CHRONIQUE

En tous pays, l'homme est le plus souvent une fort méchante bête, se ruant sur les blessés, déchiquetant les vaincus tombés au champ de bataille de la vie. Mais les manifestations de la cruauté individuelle et collective sont encore moins formidables que la bêtise, les conventions tyraniques, les lâches hypocrisies, les préjugés féroces codifiés sous le nom de lois. En vain le législateur prétend-il fixer les principes d'ordre général et et de défense publique, il ne fait que servir les passions d'une époque et les intérêts d'une catégorie, il distribue les châtiments et les peines, en dehors de l'humanité, selon les contingences d'une morale menteuse et les besoins d'une société inique, toujours empressée à réduire la part de liberté de l'individu.

A quoi tiennent ces réflexions ? Au cas du malheureux Oscar Wilde, d'abord ridicule et répugnant, qui s'achève en ce moment par une barbarie abominable, déshonorante pour l'Angleterre, indigne de l'Europe du dix-neuvième siècle.

En raison d'habitudes socratiques, d'anomalies consommées avec des professionnels, at home, de manière que personne ne pouvait s'en trouver offensé ni troublé, — Oscar Wilde a été condamné à deux ans de travaux forcés. Le hard labour est une peine tellement cruelle qu'on ne frappe jamais de plus de deux ans les plus endurcis criminels. Elle est destinée à abattre les caractères les plus intraitables en diminuant les forces vitales par l'excès de la gehenne. C'est une torture de toutes les heures et de toutes les minutes. On vous a précédemment indiqué toutes les trouvailles de tourment : la roue de meule, dont le patient, suspendu par les poignets à des anneaux de fer, est contraint d'actionner les palettes avec ses pieds ; entre temps, le décorticage des vieux câbles qui déchire les mains. Un détail est à retenir parmi tous les autres. Si le condamné qui fut pesé à son entrée dans l'ergastule n'a pas perdu de son poids au bout d'une quinzaine, on redouble le supplice, on diminue sa ration d'aliments jusqu'à ce qu'il dépérisse.

Les hyènes de la loi gardienne des société n'ont, en aucun lieu du monde, inventé plus parfaite mortification de la carcasse humaine. Si un Anglais voyageur ose s'étonner après cela aux tueries raffinées exercées par les rois nègres de l'Afrique, c'est que ses principes d'humanité varient selon le lieu ou bien qu'il ignore les méthodes afflictives des prisons de John Bull.

Les hyènes de la loi gardienne des sociétés n’ont, en aucun lieu du monde, inventé plus parfaite mortification de la carcasse humaine. Si un Anglais voyageur ose s’étonner après cela des tueries raffinées par les rois nègres de l’Afrique, c’est que ses principes d’humanité varient selon le lieu ou bien qu’il ignore les méthodes affectives des prisons de John Bull.

A la fin d'une journée de supplice, Oscar Wilde a été reconnu si gravement malade qu'on a dû le transporter à l'infirmerie de la prison. Durant le travail de la meule, au cours de la gymnastique d'écureuil, il était tombé plusieurs fois d'angoisse et d'épuisement. Les plus robustes natures ne résistent pas deux ans au hard labour ; après la condamnation de Wilde, plusieurs Anglais m'ont affirmé qu'il serait mort au bout de l'an. Ainsi, dans la patrie de Darwin, d'Herbert Spencer, un homme est condamné à mort pour la façon dont il assouvit dans l'alcôve ses appétits unisexuels ; on ne saurait imaginer plus flagrant contraste entre les penseurs d'une nation et ses législateurs.

A la fin d’une journée de supplice, Oscar Wilde a été reconnu si gravement malade qu’on a dû le transporter à l’infirmerie de la prison. Durant le travail de la meule, au cours de la gymnastique d’écureuil, il était tombé plusieurs fois d’angoisse et d’épuisement. Les plus robustes natures ne résistent pas deux ans au hard labour ; après la condamnation de Wilde, plusieurs Anglais m’ont affirmé qu’il serait mort au bout de l’an. Ainsi, dans la patrie de Darwin, d’Herbert Spencer, un homme est condamné à mort pour la façon dont il assouvit dans l’alcôve ses appétits unisexuels, on ne saurait imaginer plus flagrant contraste entre les penseurs d’une nation et ses législateurs.

