CHRONIQUE

Le correspondant de l'Echo de Paris à Londres a aperçu Oscar Wilde en un couloir de la prison de Pentonville et vous avez pu lire hier l'émouvant récit de cette entrevue. J'emploie le mot à son sens étymologique, car nul des assistants, au passage de l'infortuné, ne put ni se montrer, ni témoigner sa présence. Les spectateurs admis à une minute du drame n'étaient point admis à adoucir du mot ou du geste la peine de l'acteur forcé. Lorsqu'un directeur de prison permet aux étrangers l'accès de sa geôle, ce n'est point mouvement d'humanité, pour créer une distraction à ses détenus. Toujours il cherche une réclame personnelle et poursuit la justification de ses instruments de torture. Le valet de bourreau de Pentonville a voulu persuader l'opinion, par l'intermédiaire de ses informateurs, que, contrairement aux bruits répandus, son détenu jouissait d'une santé florissante et restait un joyeux luron :

Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.

Ces bons journalistes iraient proclamer au public que le régime était supportable, le travail attrayant et la soupe excellente.

Ce n'est pas précisément l'impression qui se dégage de la correspondance parue ici :

Si notre confrère ne témoigne pas une excessive pitié au malheureux Wilde, le récit de la visite, avec sa simplicité, son empreinte de vérité, frappe de terreur et d'horreur. On dirait d'une terrible gravure creusée avec les larmes du supplicié en manière d'eau-forte quand Oscar Wilde apparaît, comme un chien, au coup de sifflet, les pieds chaussés de bas, tenant à la main une paire de sabots, « la tête hideusement rasée, presque chauve, dans cette tonte affreuse de la prison, qui réduit la tête à un volume insignifiant, poupard, bête, sans expression ».

Le malheureux, dans ce préau, se détire, se secoue d'une marche rapide, puis s'assied contre le mur s'endort d'une grande lassitude.

* * *

La féroce comédie continue : à l'aube du vingtième siècle, un homme est supplicié pour des actes contraires à la morale, perpétrés toutes portes closes, avec des professionnels reconnus excusables et indemnes. Car en ce singulier procès ressortirent le mensonge, l'hypocrisie, la lâcheté, la barbarie des justices sociales, de tous les hommes qui sous le nom de juges s'autorisent à prononcer sur d'autres hommes. Epier, reprocher et punir les modalités de l'appétit sexuel est déjà une répugnante tyrannie dont les excès se pressententaisément ; mais, même en admettant un tel système de coercition, les tristes détraqués, les pauvres déments, irresponsables de leur aberration, ne méritent-ils pas plus l'indulgence et l'absolution que les prostitués et les gitons salariés ? Or, ce sont ceux-là qu'en toute occurrence les policiers, puis les magistrats, s'exercent à ménager.

Entre les féroces instincts de la bête humaine, maintes fois je m'élevai contre cette disposition à manifester sa force et son courage en affligeant et en maltraitant les misérables et les vaincus. Du cas particulier, la barbarie passe au général, et de l'homme aux nations. Les civilisées et les policées qui se vantent de leur tenue et de leur ordre en donnent la preuve dans de longues catégories de peines prévues par d'innombrables lois, dans un appareil horrifique de prisons, de bagnes et de supplices. Pourtant l'Angleterre se maintient au-dessus de toutes les nations de l'Europe par une incommutable barbarie, par l'affreuse brutalité de la répression et le cruel régime de ses geôles et de ses bagnes. Qu'un Anglais ait à examiner l'état des peuples continentaux, il protestera contre la rigueur des geôles, des travaux forcés, des déportations, il fera les plus nobles déclarations de libéralisme et d'humanitarisme ; mais cent mille Anglais réunis trouveront que tout est pour le mieux dans leur loi, invariable depuis le moyen âge ; ils ratifieront par leurs paroles, leur attitude, une disposition abominable, puisqu'elle est ancienne et consacrée ; ils approuveront en masse, par hypocrisie, une législation qu'ils sentent inique et odieuse. Il ne faut pas oublier que Byron dut quitter l'Angleterre, poursuivi par une clameur de haro, en butte aux plus pernicieuses calomnies, et que si un texte de loi eût pu destiner aux travaux forcés le plus grand poète de l'Angleterre, toute la bourgoisie britannique eût applaudi de l'y voir. Sa gloire posthume n'a même pas effacé l'ancienne horreur, et dans les familles puritaines on prononce encore son nom devant les jeunes filles comme celui de Croquemitaine.

