Chronique

Plus embarrassé que l’âne de Buridan, je me trouve en présence de trois événements importants : le cas de M. Landri inscrit par ordre de la Cour au tableau des avocats ; le procès de M. Oscar Wilde, littérateur anglais, et enfin le fameux Banquet à l’honneur de la science. Le banquet m’attire, non pas que la vue des bons morceaux et des vins fabriqués selon la dernière formule aient sur mon palais la moindre influence, mais pour le plaisir de l'entendement, à cause des discours « inter pocula ».

Plus embarrassé que l’âne de Buridon, je me trouve en présence de trois événements importants : le cas de M. Landri inscrit par ordre de la Cour au tableau des avocats ; le procès de M. Oscar Wilde, littérateur anglais, et enfin le fameux Banquet à l’honneur de la science. Le banquet m’attire, non pas que la vue des bons morceaux et des vins fabriqués selon la dernière formule aient sur mon palais la moindre influence, mais pour le plaisir de l'entendement, à cause des discours « inter pocula ».

L’Ordre a la prétention de nous faire croire, par ses refus arbitraires d’inscription ou ses sentences d’exclusion, que la célèbre Compagnie a le monopole de la vertu. Ses accès de délicatesse n’en imposent plus à personne, les avocats ont droit à la considération comme tous les honnêtes citoyens, la toge n’ajoute rien à l’honorabilité ni au talent, on s’en aperçoit du reste. Le corps médical, d’une nécessité sociale plus immédiate, ne demande pas de certificats autres que ceux faisant mention des droits d’exercice, les médecins sont néanmoins très honorables et très discrets et, s’il y a quelques dentistes parmi eux, le corps tout entier ne se sent pas atteint.

L’Ordre a la prétention de nous faire croire, par ses refus arbitraires d’inscription ou ses sentences d’exclusion, que la célèbre Compagnie a le monopole de la vertu. Ses accès de délicatesse n’en imposent plus à personne, les avocats ont droit à la considération comme tous les honnêtes citoyens, la toge n’ajoute rien à l’honorabilité ni au talent, on s’en aperçoit du reste. Le corps médical, d’une nécessité sociale plus immédiate, ne demande pas de certificats autres que ceux faisant mention des droits d’exercice, les médecins sont néanmoins très honorables et très discrets et, s’il y a quelques dentistes parmi eux, le corps tout entier ne se sent pas atteint.

L’avocat a ceci de particulier... Je vois bien qu’il faut me résigner à parler du banquet, l’avocat ne m’inspirant qu’une admiration profonde, admiration ressentie par tous les lecteurs car elle est universelle, elle s’impose. Pour moi l’avocat est même au-dessus de l’ingénieur, après cette déclaration, je vais être du dernier mal avec M. Ohnet ; tant pis, il faut savoir faire des sacrifices pour ses opinions.

L’avocat a ceci de particulier... Je vois bien qu’il faut me résigner à parler du banquet, l’avocat ne m’inspirant qu’une admiration profonde, admiration ressentie par tous les lecteurs car elle est universelle, elle s’impose. Pour moi l’avocat est même au-dessus de l’ingénieur, après cette déclaration, je vais être du dernier mal avec M. Ohnet; tant pis, il faut savoir faire des sacrifices pour ses opinions.

Ce banquet fut splendide, M. le président du Conseil Municipal est venu en personne apporter à M. Berthelot les congratulations de nos édiles, et peut-être a-t-il saisi cette occasion pour placer en même temps que ses périodes, ses vins que, j’aime à le croire pour la Gironde, sont supérieurs et ont plus de force que les étiques figure de rhétorique qui ornaient son discours. J’avais cru jusqu’à ce jour que pour apprécier la science, il fallait avoir eu avec elle un commerce lointain, questions de mœurs.

Ce banquet fut splendide, M. le président du Conseil Municipal est venu en personne apporter à M. Berthelot les congratulions de nos édites, et peut-être a-t-il saisi cette occasion pour placer en même temps que ses périodes, ses vins que j’aime à le croire pour la Gironde, sont supérieurs et ont plus de force que les étiques figure de rhétorique qui auraient son discours. J’avais cru jusqu’à ce jour que pour apprécier la science, il fallait avoir eu avec elle un commerce lointain, questions de mœurs.

