EN PARLANT D’OSCAR

Voilà plus d’une semaine que l'affaire Oscar Wilde alimente et pimente les conversations. Quel dommage que le divin Anglais ne soit pas partisan de la reproduction ! Ce serait une fortune pour l'entrepreneur de curiosités qui répandrait à travers le public ses photographies en miniature : tel ou telle, résolus à baisser fermement les yeux à l’approche d’Oscar, pour faire semblant, raffoleraient de l’image dans l’intimité. Songez à ce que rapporterait aujourd'hui le moindre portrait authentique de Sapho : l'attrait où le piquant serait du même genre, bien que la poètesse antique et l’esthète contemporain n’opérassent pas sur le même terrain.

Dans le journalisme, on disserte volontiers sur le cas, on en moralise même : chacun de nous y va de son petit bout d’article, avec des prudences, des cachotteries, des allusions, des frôlements d’une perversité pudique. Regrettons que le bon Oscar ne soit pas en liberté : avec son entêtement maladif à l’excentricité et à la réclame, tous ces chatouillements de plume renouvelleraient et redoublerait son plaisir.

Il y a deux ans environ, il vint à Paris : on se l'arrachait littéralement dans les salons et dans les brasseries littéraires. On songe avec une certaine gaîté à l'accueil qui lui serait fait aujourd'hui. N’allez pas croire pourtant que je blâme ceux qui lui montrèrent bon visage ; c’étaient simplement des gens soucieux de leur réputation et qui savaient déjà, — comme nous venons nous-mêmes de l'apprendre, — quel danger il y avait à lui tourner le dos.

N’empêche que tout cela vient mal à propos pour fortifier l’admiration qu’affichaient quelques jeunes hommes à le regard du misogyne Strindberg, qui n’en peut mais !

Oscar Wilde me parait avoir été un simple cynique, désireux de surpasser Diogène. Comme lui, on le sait, il cherchait toujours un homme ; plus heureux que lui, il le trouvait fréquemment, et ne fut jamais réduit à s’amuser, à l’écart de sa seule fréquentation. C’est qu’apparemment ils n’étaient pas du même tonneau : l’un se couvrait de haillons, l’autre se vêtait d’étoffes chatoyantes ; l’un se munissait d'une lanterne uniquement pour éclairer sa marche, l’autre ornait sa dextre d’un soleil symbolique qui frappait les yeux et ne permettait pas qu’on le regardât en face. Diogène, enfin, méprisait les grands ; Oscar Wilde, que sa naissance avait placé hors de la très haute société londonienne, voulut se prouver à lui-même que l’aristocratie n’était pas impénétrable ; l’affection d'un jeune lord, très accueillant, l’aida dans les sondages préliminaires.

Que avait-on frivole l'esthète fumiste, partagé entre l’amour des legs immaculés et de plus basses occupations ? « Je sens deux hommes en moi, » disait Jean Racine ; et, de fait, tout homme a deux aspects, ainsi que toute femme, si j'ose dire : M. de Curel nous peignait récemment, au Théàtre-Libre, l’envers d’une Sainte. C'est par l’envers que succombe le poète anglais.

Puisqu'on dit que l'Angleterre tend à s’établir définitivement dans toute la Méditerranée et dans les petites mers qui en dépendent, qu’elle réserve tout châtiment pour le temps ou elle aura conquis Lesbos : qu’elle y jette le coupable ! On l’y retrouvera plus tard, loin des femmes dédaigneuses dont il est sorti sans consentir a y rentrer, abîme dans des distractions de Chariot qui s'amuse, avec sa large lace d’éphèbe engraissé et garanti Bonnetain, rentrant on lui même pour la conquête de l’individualisme absolu... En attendant, verriez-vous empêchement a ce qu’on l’enfermât en un compartiment de dames seules ? Moi pas, puisque le danger serait nul, et que sa contemplation agrémenterait le voyage...

