« DUR TRAVAIL »
LE CHATIMENT D'OSCAR WILDE
Dans la prison de Pantonville. — L'homme-écureuil. — La torture en Angleterre

Oscar Wilde, l'écrivain anglais qui a été condamné à deux ans de « hard labour » (dur travail), pour avoir rêvé d'amours antiques, est en ce moment très gravement malade. Il doit être à l'infirmerie de la maison de force de Pantonville, où il subit sa peine. Nous disons « il doit être », car personne, ni les amis qui restent au prisonnier, ni les hommes de loi qui l'ont defendu devant le jury criminel, ni sa famille ne sont renseignés à cet égard : aucun rapport ne peut exister entre le condamné et qui que ce soit pendant les premiers mois de la peine.

Toutefois, les hautes murailles de cette prison qui a des airs de forteresse ont laissé passer quelques bruits. On sait que le dimanche 26 mai, quelques jours après sa condamnation, Oscar Wilde a assisté aux offices ; le lendemain, il travaillait selon les rigoureuses conditions légales. Mardi matin, il déclarait à ses geôliers n'avoir pu dormir depuis trois jours et trois nuits et ne pouvoir se lever. Il travailla cependant jusqu'à onze heures du matin ; à ce moment, il dût s'arrêter pris d'un évanouissement et fut reconduit dans sa cellule, avec dispense de travail jusqu'au lendemain. Mercredi, il ne put supporter le « hard Labour », on dut l'envoyer à l'infirmerie.

Son état, dit-on à Londres, fait entrevoir l'imminence d'un dénouement fatal. Les plus robustes ne résistent pas à ce châtiment épouvantable.

LE SUPPLICE

Qu'est-ce que le « hard labour » ? C'est l'emploi de divers moyens de torture. D'abord le moulin de discipline, un engin de torture des plus ingénieux. Au milieu de la prison une roue gigantesque est placée ; cette roue, de huit mètres de diamètre, dont la circonférence est garnie d'étroites palettes, affleure au bas d'une cabine qui n'a d'autre plancher que les palettes de cette roue. Le prisonnier introduit dans la cabine, la roue tournant, est obligé de suivre le mouvement et de marcher à petits pas rapides d'une palette à l'autre, sous peine d'avoir les jambes broyées entre les palettes qui fuient sous les lourdes pièces de l'échafaudage. Il s'appuie des mains à deux anneaux qui pendent au-dessus de sa tête et, dans cette position, il pèse, de son poids sur les marches de cet étrange escalier tournant.

Une roue énorme, de huit mètres de diamètre, dont la circonférence est garnie d'étroites palettes, affleure au bas d'une cabine qui n'a d'autre plancher que les palettes de cette roue. Le prisonnier introduit dans la cabine, la roue tournant, est obligé de suivre le mouvement et de marcher à petits pas rapides d'une palette à l'autre, sous peine d'avoir les jambes broyées entre les palettes qui fuient sous les lourdes pièces de l'échafaudage. Il s'appuie des mains à deux anneaux qui pendent au-dessus de sa tète et, dans cette position, il pèse de son poids sur les marches de cet étrange escalier tournant.

Cette roue sert de moteur principal pour les divers ateliers de la prison. Elle tourne sous une douzaines de cabines où l'on enferme autant de condamnés qui en actionnent le mouvement de rotation. C'est une économie de charbon.

Cette roue sert de moteur principal pour les divers ateliers de la prison. Elle tourne sous une douzaine de cabines où l'on enferme autant de condamnés qui en actionnent le mouvement de rotation. C'est une économie de charbon.

Après deux heures et demie de cette gymnastique, durée ordinaire de cette terrible corvée quotidienne, l'homme est dans un état de délabrement physique et moral qui l'empêche d'agir et de penser. Du reste la loi ne permet pas au juge de faire durer ce châtiment plus de deux ans.

Après deux heures et demie de cette gymnastique, durée ordinaire de cette terrible corvée quotidienne, l'homme est dans un état de délabrement physique et moral qui l'empêche d'agir et de penser. Du reste la loi ne permet pas au juge de faire durer ce châtiment plus de deux ans, l'expérience ayant démontré que les plus robustes n'y résistent pas au delà de ce terme.

L'expérience a démontré qu'aucun condamné n'atteint le terme.

Et jour et nuit, la roue tourne, tourne. Si le condamné fait mine de s'arrêter, n'en pouvant plus, les gardiens le réveillent d'un coup de lanière.

POUR SE REPOSER

Le condamné est pesé nu le premier jour. D'après les règlements il faut qu'il maigrisse et il passe fréquemment sur la bascule pour que l'effet du régime soit régulièrement constaté. S'il ne maigrit pas assez vite suivant l'ordonnance, on augmente son lot de tours de roue.

Le condamné est pesé nu le premier jour. D'après les règlements il faut qu'il maigrisse et il passe fréquemment sur la bascule pour que l'effet du régime soit régulièrement constaté.