Je me lève de table, je suis un garçon mal élevé. Malheureusement, je viens d’écrire le mot mœurs, et tout de suite il me vient à la pensée une quantité d’aperçus absolument nouveaux sur le procès de M. Oscar Wilde. Pudique Albion, voile-toi la face, ton Oscar porte un rude coup à ta réputation Wilde, esthète par tempérament, avait le geste louche, ses intentions n’étaient pas pures et son affection pour son jeune ami, lord Douglas, dépassait les bornes de l’amitié. Cette pauvre « Old England » si chaste, si réservée, doit être bien affligée qu’on étale aux yeux de l’Europe ses turpitudes qu’elle cache avec l’hypocrisie que l’on sait et sa mauvaise foi séculaire. Le pouvoir des petits télégraphistes s’affirme de plus en plus, les gentlemen nous expédieront bientôt leurs jolies filles qui doivent certainement sécher sur pieds, on essayera de les distraire, c’est le vice français. M Oscar Wilde, auteur dramatique très applaudi, demande avec instance son élargissement pour mettre la dernière main à son œuvre intitulée « Entre hommes ». Les juges se consultent et lord Douglas attend.

Je me lève de table, je suis un garçon mal élevé. Malheureusement, je viens d’écrire le mot moeurs, et tout de suite il me vient à la pensée une quantité d’aperçus absolument nouveaux sur le procès de M. Oscar Wilde. Pudique Albion, voile-toi la face, ton Oscar porte un rude coup à ta réputation. Wilde, ésthète par tempérament, avec le geste louche, ses intentions n'étaient pas pures et son affection pour son jeune ami, lord Douglas, dépassait les bornes de l’amitié. Cette pauvre « Old England » si chaste, si réservée, doit être bien affligée qu’on étale aux yeux de l’Europe les turpitudes qu’elle cache avec l’hypocrisie que l’on sait et sa mauvaise foi séculaire. Le pouvoir des petits télégraphistes s’affirme de plus en plus, les gentlemen nous expédieront bientôt leurs jolies filles qui doivent certainement sécher sur pieds, on essayera de les distraire, ceci le vice français. M. Oscar Wilde, auteur dramatique très applaudi, demande avec instance son élargissement pour mettre la dernière main à son œuvre intitulée «Entre hommes». Les juges se consultent et lord Douglas attend.

J’ai eu tort de me lever de table, j’ai raté le discours de M. Blatin, au nom du Grand-Orient, ruisselant d’anticléricalisme, il se croyait au café du commerce, ce bon M. Blatin, en présence de commis-voyageurs qui écoutent attentivement un raseur dans l’espérance de le taper d'une commission. Le télépathique Charles Richet, plus autorisé, a parlé de la science comme une source de revenus et de revenants ; très écouté, le directeur de la « Revue scientifique », il était visible qu’il était en communication avec des ombres célèbres. M. Zola, qui va en diminuant comme le nombre de ses éditions, est venu déclarer qu’il n’avait aucune espèce d’autorité pour parler au nom de la science, la surprise a été grande, car le célèbre romancier a eu, à un moment donné, la prétention de mettre la science en roman. Il a parlé d’affranchissement, de la pensée humaine, Môssieu, et de la sécurité dont jouit l’écrivain contemporain de parler d’amour, on se serait cru au Banquet de Platon. Enfin, ils étaient sept cents à écouter ressasser ces vérités du moment. Ce banquet contre M. Brunetière n’a rien prouvé, si ce n’est que le français, né malin, aime à dîner en société et pour pas trop cher.

J’ai eu tort de me lever de table, j’ai raté le discours de M. Blatin, au nom du Grand-Orient, ruisselant d'anticléricalisme, il se croyait au calé du commerce, ce bon M. Blatin, en présence de commis-voyageurs qui écoutent attentivement un rasseur dans l’espérance de le taper d’une commission. Le télépathique Charles Richet, plus autorisé, a parlé de la science comme une source de revenus et de revenants ; très écouté, le directeur de la « Revue scientifique », il était visible qu’il était en communication avec des ombres célèbres. M. Zola, qui va en diminuant comme le nombre de ses éditions, est venu déclarer qu’il n’avait aucune espèce d’autorité pour parler au nom de la science, la surprise a été grande, car le célèbre romancier a eu, à un moment donné, la prétention de mettre la science en roman. Il a parlé d’affranchisement, de la pensée humaine, Mòssieu, et de la sécurité dont jouit l’écrivain contemporain de parler d’amour, on se serait cru au Banquet de Platon. Enfin, ils étaient sept cents à écouter ressasser ces vérités du moment. Ce banquet contre M. Brunetière n’a rien prouvé, si ce n’est que le français, né malin, aime à dîner en société et pour pas trop cher.