* * *

Il convient évidemment de faire des réserves pour le cas où l’on découvrirait que cette vie de débauches n’est qu’une série d'imprudences, d'exagérations, peut-être de chantages dissimulés. La littérature d’un homme, fut-ce la plus confidentielle, ne doit entrer que relativement en ligne de compte au regard de la justice, par les trois ou quatre sens qu’elle comporte : sans quoi, je demanderais qu’on nous privât de la lecture de la Bible, des confidences de tel philosophe grec, des pastorales de tel poète latin, ce qui serait une redoutable solution pour les aumôniers et les professeurs, qui en vivent. Il serait extraordinaire en effet qu'on escomptât pour la formation intellectuelle et morale de nos jeunes gens par l’antiquité, leur inintelligence de toute perversion.

Je trouve dans une chronique l’épithète d'évangéliques appliquée aux spéciales attitudes d’Oscar Wilde. La signature, à vrai dire, indique par son pseudonyme qu’il est de Montmartre, la région où Jean Béraud va prêcher ses Christs : néanmoins j'estime l’allusion trop forte, encore qu’elle se documente des familiarités d’un petit Saint-Jean. L’Ecriture, pour peu qu’on s'intéresse à la retourner, permet toutes les étrangetés par les images dont elle dispose. J'y note au hasard cette phrase d'un des psaumes : « Lingua mea et calamus scriba velocità scribentis, » que l’on me permettra de traduire : « Ma langue est comme le porteplume d’un journaliste qui improvise… » Je suis sûr que l’assimilation, toute flatteuse qu’elle soit par mille qualités, choquerait ou du moins générait mon confrère.

Le même chroniqueur ajoute : « Oscar Wilde n’est pas un Anglais monstrueux, anormal : c'est tout simplement un Anglais maladroit. » En dépit des particulières exagérations que comporte toute thèse à produire et à soutenir, — notre confrère est évidemment un anglophobe, — je proteste par simple souci de logique et peut-être aussi par égoïsme de Français : je trouverais vraiment répréhensible qu’une feuille anglaise nous rendit, lui et moi, solidaires de tel ou tel Germiny. La manie de généraliser mène à des confusions déplorables : puisqu’on a cité Virgile pour les ardeurs que suscitait le berger Alexis et pour l’intimité de Nisus avec Euryale, je rappellerai que nos plus distingués normaliens, professeurs d’humanités, blâment le procédé d’Enée, jugeant tous les Grecs infâmes à cause de la fourberie d’un seul : Ab uno disce omes !...

* * *

En somme, Oscar Wilde n’est incriminé qu’à la suite de certains témoignages peu désintéressés. Je suis, pour ma part, effrayé que l’on puisse salir une existence et supprimer une vie, en basant un verdict sur de pareils étais : la Justice y perd plus quelle n’y gagne.

J’en prends pour exemple cette mystérieuse affaire des petites noyées de Suresnes, incomparablement plus importante au point de vue social que les plus abracadabrant fantaisies d’un curieux anormal en mal de perversité. Deux petites filles sont retrouvées mortes, et on les porte à la Morgue; des milliers de visiteurs passent devant le vitrage funèbre, et l’on découvre une cinquantaine de personnes qui les reconnaissent, leur établissent une famille, un nom, et, si je puis dire, une existence sociale. Les vêtements, la physionomie, l'âge, tout concorde : qui oserait nier ou simplement douter en face de cinquante affirmations venues d’ici ou de la ? Les explications se lient, s’boutent, se complètent ; le rapport de police s’échafaude, tenu comme un roman de Gaboriau, mais plus vraisemblable : la population sait sur qui répandre ses pitiés, contre qui formuler ses réprobations... Malheureusement, — ou heureusement pour les intéressés, — on retrouve les fillettes dont le nom et la personnalité avaient été distribués aux petites mortes. Et tout est à recommencer.

Il n’est point d’usage de s'appesantir sur ces constatations malheureuses. Il est difficile pourtant de ne pas conclure que, s’il se fût agi d’enlever la vie à un homme au lieu de catégoriser dans les registres de décès deux petites filles, le malentendu eût pu être continué et l'irréparable être fait. Que l’on n’objecte pas que la police a mis une semaine à peine pour découvrir l’erreur : les faux témoignages exigent parfois plus de temps poutre dévoilés, et Lesurques, par exemple pour avoir été mis sur les planches, n’est pourtant point un personnage de féerie.