* * *

En France, un homme du talent et de la notoriété d'Oscar Wilde aurait eu le malheur de subir une condamnation analogue qu'au bout de peu de mois l'hypocrisie nécessaire de la société se fût trouvée satisfaite. Une réaction se serait bientôt produite et une mesure gracieuse aurait ouvert les portes de la prison. De l'autre côté de la Manche, si l'auteur du Portrait de Dorian Gray a gardé des amitiés, elles ne se déclarent pas : il n'a plus de défenseur avéré. Le mouvement de l'opinion a été si enragé contre lui, depuis qu'il est frappé par la condamnation, que nul n'essaie d'y résister. Ce que dix d'entre nous ont écrit sur ce cas, ce que M. Hugues Rebell manifestait voici peu de jours dans le Mercure de France, pas une feuille ou revue anglaise n'osa le témoigner. J'ai même eu différentes fois, en causant avec d'anciens amis du prisonnier de Pentonville, l'étonnement d'entendre ce mot : Il fallait un exemple.

Il fallait un exemple, telle est la moralité qu'une société apporte à ses vices endémiques ; voilà ce que répètent pharisaïquement les compagnons qui s'amusaient des paradoxes, des fantaisies, des bizarreries de l'esthète et trouvent utile son déshonneur, bonnes ses afflictions, ses tortures depuis qu'il est condamné.

Eh bien ! messieurs les Anglais, tant pis pour votre hypocrisie érigée en société ! foin de votre tartuferie ! On est un peu plus généreux et plus brave dans notre pays de France. Chacun ici a revisé le jugement de vos momiers horrifico-comiques et il parut abominable à tous qu'un homme fût aux travaux forcés pour attouchements contre la morale. Alors que les pièces de Wilde étaient rayées de l'affiche, ses volumes retirés de la librairie, on traduisait ici le Portrait de Dorian Gray, et le livre, curieux, spirituel, ingénieux et artiste entre tous, atteindra un succès ; il le mérite.

Nous ne clamons pas aux vices anglais comme vous fîtes, bons apôtres, contre la liberté de nos mœurs ; mais devant un écrivain, nous ne nous soucions pas de ce qu'il mange, de ce qu'il boit, de ce qu'il aime ; nous estimons son talent.

Sa détention n'est pas abrégée ; son supplice se prolongera jusqu'au terme et c'est ici, où il passa en indifférent, qu'il trouve des défenseurs pour intéresser à son sort la pensée universelle.

HENRY BAUER.

CHRONIC

The correspondent of the Echo de Paris in London saw Oscar Wilde in a corridor of Pentonville prison and yesterday you were able to read the moving story of this interview. I use the word in its etymological sense, because none of the assistants, at the passage of the unfortunate, could neither show themselves nor testify to their presence. The spectators admitted to a minute of the drama were not allowed to soften with words or gestures the pain of the forced actor. When a prison director allows foreigners access to his jail, it is not a gesture of humanity, to create a distraction for his prisoners. Always he seeks a personal advertisement and pursues the justification of his instruments of torture. The servant of the executioner of Pentonville wanted to persuade public opinion, through his informants, that, contrary to widespread rumors, his prisoner enjoyed flourishing health and remained a merry fellow:

Bold, polite, who had mistakenly strayed.

These good journalists would proclaim to the public that the diet was bearable, the work attractive and the soup excellent.

This is not precisely the impression that emerges from the correspondence published here:

If our colleague does not show excessive pity to the unfortunate Wilde, the account of the visit, with its simplicity, its imprint of truth, strikes with terror and horror. It looks like a terrible engraving dug with the tears of the victim in the manner of etching when Oscar Wilde appears, like a dog, at the whistle, his feet shod in stockings, holding a pair of clogs in his hand, " the head hideously shaved, almost bald, in that dreadful prison clipping, which reduces the head to an insignificant volume, chubby, stupid, expressionless”.