Les détenteurs de la loi, ces juges stupides et féroces, ont suivi en Angleterre, comme ils font ailleurs, les injonctions de la foule passionnée. Les centaines de milliers d'imbéciles et de pharisiens qui composent une opinion ont bouillonné d'indignation contre l'esthète du moment que sa fâcheuse manie a été dénoncée officiellement. On n'en ignorait pas auparavant et l'auteur du Portrait de Dorian Gray ne l'avait oncques dissimulée. Pourtant il était accueilli dans les meilleurs salons du monde londonien ; on lui faisait fête à cause de sa réputation ; on souriait à son esprit de mots brillants, de traits d'humour. On parlait de ses bizarres accointances comme d'une curieuse singularité. Mais, dès que la publicité scandaleuse retentit autour du conclave d'antiphysiques, la société se souleva unanimement pour repousser, accuser et flétrir le poète de lord Douglas et l'ami de Taylor. Tous ceux qui craignaient qu'on n'incriminât leur complaisance au coupable, leur politesse et leur accueil, clamèrent qu'il fallait un exemple pour châtier un vice croissant ; les directeurs biffèrent de l'affiche le nom de Wilde, tout en continuant les représentations de ses pièces d'où ils tiraient de fructueuses recettes.

Et les juges condamnèrent... Ils ne pouvaient appeler du ciel la nuée de feu qui mit en cendres et Sodome et Gomorrhe, mais le livre d'airain des lois moyenâgeuses ses suppléa à l'inefficacité de la Bible.

Mais en attendant que l'humanité récupère ses droits contre la barbarie des hommes, la raison se montre déjà victorieuse de leur imbécillité. Frapper un homme de peine cruelle et infamante pour un acte qui ne nuit à personne, c'est comme si le tribunal condamnait la saleté corporelle, le désordre, les perversions du goût dans le choix des aliments. Schopenhauer n'a-t-il pas désigné l'aberration des antiphysiques comme un témoignage du piège éternel que l'instinct sexuel tend à tous les êtres humains pour perpétuer le mal de la vie ? Suppose-t-on que les arrêts de justice et les châtiments supprimeront une appétence contre nature qui résulte d'une misère, d'une infirmité de la nature humaine ? Il faut plaindre les malades, les détraqués irresponsables. Nos voisins ont à prendre la leçon de Paris où le ridicule a suffi pour l'exemple célèbre de M. de Germiny. Ces justiciers d'outre-Manche espèrent-ils donc que la peur en ôtera l'envie ? Au contraire, les débauchés sentiront un piment, un nouveau frisson dans leurs exercices par le risque du châtiment.

Donc un artiste intéressant, aujourd'hui un malheureux digne de pitié, aura été condamné au supplice, à la mort, et la morale n'aura rien gagné a cette répression barbare. Le vice ne sera pas enrayé, au contraire, et l'Angleterre gardera devant l'Europe son renom d'hypocrisie, de pudibonderie menteuse, aggravée de barbarie. Le seul qui conserve dans cette triste affaire un air de triomphe est le marquis de Queensberry, type de brute sportive malfaisante, mauvais mari, méchant père, sans crédit ni considération, ayant sali à plaisir sa femme et ses enfants, enfin un patricien accompli.

Sa victoire est la moralité de cette justice anglaise et de bien des justices humaines.

HENRY BAUER.

CHRONIC

In all countries, man is most often a very wicked beast, rushing on the wounded, shredding the vanquished fallen on the battlefield of life. But the manifestations of individual and collective cruelty are even less formidable than stupidity, tyrannical conventions, cowardly hypocrisies, ferocious prejudices codified under the name of laws. In vain does the legislator claim to fix the principles of general order and public defence, he only serves the passions of an era and the interests of a category, he distributes chastisements and penalties, apart from humanity, according to the contingencies of a lying morality and the needs of an iniquitous society, always eager to reduce the share of freedom of the individual.

What are these thoughts about? In the case of the unfortunate Oscar Wilde, at first ridiculous and repugnant, which is now ending in an abominable barbarism, dishonoring for England, unworthy of nineteenth-century Europe.