Qu’un article, commencé sur Oscar Wilde, sur son aptitude à juger les choses et à prendre les hommes par le mauvais côté, m’ait mené jusqu’ici, je peux en être surpris, non étonne... Encore moins le regretterai-je. L'injustice dont les hommes peuvent me faire souffrir m’occupe plus que les ennuis qu’un pervers s’occasionne à lui-même.

D'ailleurs, sans qu’il soit besoin de tenir pendant des heures la loupe sur les faiblesses d’Oscar Wilde, ne serait-il pas aussi aisé et aussi profitable pour les spécialistes de porter les yeux sur des exemples moins lointains d'hypocrisies et de bassesses ? Cela finirait par agacer que l’on voulût faire de nous tous un peuple d'anges... Pascal qui, sans être docteur avait des clairvoyances, et qui depuis le temps doit être guéri de ses souffrances, en ricanerait de joie âpres dans sa tombe.

Ludovic Hamilo.

SPEAKING ABOUT OSCAR

The Oscar Wilde affair has been fueling and spicing up conversations for more than a week. What a pity that the divine Englishman is not in favor of reproduction! It would be a fortune for the entrepreneur of curiosities who would spread his miniature photographs through the public: such and such, resolved to firmly lower their eyes at Oscar's approach, to pretend, would love the image in the 'privacy. Think of what the slightest authentic portrait of Sappho would yield today: the attraction where the piquancy would be of the same kind, although the ancient poetess and the contemporary aesthete do not operate on the same ground.

In journalism, we gladly discuss the case, we even moralize about it: each of us goes about it with our little piece of article, with caution, secretiveness, allusions, touches of modest perversity. We regret that the good Oscar is not at liberty: with his sickly stubbornness in eccentricity and publicity, all this tickling of the pen would renew and redouble his pleasure.

About two years ago he came to Paris: people literally snatched him up in the salons and literary brasseries. One thinks with a certain gaiety of the welcome he would receive today. Don't think, however, that I blame those who showed him a good face; they were simply people who cared about their reputation and who already knew—as we ourselves have just learned—the danger of turning their backs on it.

Nevertheless, all of this comes at the wrong time to strengthen the admiration that some young men had for the gaze of the misogynist Strindberg, who can't help it!

Oscar Wilde seems to me to have been a simple cynic, eager to surpass Diogenes. Like him, we know, he was always looking for a man; happier than he, he found him frequently, and was never reduced to amusing himself, away from his mere company. Apparently they were not of the same barrel: one was covered in rags, the other was dressed in shimmering fabrics; one provided himself with a lantern only to light his way, the other adorned his right hand with a symbolic sun which struck the eyes and did not allow anyone to look at him in the face. Finally, Diogenes despised the great; Oscar Wilde, whose birth had placed him outside the very high society of London, wanted to prove to himself that the aristocracy was not impenetrable; the affection of a young lord, very welcoming, helped him in the preliminary soundings.

What was the frivolous esthete smoker, torn between the love of immaculate legacies and lower occupations? "I feel two men in me," said Jean Racine; and, in fact, every man has two aspects, as well as every woman, if I may say so: M. de Curel recently painted for us, at the Théatre-Libre, the reverse side of a Saint. It is by the reverse that the English poet succumbs.

Since it is said that England tends to establish itself definitively throughout the Mediterranean and in the small seas which depend on it, that it reserves all punishment for the time when it will have conquered Lesbos: that it throws the culprit there! We will find him there later, far from the disdainful women from whom he left without consenting to return there, abyss in the distractions of Chariot who amuses himself, with his wide lace of fattened ephebe and guaranteed Bonnetain, returning one himself for the conquest of absolute individualism... In the meantime, would you see any impediment to being locked up in a compartment for single ladies? Not me, since the danger would be nil, and its contemplation would enhance the trip...

