AU JOUR LE JOUR
OSCAR WILDE

Il y a trois ou quatre ans, à une représentation bizarre qui eut lieu à l'Alcazar du faubourg Poissonnière, pendant laquelle on brûlait des parfums dans la coulisse, on se montrait à l'orchestre un gros jeune homme, a fat boy, sans un poil de barbe ni de moustache, des cheveux très blonds collés très bas sur le front et ramenés bizarrement sur les tempes. Ce gros homme applaudissait beaucoup avec des petits mouvements de mains mortes et se promenait beaucoup dans les couloirs avec un dandinement spécial. On le montrait beaucoup aux non-initiés : c'était Oscar Wilde, le triste personnage, qui vient de si tristement finir. Les personnes au courant savaient que ce fantoche en baudruche jouait un certain rôle chez nos voisins en faisant par ses ridicules de la propagande pour l'esthétisme. Quelques mois plus tard, on apprit qu'Oscar Wilde avait écrit une pièce en français, Salomé, et que Mme Sarah Bernhardt avait songé à la jouer. Cette pièce, quelques bibliophiles l'ont encore ; elle est surtout curieuse par sa couverture en papier violet, et si l'on sourit en la lisant maintenant, c'est qu'elle commence par une scène entre deux personnages appelés : Un jeune Syrien, un jeune Page. Il y a des gens qui ont la vocation.

Mais Oscar Wilde n'a pas fait que Salomé, et ce n'est pas seulement par son procès qu'il a été connu : il détenait depuis plusieurs années le record du ridicule dans le monde littéraire de Londres. Ce fumiste avait su créer autour de lui un certain mouvement, et il traînait derrière lui une queue de pauvres diables de littérateurs qui espéraient arriver par lui à une certaine célébrité. Ils n'ont pas eu de chance et il n'y a guère que le jeune lord Douglas qui soit connu — et il n'est pas littérateur. C'est Oscar Wilde qui mit à la mode les tournesols. C'est lui fut caricaturé dans Patience, ce Burlesk, qui fut joué des milliers de fois dans tous les pays de langue anglaise, où grands et petits étaient enchantés de voir ridiculiser des artistes qui parlaient charabia et se mettaient, sans transition, à danser des pas aussi excentriques qu'anglais.

On raconte même que, lorsqu'on fit la première tournée de Patience en Amérique, les recettes ne furent pas tout d'abord très bonnes : l'impresario eut alors l'idée de faire venir Wilde, pour faire des conférences dans toutes les villes où l'on devait jouer Patience : il s'expliquait lui-même, tenant un lis à la main, et le résultat fut que Patience eut partout un succès énorme. L'individu qui se prête à une pareille exploitation de sa personnalité est un individu jugé.

Mais il ne manquait pas d'un certain sens pratique ; il comprit que l'esthétisme n'aurait qu'un temps. Et il se mit à faire du vrai théâtre et des articles de critique dont quelques-uns parurent dans le Nineteenth Century, l'Athœneum, la Fortnightly Review, c'est-à-dire dans les premières revues anglaises.

Il avait reçu une forte éducation classique. Fils d'un médecin, il était né, en 1856, à Dublin ; il eut au lycée des médailles d'or pour le grec, alla à Oxford, et là, obtint toutes les médailles possibles, y compris un prix de poèsie anglaise en 1878. Comment dévoya-t-il ? Voilà ce qu'il serait curieux de savoir. Il ne l'a pas raconté encore, mais ça viendra. Il n'est pas homme à laisser échapper une occasion de faire du scandale et des bénéfices. Mais le fait est qu'il se maria en 1884 et qu'il a deux enfants. Ça ne concorde pas très bien avec les récits du nommé Taylor, le tenancier bizarre et minutieux qui a comparu devant le tribunal de Bow-Street en même temps que M. Wilde. En tous les cas, il a écrit trois pièces : L'Eventail de lady Windermere, le Malheur d'être Ernest (avec un jeu de mots intraduisible, Earniest voulant dire, en anglais, sérieux), et enfin, le Mari idéal.

Ces trois pièces sont des comédies très ordinaires avec beaucoup de mots, dont quelques-uns vraiment drôles, qui n'ont rien d'artistique et ne sont pas plus esthétiques que le théâtre idéaliste d'Ibsen et les drames à la d'Ennery de M.Sudermann. Il en est donc probablement des principes artistiques de ce fantoche vicieux tout comme du reste de sa vie. Il n'y a rien de sérieux, rien de vrai. C'est un gaillard qui a voulu étonner son public : mais tel qui veut étonner toujours finit par être étonné soi-même. Et il n'est pas encore revenu probablement de l'étonnement que lui cause son arrestation. Il aura le temps de réfléchir — car il y va pour lui d'au moins trois ans de servitude pénale.