Et tous ces scientifiques s’en sont allés chez eux, ou dans les restaurants de nuit, heureux d’avoir affirmé une fois de plus leur incroyance. Renan, qu’on a beaucoup cité depuis le banquet Berthelot, avait le plus profond dédain des parpaillots, et il a même ajouté des considérations fort pénibles sur le cas des fortes têtes ne croyant à rien par principe politique : il existe très peu de personnes, a-t-il dit, dont l’incrédulité est appuyée d’études suffisantes ; Renan admirait le petit gavroche qui tout d'un coup pouvait se permettre de ne plus croire.

Et tous ces scientifiques s’en sont allés chez eux, ou dans les restaurants de nuit, heureux d’avoir affirmé une fuis de plus leur incroyance. Renan, qu’on a beaucoup cité depuis le banquet Berthelot, avait le plus profond dédain des parpaillots, et il a même ajouté des considérations fort pénibles sur je cas des fortes têtes ne croyant à lien par principe politique : il existe très peu de personnes, a-t-il dit, dont l’incrédulité est appuyée d’études suffisantes ; Renan admirait le petit gavroche qui tout d’un coup pouvait se permettre de ne plus croire.

La science n’a pas fait banqueroute, mais elle n’a pas fait le bonheur de l’humanité. Qu’a fait la science pour le petit, la masse qui souffre ? rien. En réalité les progrès de la science ne profitent qu'aux classes élevées et moyennes. La machinerie a créé l’anarchie et a rendu l’ouvrier esclave des associations capitalistes. Elle ne pouvait pas donner le bonheur universel, elle a eu le tort de le faire croire, et c’est à ce point de vue qu'on peut dire qu’elle a fait faillite. L’homme vit simultanément deux vies : la vie physique qui manifeste des besoins impérieux et journaliers ; la vie morale, intellectuelle, spirituelle qui a ses aspirations, sa nourriture spéciale : la poésie et le désir de se survivre.

La science n’a pas fait banqueroute, mais elle n’a pas lait le bonheur de l’humanité. Qu’a fait la science pour le petit, la masse qui souffre ? rien. En réalité les progrès de la science ne profitent qu’aux classes élevées et moyennes. La machinerie a créé l’anarchie et a rendu l’ouvrier esclave des associations capitalistes. Elle ne pouvait pas donner le bonheur universel, elle a eu le tort de le faire croire, et c’est à ce point de vue qu’eu peut dire qu’elle a fait faillite. L'homme vit simultanément deux vies : la vie physique qui manifeste des besoins impérieux et journaliers : la vie morale, intellectuelle, spirituelle qui a ses aspirations, sa nourriture spéciale : la poésie et le désir de se survivre.

L’air, jusqu’en 1895, n’était composé que de deux gaz, l’oxygène et l’azote ; mais il parait démontré depuis peu qu’il existe un troisième gaz qu’on appelle l’argon. Si la nature se rebiffe contre les lois îmmuables établies par les Berthelot, où allons-nous mon Dieu ? — Au mysticisme.

L’air, jusqu’en 1805, n’était composé que de deux gaz, l’oxygène et l’azote ; mais il paraît démontré épuis peu qu’il existe un troisième gaz qu’on appelle l’argon. Si la nature se rebiffe contre les lois immuables établies par les Berthelot, où ailons-nous mon Dieu ? — Au mysticisme.

FRIDOLIN.

Chronic

More embarrassed than Buridan's donkey, I find myself in the presence of three important events: the case of Mr. Landri entered by order of the Court on the list of lawyers; the trial of Mr. Oscar Wilde, English writer, and finally the famous Banquet in honor of science. The banquet attracts me, not because the sight of good cuts and wines made according to the latest formula have the slightest influence on my palate, but for the pleasure of the understanding, because of the "inter pocula" speeches.