* * *

It is obviously advisable to make reservations in case one discovers that this life of debauchery is only a series of imprudences, exaggerations, perhaps concealed blackmail. A man's literature, even the most confidential, must only be taken into account relatively with regard to justice, by the three or four meanings it involves: otherwise, I would ask that we be deprived of from reading the Bible, from the confidences of such a Greek philosopher, from the pastorals of such a Latin poet, which would be a formidable solution for the chaplains and the professors, who live from it. It would indeed be extraordinary if we discounted for the intellectual and moral formation of our young people by antiquity, their lack of understanding of any perversion.

I find in a chronicle the epithet of evangelicals applied to the special attitudes of Oscar Wilde. The signature, to tell the truth, indicates by his pseudonym that he is from Montmartre, the region where Jean Béraud is going to preach his Christs: nevertheless I consider the allusion too strong, even though it documents the familiarities of a small Saint Jean. Scripture, as long as we are interested in turning it over, allows all oddities through the images at its disposal. I randomly jot down this sentence from one of the psalms: "Lingua mea et calamus scriba velocità scribentis," which I may be allowed to translate: "My tongue is like the pen-holder of a journalist who improvises..." I am sure that the assimilation, however flattering it may be in a thousand qualities, would shock or at least annoy my colleague.

The same columnist adds: “Oscar Wilde is not a monstrous, abnormal Englishman: he is quite simply an awkward Englishman. "Despite the particular exaggerations that any thesis to produce and defend entails - our colleague is obviously an Anglophobe - I protest out of simple concern for logic and perhaps also out of French selfishness: I would find it truly reprehensible that a sheet English made us, him and me, in solidarity with this or that Germiny. The mania for generalizing leads to deplorable confusion: since Virgil has been cited for the ardor aroused by the shepherd Alexis and for the intimacy of Nisus with Euryale, I would remind you that our most distinguished normaliens, professors of humanities, blame the process of Aeneas, judging all the Greeks infamous because of the deceit of one: Ab uno disce omes!...

* * *

In short, Oscar Wilde is incriminated only following certain disinterested testimonies. I am, for my part, frightened that one could sully an existence and suppress a life, by basing a verdict on such facts: Justice loses more than it wins.

I take as an example this mysterious affair of the little drowned girls of Suresnes, incomparably more important from a social point of view than the most preposterous fantasies of a curious abnormal in search of perversity. Two little girls are found dead, and they are taken to the Morgue; thousands of visitors pass in front of the funereal glazing, and one discovers about fifty people who recognize them, establish for them a family, a name, and, if I may say so, a social existence. The clothes, the face, the age, everything fits: who would dare to deny or simply doubt in the face of fifty assertions from here or there? The explanations link, butt, complement each other; the police report is built up, held like a novel by Gaboriau, but more probable: the population knows on whom to spread its pities, against whom to formulate its reprobations... Unfortunately, - or fortunately for the interested parties, - we find the little girls whose name and personality had been distributed to the little dead. And everything has to start over.

It is not customary to dwell on these unfortunate observations. It is however difficult not to conclude that, if it had been a question of taking the life of a man instead of categorizing two little girls in the death registers, the misunderstanding could have been continued and the irreparable be done. Let no one object that the police took barely a week to discover the error: false testimonies sometimes require more time to be revealed, and Lesurques, for example for having been put on the boards, is not yet not a fairy character.

That an article, started on Oscar Wilde, on his aptitude to judge things and to take the men by the bad side, led me thus far, I can be surprised, not astonished... Even less will regret it -I. The injustice that men can cause me to suffer occupies me more than the trouble that a pervert causes himself.

Moreover, without the need to hold the magnifying glass for hours on the weaknesses of Oscar Wilde, would it not be as easy and as profitable for specialists to cast their eyes on less distant examples of hypocrisy? and baseness? It would end up irritating if they wanted to make us all a people of angels... Pascal who, without being a doctor had clairvoyance, and who since time has to be cured of his sufferings, would sneer with bitter joy in his grave.

Ludovic Hamilo.

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