Seulement, il serait injuste de faire descendre un homme comme celui-là de la grande pléiade des Gabriel Dante Rossetti, des Madox Brown, des Millais, et du grand Ruskins. Qu'on aille à la National Gallery et qu'on dise après si l'homme qui a fait la divine Beata Beatrix peut être considéré comme l'ancêtre intellectuel d'un homme condamné pour attentat aux moeurs ! Oscar Wilde ne descend pas des préraphaélites — il n'est même pas un esthète — il est un simple fumiste !

Tit.

DAY BY DAY
OSCAR WILDE

Three or four years ago, at a bizarre performance which took place at the Alcazar in the Faubourg Poissonnière, during which perfumes were burned in the wings, a fat young man was shown to the orchestra, a fat boy, without a hair of beard nor mustache, very blond hair glued very low on the face and brought back strangely on the temples. This fat man clapped a lot with little dead hand movements and walked the halls a lot with a special waddle. It was shown a lot to the uninitiated: it was Oscar Wilde, the sad character, who has just ended so sadly. Those in the know knew that this balloon puppet played a certain role among our neighbors by making ridiculous propaganda for aesthetics. A few months later, we learned that Oscar Wilde had written a play in French, Salomé, and that Mrs. Sarah Bernhardt had considered performing it. This piece, some bibliophiles still have it; it is especially curious for its purple paper cover, and if one smiles while reading it now, it is because it begins with a scene between two characters called: A young Syrian, a young Page. There are people who have a vocation.

But Oscar Wilde did more than just Salome, and it was not only through his trial that he became known: he had held the record for ridicule in the London literary world for several years. This hoax had known how to create a certain movement around him, and he dragged behind him a line of poor devils of writers who hoped to reach a certain celebrity through him. They were unlucky, and only the young Lord Douglas is known—and he is not a writer. It was Oscar Wilde who made sunflowers fashionable. He was caricatured in Patience, this Burlesk, which was played thousands of times in all English-speaking countries, where young and old were delighted to see artists ridiculed for speaking gibberish and starting, without transition, to dance steps as eccentric as English.

It is even said that, when Patience made the first tour in America, the receipts were not at first very good: the impresario then had the idea of bringing Wilde, to give conferences in all the cities. where Patience was to be played: he explained himself, holding a lily in his hand, and the result was that Patience everywhere had an enormous success. The individual who lends himself to such exploitation of his personality is a judged individual.

But he was not lacking in a certain practical sense; he understood that aestheticism would only have a time. And he began to do real theater and critical articles, some of which appeared in the Nineteenth Century, the Atheneum, the Fortnightly Review, that is to say in the first English reviews.

He had received a strong classical education. The son of a doctor, he was born in 1856 in Dublin; he had high school gold medals for Greek, went to Oxford, and there won every possible medal, including an English poetry prize in 1878. How did he go astray? This is what it would be curious to know. He hasn't said it yet, but it will come. He is not a man to miss an opportunity for scandal and profit. But the fact is that he married in 1884 and has two children. That doesn't sit very well with the accounts of one Taylor, the odd, fastidious proprietor who appeared in Bow Street Court at the same time as Mr. Wilde. In any case, he wrote three plays: Lady Windermere's Fan, Le Malheur d'être Ernest (with an untranslatable pun, Earniest meaning, in English, serious), and finally, Le Mari ideal.

These three plays are very ordinary comedies with a lot of words, some of them really funny, which have nothing artistic about them and are no more aesthetic than the idealistic theater of Ibsen and the dramas a la d'Ennery of M.Sudermann. It is therefore probably the artistic principles of this vicious puppet as well as the rest of his life. There is nothing serious, nothing real. He is a fellow who wanted to astonish his public: but someone who always wants to astonish ends up being astonished himself. And he has probably not yet recovered from the astonishment that his arrest causes him. He will have time to think—because at least three years of penal servitude are at stake for him.

Only, it would be unfair to make a man like that descend from the great pleiad of Gabriel Dante Rossetti, Madox Brown, Millais, and the great Ruskins. Let's go to the National Gallery and say afterwards if the man who made the divine Beata Beatrix can be considered as the intellectual ancestor of a man condemned for indecent assault! Oscar Wilde is not descended from the Pre-Raphaelites — he is not even an aesthete — he is a simple hoax!

Tit.

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