The unfortunate man, in this yard, stretches, shakes himself with a rapid walk, then sits down against the wall and falls asleep from great weariness.

* * *

The ferocious comedy continues: at the dawn of the twentieth century, a man is tortured for acts contrary to morality, perpetrated behind closed doors, with professionals recognized as excusable and unscathed. Because in this singular trial the lie, the hypocrisy, the cowardice, the barbarity of the social justices, of all the men who under the name of judges are authorized to pronounce on other men. To spy on, to reproach and to punish the modalities of the sexual appetite is already a repugnant tyranny whose excesses can be foreseen; but, even admitting such a system of coercion, do not the sad deranged, the poor madmen, irresponsible for their aberration, deserve indulgence and absolution more than the prostitutes and the salaried gitons? However, these are the ones that in all cases the police, then the magistrates, exert themselves to handle.

Between the ferocious instincts of the human beast, many times I protested against this disposition to manifest its strength and its courage by afflicting and mistreating the wretched and the vanquished. From the particular case, barbarism passes to the general, and from man to nations. The civilized and civilized ones who boast of their dress and their order give the proof of it in long categories of penalties provided for by innumerable laws, in a horrific apparatus of prisons, galleys and tortures. Yet England maintains herself above all the nations of Europe by an unchanging barbarism, by the frightful brutality of the repression and the cruel regime of her jails and prisons. Let an Englishman have to examine the state of the continental peoples, he will protest against the rigor of jails, forced labor, deportations, he will make the noblest declarations of liberalism and humanitarianism; but a hundred thousand English people together will find that all is for the best in their law, which has remained unchanged since the Middle Ages; they will ratify by their words, their attitude, an abominable disposition, since it is ancient and consecrated; they will approve in mass, by hypocrisy, a legislation which they feel iniquitous and odious. It must not be forgotten that Byron had to leave England, pursued by a clamor of haro, the butt of the most pernicious calumnies, and that if a text of law could have destined to forced labor the greatest poet of England, all the British bourgeoisie would have applauded to see him there. His posthumous glory has not even erased the ancient horror, and in Puritan families his name is still pronounced before young girls like that of Croquemitaine.

* * *

In France, a man of the talent and notoriety of Oscar Wilde would have had the misfortune to undergo a similar condemnation that at the end of a few months the necessary hypocrisy of society would have been satisfied. A reaction would soon have occurred and a graceful measure would have opened the doors of the prison. On the other side of the Channel, if the author of the Portrait of Dorian Gray has kept friendships, they do not declare themselves: he no longer has a proven defender. The movement of public opinion has been so enraged against him since he was struck by the condemnation that no one tries to resist it. What ten of us have written about this case, what Mr. Hugues Rebell revealed a few days ago in the Mercure de France, not one English newspaper or review dared to testify. I even had several times, while talking with former friends of the prisoner of Pentonville, the astonishment to hear this word: It needed an example.

An example was needed, such is the morality which a society brings to its endemic vices; this is what the companions pharisaically repeat, who amused themselves with the paradoxes, fantasies, oddities of the aesthete and find his dishonor useful, his afflictions and his tortures good since he was condemned.

Well ! English gentlemen, so much the worse for your socialized hypocrisy! hay of your tartuferie! We are a little more generous and braver in our country of France. Everyone here has revised the judgment of your horrific-comic mummers and it seemed abominable to everyone that a man should be at hard labor for touching against morality. While Wilde's plays were removed from the poster, his volumes withdrawn from the bookstore, the Portrait of Dorian Gray was translated here, and the book, curious, witty, ingenious and artistic among all, will achieve success; he deserves it.

We do not cry out against English vices as you did, good apostles, against the freedom of our morals; but in front of a writer, we don't care about what he eats, what he drinks, what he likes; we value his talent.

His detention is not shortened; his ordeal will continue to the end and it is here, where he passed by indifferent, that he finds defenders to interest universal thought in his fate.

HENRY BAUER.

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