ESTHETES

Les Anglais nous donnent, en ce moment, des leçons d'esthétique qui ne sont pas seulement pimentées : elles sont aussi très instructives. Si le procès de M. Oscar Wilde n'était qu'une de ces causes grasses qui aiguisent de temps en temps la gaillardise des magistrats, il serait indigne de l'attention d'un honnête homme. Mais il est malheureusement tout autre chose.

Il est l'aboutissant naturel, physiologiquement régulier, d'un effort littéraire et esthétique, et, à ce titre, il sollicite les réflexions de tous les penseurs. Il démontre l'influence que la déviation de certaines facultés littéraires vers un sensualisme raffiné peut exercer sur l'intelligence et sur les mœurs d'hommes assurément fort bien doués.

Notre Bonald a dit : « La littérature est l'expression d'une société. » Il serait inique de juger la littérature et la société anglaise sur le procès Wilde, et, quelle que soit la sévérité des Anglais à notre égard, nous ne tomberons pas dans ce travers. Il importe seulement à la bonne direction de l'esprit public dans toute l'Europe de déterminer comment un mouvement esthétique peut s'effondrer dans la boue ; et sur ce point le cas de M. Oscar Wilde est assez probant.

A force de rechercher l'étrange, l'esthétique anglaise, depuis Carlyle, s'est égarée d'abord dans le précieux, puis enfoncée dans l'incompréhensible. Cela a commencé par l'engouement préraphaélite dont M. Michel-Ange Rosatti fut le prophète et qui, se répercutant sur la mode, nous a valu les coiffures à bandeaux plats et les étoffes Liberty ; cela continua par Swinburn et Burne Jones, et le premier n'a pas été nommé poète lauréat pour des raisons de cant qu'il serait curieux d'approfondir ; cela finit par M. Wilde, qui a été arrêté hier « pour crime contre les mœurs ».

Il y a des dégénérescences fatales, lorsqu'on fait de l'effort intellectuel la résultante et non le principe des sensations. La dépravation suit de près l'expérience réitérée de l'extraordinaire ; et l'abus des odeurs suaves conduit au goût de ces odeurs d'un autre genre dont Louis XIV, comme tous les grands sensuels, était friand.

Aussi, faut-il prier nos esthètes de se modérer. Nous leur pardonnons Ibsen, quoique avec peine. Nous leur passons même Sudermann, par amour de la paix. Mais, à l'équivalent de M. Wilde, nous nous révolterions et ce ne seraient pas seulement les pommes cuites qui vengeraient l'esprit français et les moeurs françaises.

ESTHETES

The English are giving us, at the moment, lessons in aesthetics which are not only spicy: they are also very instructive. If the trial of Mr. Oscar Wilde were only one of those fat causes which from time to time sharpen the gaiety of magistrates, it would be unworthy of the attention of an honest man. But unfortunately it is something else entirely.

It is the natural, physiologically regular culmination of a literary and aesthetic effort, and, as such, it solicits the reflections of all thinkers. It demonstrates the influence that the deviation of certain literary faculties towards a refined sensualism can exercise on the intelligence and on the morals of men who are assuredly very well endowed.

Our Bonald said: “Literature is the expression of a society. It would be iniquitous to judge English literature and society by the Wilde trial, and however severe the English may be towards us, we will not fall into this trap. It matters only to the good direction of the public mind throughout Europe to determine how an aesthetic movement can crumble in the mud; and on this point the case of M. Oscar Wilde is quite convincing.

By dint of looking for the strange, English aesthetics, since Carlyle, first got lost in the precious, then sunk into the incomprehensible. It began with the pre-Raphaelite craze of which Michelangelo Rosatti was the prophet and which, having repercussions on fashion, brought us headdresses with flat bands and Liberty fabrics; this continued through Swinburn and Burne Jones, and the former was not named Poet Laureate for cant reasons which it would be curious to investigate; it ends up with Mr. Wilde, who was arrested yesterday “for a crime against morals”.

There are fatal degenerations when intellectual effort is made the resultant and not the principle of sensations. Depravity closely follows repeated experience of the extraordinary; and the abuse of sweet odors leads to a taste for those odors of another kind of which Louis XIV, like all great sensualists, was fond.

Also, we must ask our aesthetes to moderate themselves. We forgive them Ibsen, albeit with pain. We even give them Sudermann, for the sake of peace. But, like M. Wilde, we would revolt and it would not be only baked apples that would avenge the French spirit and French mores.

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