The Order claims to make us believe, by its arbitrary refusals of registration or its sentences of exclusion, that the famous Company has a monopoly on virtue. His outbursts of delicacy no longer impress anyone, lawyers are entitled to consideration like all honest citizens, the toga adds nothing to honor or talent, we can see that from the rest. The medical profession, of a more immediate social necessity, does not ask for certificates other than those mentioning the rights to practice, the doctors are nevertheless very honorable and very discreet and, if there are a few dentists among them, the whole body does not feel affected.

The lawyer has this particularity... I can clearly see that I have to resign myself to talking about the banquet, the lawyer only inspiring me with a deep admiration, an admiration felt by all the readers because it is universal, it is 'imposed. For me the lawyer is even above the engineer, after this declaration, I am going to be in the last trouble with Mr. Ohnet; Too bad, you have to know how to make sacrifices for your opinions.

This banquet was splendid, the President of the Municipal Council came in person to bring Mr. Berthelot the congratulations of our city councilors, and perhaps he took this opportunity to place at the same time as his periods, his wines which, I like to believe for the Gironde, are superior and have more force than the dainty figures of speech which adorned his speech. I had believed until now that to appreciate science, you had to have had a distant relationship with it, questions of morals.

I get up from the table, I am a badly brought up boy. Unfortunately, I have just written the word morals, and immediately I think of a number of absolutely new insights into the trial of M. Oscar Wilde. Modest Albion, veil your face, your Oscar is dealing a severe blow to your reputation Wilde, esthete by temperament, had a suspicious gesture, his intentions were not pure and his affection for his young friend, Lord Douglas, exceeded the bounds friendship. This poor "Old England" so chaste, so reserved, must be very distressed that we display in the eyes of Europe her turpitudes which she hides with the hypocrisy that we know and her secular bad faith. The power of the little telegraphists is asserting itself more and more, the gentlemen will soon send us their pretty girls who must certainly be drying on their feet, we will try to distract them, it is French vice. Mr. Oscar Wilde, highly acclaimed playwright, earnestly requests his release to put the finishing touches to his work entitled “Entre hommes”. The judges consult and Lord Douglas waits.

I was wrong to get up from the table, I missed Mr. Blatin's speech, in the name of the Grand Orient, dripping with anticlericalism, he thought he was at the café du commerce, that good Mr. Blatin, in the presence traveling salesmen who listen attentively to a bore in the hope of hitting him with a commission. The more authoritative telepathic Charles Richet spoke of science as a source of income and ghosts; very listened to, the director of the "Scientific Review", it was obvious that he was in communication with famous shadows. M. Zola, who is decreasing like the number of his editions, came to declare that he had no kind of authority to speak in the name of science, the surprise was great, because the famous novelist had, at one point, the pretension of putting science into a novel. He spoke of emancipation, of human thought, Môssieu, and of the security enjoyed by the contemporary writer in speaking of love, one would have thought one was at Plato's Banquet. Finally, there were seven hundred listening to these truths of the moment. This banquet against M. Brunetière has proved nothing, except that the Frenchman, born clever, likes to dine in society and for not too much.

And all these scientists went home, or to the restaurants at night, happy to have once again affirmed their disbelief. Renan, who has been quoted a lot since the Berthelot banquet, had the deepest disdain for parpaillots, and he even added very painful considerations on the case of strong-headed people who believe in nothing out of political principle: there are very few people , he said, whose incredulity is supported by sufficient studies; Renan admired the little newsboy who suddenly could allow himself to stop believing.

Science did not go bankrupt, but it did not make humanity happy. What has science done for the small, the suffering mass? nothing. In reality, the progress of science benefits only the upper and middle classes. Machinery has created anarchy and made the worker a slave to capitalist associations. She could not give universal happiness, she was wrong to make people believe so, and it is from this point of view that one can say that she went bankrupt. Man lives two lives simultaneously: the physical life which manifests imperious and daily needs; the moral, intellectual, spiritual life which has its aspirations, its special nourishment: poetry and the desire to survive.

The air, until 1895, was composed of only two gases, oxygen and nitrogen; but it seems recently demonstrated that there is a third gas called argon. If nature rebels against the immutable laws established by the Berthelots, where are we going, my God? — To mysticism.

FRIDOLIN.