Because of Socratic habits, anomalies consumed with professionals, at home, in such a way that no one could be offended or disturbed by them, — Oscar Wilde was sentenced to two years hard labor. Hard plowing is such a cruel punishment that the most hardened criminals are never given more than two years. It is intended to bring down the most intractable characters by diminishing the vital forces by the excess of Gehenna. It's torture every hour and every minute. We have previously indicated to you all the finds of torment: the grinding wheel, of which the patient, suspended by the wrists from iron rings, is forced to operate the pallets with his feet; meanwhile, the dismantling of the old cables which tears the hands. One detail is to be remembered among all the others. If the condemned man who was weighed on his entry into the ergastula has not lost his weight after a fortnight, the torture is redoubled, his food ration is reduced until he wastes away.

The hyenas of the guardian law of society have, nowhere in the world, invented a more perfect mortification of the human carcass. If an English traveler dares to wonder after that at the refined killings carried out by the Negro kings of Africa, it is because his principles of humanity vary according to the place or because he is unaware of the afflictive methods of the prisons of John Bull. .

At the end of a day of ordeal, Oscar Wilde was found to be so seriously ill that he had to be transported to the prison infirmary. During the work of the millstone, during the squirrel gymnastics, he had fallen down several times from anguish and exhaustion. The most robust natures do not withstand two years of hard plowing; after Wilde's conviction, several Englishmen assured me that he would be dead at the end of the year. Thus, in the homeland of Darwin, of Herbert Spencer, a man is condemned to death for the way in which he satisfies his unisexual appetites in the alcove; one could not imagine a more flagrant contrast between the thinkers of a nation and its legislators.

The holders of the law, those stupid and ferocious judges, followed in England, as they do elsewhere, the injunctions of the passionate mob. The hundreds of thousands of imbeciles and Pharisees who make up an opinion bubbled with indignation against the esthete as soon as his annoying mania was officially denounced. We were not unaware of it before and the author of The Picture of Dorian Gray had never concealed it. Yet he was welcomed in the best salons of the London world; people celebrated him because of his reputation; they smiled at his mind with brilliant words, strokes of humour. People spoke of his bizarre acquaintances as of a curious singularity. But, as soon as the scandalous publicity resounded around the conclave of antiphysics, society rose up unanimously to reject, accuse and stigmatize the poet of Lord Douglas and the friend of Taylor. All those who feared that their complaisance to the culprit, their politeness and their welcome would be incriminated, proclaimed that an example was needed to chastise a growing vice; the directors struck out Wilde's name from the bill, while continuing the performances of his plays from which they drew fruitful receipts.

And the judges condemned... They could not call from heaven the cloud of fire that set Sodom and Gomorrah to ashes, but the brazen book of medieval laws made up for the ineffectiveness of the Bible.

But while waiting for humanity to recover its rights against the barbarism of men, reason already shows itself victorious over their imbecility. To strike a man with cruel and infamous punishment for an act which harms no one is as if the court condemned bodily filth, disorder, perversions of taste in the choice of food. Didn't Schopenhauer designate the aberration of the antiphysics as a testimony to the eternal trap that the sexual instinct sets for all human beings to perpetuate the evil of life? Do we suppose that judgments of justice and punishments will suppress an unnatural craving which results from a misery, from an infirmity of human nature? We must pity the sick, the irresponsible deranged. Our neighbors have to learn the lesson of Paris, where ridicule sufficed for the famous example of M. de Germiny. Do these vigilantes from across the Channel therefore hope that fear will take away the desire? On the contrary, the debauched will feel a spice, a new thrill in their exercises by the risk of punishment.

So an interesting artist, today an unfortunate person worthy of pity, will have been condemned to torture, to death, and morality will have gained nothing from this barbaric repression. Vice will not be curbed, on the contrary, and England will keep before Europe its reputation for hypocrisy, for lying prudishness, aggravated by barbarism. The only one who retains an air of triumph in this sad affair is the Marquess of Queensberry, a type of malevolent sporting brute, bad husband, wicked father, without credit or consideration, having soiled his wife and children at will, in short, an accomplished patrician.

Its victory is the morality of this English justice and of many human justices.

HENRY BAUER.

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