very words in which he expresses them.

A letter which I received from Mr. Robert Sherard, admitted to visit Oscar Wilde in the infirmary of his prison, overwhelms me with anger and pity. “I saw Oscar Wilde,” he wrote to me, “a fortnight ago. He had just spent two weeks in the infirmary and looked terribly ill. He told me that he did not expect to live much longer: I cannot help but share his fears. It is impossible for him to digest the food given to him, and he suffers from continual insomnia. It surpasses in horror, he tells me, anything I have ever imagined. »

Mr. Sherard adds that in response to his own entreaties to high officials, he was told that Oscar Wilde would only be released if he went mad or fell fatally ill. Last detail: the prisoner is only authorized to receive a letter from his wife once a quarter, who has shown herself to be admirable in her confidence and constancy.

Here, then, is a great artist who is being contrived to kill in secret, not out of disgust at a vice that has perhaps been lyingly imputed to him.

Isn't it time for the writers of France and England to react, with a resounding protest, against the bourgeois hypocrisy which threatens them again in these two countries?

Unfortunately, the protest of writers still little known to the European public will have no weight with those who have the fate of the prisoner in their hands. A petition would have to be drawn up and signed by illustrious leaders, such as these whom I quote at random: Zola, Daudet, de Goncourt, de Heredia, Coppée, in France; Swinburne, Owen Meredith, Thomas Hardy, Henry James, William Black, in England. This petition should be written in such terms that those who believe in Oscar Wilde's guilt, but deem his punishment sufficient, may sign it. The courageous articles of Octave Mirbeau, of Henry Bauer, of Paul Adam, of Hugues Rebell did not bring any practical result, because they were the work of isolated writers and too visibly apologists.

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These are the main passages of this manifesto which should appear in a few hours. I don't think I'm wrong in saying that young literature will sign it en masse. What will the elders who they ask to take on the role of file holder do, what do they think of the advisability of this movement MM. Zola, Daudet, de Goncourt, de Heredia and Coppée?

There would perhaps be some bad grace on their part to refuse their signature, because, if I am well informed, the adhesions of their English colleagues are assured, for the most part, if they have not yet all been collected. - In any case here is work for the interviewers.

PAUL ROYER

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