Previous report La Cravache parisienne - Saturday, June 8, 1895
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AFFAIRE DE MŒURS

Il y a une mode pour les vices. ils font partie des coutumes des peuples et varient avec les climats et les latitudes. Il est obligatoire au Thibet pour une femme d’avoir plusieurs maris; chez nous, le commissaire de police et aussi le revolver viennent déranger celles qui important cette coutume himalayeuse. En Allemagne, en se moquerait d’un général qui descendrait de cheval, dans une marche, ou d’un docteur qui interromprait sa pipe, sa chope et sa critique de la raison pure pour s’agenouiller devant l’image grossière de quelque saint, Basile ou Nicolas, appliquée sur la porte d’une chaumière; en Russie, c’est se montrer homme intelligent, digne des faveurs du tsar. Quand nos loustics aperçoivent dans un wagon une jeune et jolie voyageuse, ils se précipitent dans l’espoir de lui débiter des galanteries entre deux stations et de lui chiper un baiser sous le tunnel des Batignolles. A Londres, la vue d’une femme seule fait reculer d’épouvante les voyageurs, célibataires ou mariés. Ils savent qu’ils devront payer une grosse somme et qu’ils demeureront déshonorés si la demoiselle les accuse, à la station prochaine, d’une galanterie non suivie d’un mariage chez le pasteur du coin. Pour les Anglais, un homme qui a « pris » la taille d’une femme est plus infâme, plus coupable que s’il lui a volé son portemmonnaie. Les passions d’esthète sont en abomination chez nous, chez eux très admises, sauf lorsqu’un scandale trop tapageur éclate, comme dans l’affaire d’Oscar Wilde. Enfin, on ne supporterait pas longtemps à la présidence du conseil M. Ribot si l’on savait que tous les soirs son domestique le couche ivre-mort et au Parlement anglais cela ne ti e pas à conséquence. Fox, Pitt, Sheridan, la gloire des assemblées anglaises, les glorieux ministres qui tinrent en échec la Convention et Napoléon, étaient d’éternels pochards; on leur savait gré d’ètre pourvus du défaut national. En revanche, malgré leurs talents et leurs services, ils auraient dù quitter ignominieusement la tribune et la pouvoir s’ils avaient été convaincus d’adultère, comme Parnell et sir Charles Dilke.

Chaque pays a donc ses façons particulières d’apprécier les faiblesses humaines, de juger les écarts des hommes.

Affaire de mœurs!

AFFAIRE DE MŒURS

Il y a une mode pour les vices. ils font partie des coutumes des peuples et varient avec les climats et les latitudes. Il est obligatoire au Thibet pour une femme d’avoir plusieurs maris; chez nous, le commissaire de police et aussi le revolver viennent déranger celles qui important cette coutume himalayeuse. En Allemagne, en se moquerait d’un général qui descendrait de cheval, dans une marche, ou d’un docteur qui interromprait sa pipe, sa chope et sa critique de la raison pure pour s’agenouiller devant l’image grossière de quelque saint, Basile ou Nicolas, appliquée sur la porte d’une chaumière; en Russie, c’est se montrer homme intelligent, digne des faveurs du tsar. Quand nos loustics aperçoivent dans un wagon une jeune et jolie voyageuse, ils se précipitent dans l’espoir de lui débiter des galanteries entre deux stations et de lui chiper un baiser sous le tunnel des Batignolles. A Londres, la vue d’une femme seule fait reculer d’épouvante les voyageurs, célibataires ou mariés. Ils savent qu’ils devront payer une grosse somme et qu’ils demeureront déshonorés si la demoiselle les accuse, à la station prochaine, d’une galanterie non suivie d’un mariage chez le pasteur du coin. Pour les Anglais, un homme qui a « pris » la taille d’une femme est plus infâme, plus coupable que s’il lui a volé son portemmonnaie. Les passions d’esthète sont en abomination chez nous, chez eux très admises, sauf lorsqu’un scandale trop tapageur éclate, comme dans l’affaire d’Oscar Wilde. Enfin, on ne supporterait pas longtemps à la présidence du conseil M. Ribot si l’on savait que tous les soirs son domestique le couche ivre-mort et au Parlement anglais cela ne ti e pas à conséquence. Fox, Pitt, Sheridan, la gloire des assemblées anglaises, les glorieux ministres qui tinrent en échec la Convention et Napoléon, étaient d’éternels pochards; on leur savait gré d’ètre pourvus du défaut national. En revanche, malgré leurs talents et leurs services, ils auraient dù quitter ignominieusement la tribune et la pouvoir s’ils avaient été convaincus d’adultère, comme Parnell et sir Charles Dilke.

Chaque pays a donc ses façons particulières d’apprécier les faiblesses humaines, de juger les écarts des hommes.

Affaire de mœurs!

AFFAIR OF MORE

There is a fashion for vices. they are part of the customs of peoples and vary with climates and latitudes. It is obligatory in Tibet for a woman to have several husbands; with us, the police commissioner and also the revolver come to disturb those who import this Himalayan custom. In Germany, they would laugh at a general dismounting on a march, or a doctor interrupting his pipe, his mug and his criticism of pure reason to kneel down before the coarse image of some saint. , Basil or Nicolas, applied to the door of a cottage; in Russia, it is to show oneself an intelligent man, worthy of the favors of the Tsar. When our jokers see a young and pretty traveler in a carriage, they rush in the hope of spouting gallantries between two stations and stealing a kiss from her under the Batignolles tunnel. In London, the sight of a woman alone makes travellers, single or married, recoil in terror. They know that they will have to pay a large sum and that they will remain dishonored if the young lady accuses them, at the next station, of a gallantry not followed by a marriage at the local pastor's. For the English, a man who has "taken" the size of a woman is more infamous, more culpable than if he stole her wallet. Esthetic passions are abomination with us, with them very much accepted, except when a too noisy scandal breaks out, as in the Oscar Wilde affair. Finally, one would not endure M. Ribot as president of the council for long if one knew that his servant put him to bed dead drunk every night, and in the English Parliament that was of no consequence. Fox, Pitt, Sheridan, the glory of the English assemblies, the glorious ministers who held the Convention and Napoleon in check, were eternal drunkards; we were grateful to them for being provided with the national defect. On the other hand, despite their talents and their services, they would have had to leave the tribune and power in ignominy if they had been convicted of adultery, like Parnell and Sir Charles Dilke.

Each country therefore has its particular ways of appreciating human weaknesses, of judging human deviations.

Matter of manners!

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