LA TORTURE EN ANGLETERRE
Au jour le jour
LE « HARD LABOUR »

Inutile de chercher dans notre langue un mot pour traduire cette chose. Le « Hard Labour » est une invention anglaise, et je ne voudrais pas qu'il y eût dans d'autres idiomes un synonyme pour dire ce que c'est. Cela appartient en propre à un pays qui se pique de civilisation et de libéralisme ; cela tient de la place dans un Code que de savants législateurs ont rédigé.

Et voici ce qu'on appelle, de l'autre côté de la Manche, le « Hard Labour ». Au milieu d'une prison dont les hautes murailles ont des airs de forteresse, une roue gigantesque est placée. On dirait la roue d’un bateau à vapeur. Les rayons de cet immense cylindre ont une longueur de quatre mètres et le circonférence est divisée en palettes, dont l’extrémité supérieure aboutit à des cellules étroites disposées comme les marches fuyantes d'un escalier.

Pour actionner cette énorme machine, qui nuit et jour fonctionne, la vapeur est dédaignée : ce sont des êtres humains qui le poussent, de misérables créatures à qui la loi anglaise impose ce dur travail : hard labour. Suspendus des deux mains à des anneaux qui se balancent sur leur tête, les forçats de cet affreux labeur s'agitent dans le vide, poussant du pied les lourdes palettes. Et nul ne voit leur tête douloureuse, car les cachots où ils se tiennent les dérobent à toute curiosité.

Et dans te morne silence de la prison, la roue tourne, tourne ; et l'on entend, mélés au grondement sourd de l’hélice, les soupirs, les plaintes étouffées des condamnés. Défense aux pieds meurtris qui s'agitent là-haut, en cadence, de s’arrêter un instant ; des gardiens sont là qui veillent, le fouet à la main, et qui d’un coup de lanière réveillent les membres saignants et engourdis. Défense de jeter un cri de douleur, de pousser, dans cet affreux martyre, les protestations déchirantes de tout être qui souffre et ne veut plus souffrir. Il faut que l’atroce besogne continue ; il faut que la machine marche, arrachant les orteils, écorchant la peau, brisant au besoin quelque chose si le mouvement du condammné est trop lent ou maladroit.

Et lorsque, pendant trois heures, le moulin de la discipline, tread mill, a tourné, le condamné quitte sa geôle, ou plutôt le garde-chiourme l'en retire; car le misérable n'a plus de forces : accablé, geignant, perclus, il se traîne, lamentable, prét à succomber à chaque pas sous la poussée de la brute qui l’emmène.

Alors, le châtiment n‘est pas fini: il recommence sous une autre forme. Dans une cellule, puante, et où la lumiére et l’air n'entrent qu’a regret, le condamné s’assied par terre, ayant à ses côtés de vieux cordages de la marine. Il faut que ces cordages, goudronnés, longs et lourds, deviennent de l'étoupe, et les doigts du forçat sont faits pour cette besogne. Les ongles saignent, le sang coule, les muscles de la main se raidissent à ce travail de bête de somme: et tout le long de la journée ces gros câbles durs comme la pierre, seront le prétexte d'un travail inutile et douloureux.

Puis, quand cette journée de supplice est finie, qu'il n'est plus possible d’exiger de la bête humaine le moindre effort, l'heure du repos arrive: du pain sec, un morceau de graisse sont jetés au forçat par un vasistas, comme on jette derrière une grille un morceau de viande à un fauve. Et dans un angle du cachot, un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture, attend le malheureux qui s‘endort, et voudrait ne plus se réveiller.

Enfin, quand cette journée de supplice est finie, qu'il n'est plus possible d'exiger de la bête humaine le moindre effort, l'heure du repos arrive : du pain sec, un morceau de graisse sont jetés au forçat par un vasistas, comme on jette derrière une grille un morceau de viande à un fauve. Et dans un angle du cachot, un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture, attend le malheureux qui s'endort, et voudrait ne plus se réveiller.

Voila ce que c'est que le « Hard Labour »; institution anglaise, inscrite dans les lois du gouvernement de la Reine pour punir, les malfaiteurs. Et voila de quel châtiment a eté frappé l'esthète Oscar Wilde, pour avoir commis un attentat aux moeurs.

Et devant une pareille infamie légale, je me demande si cela se passe en Europe, à la fin d’un siècle qui se prétend civilisé. Faut-il, en présence de ce supplice, que l'Inquisition oublia, mépriser les juges qui l’ont ordonné ou s'indigner contre ceux qui le tolérent.

TORTURE IN ENGLAND
Day by day
THE “HARD LABOUR”

No need to search in our language for a word to translate this thing. “Hard Labour” is an English invention, and I wouldn't want there to be a synonym in other idioms to say what it is. This belongs specifically to a country that prides itself on civilization and liberalism; it takes up space in a Code that learned legislators have drawn up.

And here is what is called, on the other side of the Channel, “Hard Labour”. In the middle of a prison whose high walls look like a fortress, a gigantic wheel is placed. It looks like the wheel of a steamboat. The rays of this immense cylinder have a length of four meters and the circumference is divided into pallets, the upper end of which ends in narrow cells arranged like the receding steps of a staircase.

To actuate this enormous machine, which works day and night, steam is despised: it is human beings who push it, miserable creatures on whom English law imposes this hard work: hard ploughing. Suspended with both hands from rings swinging over their heads, the convicts of this dreadful labor toss about in the void, pushing the heavy pallets with their feet. And no one sees their aching heads, because the dungeons where they are held hide them from all curiosity.

And in your gloomy silence of the prison, the wheel turns, turns; and we hear, mingled with the dull roar of the propeller, the sighs, the stifled complaints of the condemned. Forbidden to the bruised feet which move up there, in rhythm, to stop for a moment; guards are there, keeping watch, whip in hand, and waking bleeding and numb limbs with a blow of a thong. Forbidden to utter a cry of pain, to utter, in this dreadful martyrdom, the heart-rending protestations of any being who suffers and no longer wishes to suffer. The atrocious work must continue; the machine has to work, tearing off the toes, scratching the skin, breaking something if necessary if the condemned man's movement is too slow or clumsy.

And when, for three hours, the mill of discipline, tread mill, has turned, the condemned man leaves his jail, or rather the warden takes him out; for the wretch has no more strength: overwhelmed, moaning, paralyzed, he drags himself along, lamentable, ready to succumb at each step under the pressure of the brute who carries him away.

So the punishment is not over: it begins again in another form. In a cell, stinking, and where the light and the air enter only with regret, the condemned man sits on the ground, having by his side some old ropes from the navy. These ropes, tarred, long and heavy, must become oakum, and the fingers of the convict are made for this task. The fingernails bleed, the blood flows, the muscles of the hand stiffen at this work of beast of burden: and all day long these big cables, hard as stone, will be the pretext for useless and painful work.

Then, when this day of torture is over, when it is no longer possible to demand the slightest effort from the human beast, the hour of rest arrives: dry bread, a piece of fat are thrown to the convict by a fanlight, as one throws a piece of meat at a beast behind a grid. And in a corner of the dungeon, a wooden camp bed, without a mattress, with a single blanket, awaits the unfortunate man who is falling asleep and would like not to wake up.

This is what “Hard Labour” is; English institution, enshrined in the laws of the Queen's government to punish wrongdoers. And here is what punishment was struck the esthete Oscar Wilde, for having committed an assault on morals.

And faced with such legal infamy, I wonder if this is happening in Europe, at the end of a century that claims to be civilized. Should we, in the presence of this torture, which the Inquisition forgot, despise the judges who ordered it or be indignant against those who tolerate it?

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