GAZETTE DES TRIBUNAUX
(Par dépêche de notre correspondant)
Londres, 30 avril.

Le procès Oscar Wilde touche à sa fin. La Cour d'assises a continué d'entendre les dépositions de quelques domestiques d'hôtel qui ont surpris ou soupçonné certaines scènes sur le caractère desquelles il est inutile d'insister. Puis viennent les policemen qui ont arrêté Oscar Wilde et son pourvoyeur Taylor. L'avocat de la Couronne donne ensuite lecture de toutes les pièces du procès en diffamation que Wilde n'avait pas craint d'intenter à lord Queensbury, père de son jeune favori, lord Douglas, procès qui fut pour lui la catastrophe et qui mit à jour toutes ses turpitudes.

Appelé, sur la demande de son avocat, à s'expliquer avant la clôture des débats, Oscar Wilde affirme sous la foi du serment que s'il avait loué une "garçonnière" à Saint-James, c'était pour y travailler sans être dérangé et non pour en faire un lieu de rendez-vous.

Il nie d'ailleurs toutes les accusations d'immoralité qui sont relevées contre lui, et, avec le plus grand calme, il explique à la Cour et au jury le caractère esthétique des fréquentations dont on l'accuse:

--L'amour d'un homme mûr pour un jeune homme, dit-il, mais Platon l'a décrit comme le commencement de la sagesse ! C'est ce sentiment sublime qui a inspiré le sonnet de Shakespeare et de Michel-Ange, et certains sonnets que vous me reprochez à moi d'avoir écrits.

C'est une affection pure, profonde, toute spirituelle, que malheureusement notre siècle ne comprend plus!

C'est un semblable amour qui donne naissance aux chefs-d'œuvre de l'art. Des deux amis, le plus âgé possède l'expérience du monde; le plus jeune, le charme et la fleur de la vie!

Mais, je le répète, ce siècle ne le comprend plus!

Cette théorie «esthétique» exposée avec une intensité d'accent qui va jusqu'à l'éloquence, emballe tellement l'auditoire que des bravos éclatent dans la salle. Après Oscar Wilde, Taylor nie à son tour avoir accosté des hommes à l'Alhambra et s'être habillé en femme. Il affirme qu'il n'a jamais existé entre Oscar Wilde et lui aucune entente pour commettre des actes d'immoralité. L'un, des représentants du ministère public, M. Gill, retire en effet l'accusation de ce chef. Oscar Wilde et Taylor n'ont plus à répondre que d'actes individuels. Sir Edward Clarke présente alors la défense d'Oscar Wilde:

--Si mon client s'était senti coupable, s'écrie-t-il, aurait-il eu l'audace d'intenter un procès en diffamation contre le marquis de Queensberry, qui l'accusait d'avoir détourné son fils?

M. Gill lui réplique au nom de la Couronne.

Après la plaidoirie de l'avocat de Taylor, l'affaire est renvoyée à demain pour le résumé du juge et le verdict.

P. Villars.

COURTS GAZETTE
(By dispatch from our correspondent)
London, April 30.

The Oscar Wilde trial is coming to an end. The Court of Assizes continued to hear the depositions of some hotel servants who overheard or suspected certain scenes on the character of which it is useless to insist. Then come the policemen who arrested Oscar Wilde and his provider Taylor. The Crown attorney then read out all the documents in the libel suit that Wilde had not been afraid to bring against Lord Queensbury, father of his young favourite, Lord Douglas, a trial which was a disaster for him and which uncover all his turpitudes.

Called, at the request of his lawyer, to explain himself before the closing of the proceedings, Oscar Wilde affirms under oath that if he had rented a "boys' house" in Saint-James, it was to work there without being disturbed and not to make it a meeting place.

He also denies all the accusations of immorality that are raised against him, and, with the greatest calm, he explains to the Court and the jury the aesthetic nature of the associations of which he is accused:

--The love of a mature man for a young man, he said, but Plato described it as the beginning of wisdom! It is this sublime sentiment which inspired the sonnet of Shakespeare and Michelangelo, and certain sonnets which you reproach me for having written.

It is a pure, deep, entirely spiritual affection, which unfortunately our century no longer understands!

It is a similar love that gives birth to masterpieces of art. Of the two friends, the older has worldly experience; the youngest, the charm and the flower of life!

But, I repeat, this century no longer understands it!

This "aesthetic" theory, exposed with an intensity of accent that goes as far as eloquence, thrills the audience so much that cheers break out in the room. After Oscar Wilde, Taylor in turn denies accosting men at the Alhambra and dressing as a woman. He affirms that he never existed between Oscar Wilde and him any agreement to commit acts of immorality. One of the representatives of the public ministry, Mr. Gill, indeed withdraws the accusation on this count. Oscar Wilde and Taylor only have to answer for individual acts. Sir Edward Clarke then presents the defense of Oscar Wilde:

"If my client had felt guilty," he exclaimed, "would he have had the audacity to bring an action for libel against the Marquess of Queensberry, who accused him of having embezzled his son?"

Mr. Gill replies on behalf of the Crown.

After Taylor's attorney's closing argument, the case is adjourned until tomorrow for the judge's summary and verdict.

P. Villars.

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