Le condamné se repose, pensez-vous. En effet, quand il sort du moulin de discipline, on le traine dans une cellule infecte, et là, assis par terre, il effiloche les vieux cordages gondronnés de la marine. Il doit les réduire en étoupes ; ses mains suffisent à cette navrante besogne. La peau se déchire sur ces mailles goudronnées et dures ; les ongles cassent, le sang coule, les muscles de la main se raidissent.

S'il refuse de travailler, le fouet. Ce n'est pas le fouet banal et peu méchant dont on menace les enfants en veine de désobéissance ; il s'agit d'un fouet à cinq lanières terminées chacune par un nœud. Le malheureux est dépouillé de ses vêtements ; étendu face contre terre, il reçoit les coups sur le dos. Le premier n'enlève que la peau, le second cingle en pleine chair vive et sanglante.

Enfin, quand cette journée de supplice est finie, qu'il n'est plus possible d'exiger de la bête humaine le moindre effort, l'heure du repos arrive : du pain sec, un morceau de graisse sont jetés au forçat par un vasistas, comme on jette derrière une grille un morceau de viande à un fauve. Et dans un angle du cachot, un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture, attend le malheureux qui s'endort, et voudrait ne plus se réveiller.

Puis, quand cette journée de supplice est finie, qu'il n'est plus possible d’exiger de la bête humaine le moindre effort, l'heure du repos arrive: du pain sec, un morceau de graisse sont jetés au forçat par un vasistas, comme on jette derrière une grille un morceau de viande à un fauve. Et dans un angle du cachot, un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture, attend le malheureux qui s‘endort, et voudrait ne plus se réveiller.

Il y avait autrefois dans les grandes auberges un tambour tourne-broche où l'on introduisait un pauvre diable de chien qui, par son poids et en marchant à une allure régulière, entretenait le mouvement de rotation du tambour.

Il y avait autrefois dans les grandes auberges un tambour tourne-broche où l'on introduisait un pauvre diable de chien qui, par son poids et en marchant à une allure régulière, entretenait le mouvement de rotation du tambour.

Ce même principe était appliqué dans les campagnes pour mouvoir les batteuses. On faisait marcher un mulet sur les marches d'un plan incliné sans fin faisant tourner l'axe du cylindre batteur.

Ce même principe était appliqué dans les campagnes pour mouvoir les batteuses. On faisait marcher un mulet sur les marches d'un plan incliné sans fin faisant tourner l'axe du cylindre batteur.

Ni le chien du tourne-broche ni le mulet des batteuses ne duraient longtemps à cet exercice épuisant.

Ni le chien du tourne-broche ni le mulet des batteuses ne duraient longtemps à cet exercice épuisant.

Voilà le « hard labour » ; voilà le châtiment qui a frappé Oscar Wilde, le dramaturge mondain couru dans les salons de Londres. Ceux qui n'en meurent pas restent abrutis, stupéfiés.

Les Anglais ont, comme nous, les travaux forcés, qu'ils appellent servitude pénale. Il n'y a pas de différence sensible entre leurs bagnes et les nôtres. Autre chose est le « dur travail ». Dreyfus est un heureux de la terre auprès d'Oscar Wilde, qui n'a pas trahi sa patrie.

Les Anglais ont, comme nous, les travaux forcés, qu'ils appellent servitude pénale. Il n'y a pas de différence sensible entre leurs bagnes et les nôtres, et nos forçats n'ont rien à envier à leurs forçats.

Le « hard labour », c'est la « meule » des Romains qui, jadis, condamnaient les malfaiteurs à tourner la meule qui broyait le blé des greniers publics, dont on distribuait la farine à la plèbe.

Le « moulin de discipline » des Anglais a dû être copié sur la « meule » des anciens Romains. Ils condamnaient les voleurs à tourner la meule qui broyait le blé des greniers publics, dont on distribuait la farine à la plèbe.

LES CIVILISÉS

Comme les anciens, les Anglais qui se donnent comme les maîtres de la civilisation, utilisent et transforment la peine des malheureux en force motrice. Cela ne les empêche pas d'aller porter aux quatre coins du monde, la bible en mains, des paroles de paix et de pardon ; ils parlent de leur générosité, de leur philanthropie.

Ils ont protesté contre les traitements imposés aux nihilistes russes exilés en Sibérie et défrichant des terrains incultes, creusant des canaux, construisant des routes. Qu'est ce donc que cela à côté du « hard labour » qui fait penser au tonneau hérissé de pointes dans lequel Carthage enfermait les prisonniers qu'elle punissait de l'avoir combattue ?

Oscar Wilde, détraqué de sens et de cervélle, était digne de Charenton ; son cas relevait de la correctionnelle et frappé pour outrages aux mœurs ou attentats à la pudeur, il méritait deux ans de cellule, pendant lesquels il aurait fabriqué des chaussons de lisières ou des abat-jour. Après quoi, sa peine terminée, il serait allé boire sa honte ailleurs, loin des hommes qui le méprisent. En le frappant de peines fantastiques, hors de proportion avec ses fautes, la justice anglaise fait pousser un cri en faveur du triste sire ; on se sent pris de pitié pour ce coupable qui n'est plus qu'un mal heureux.

Le châtiment anglais est une monstruosité, aucune loi au monde n'a le droit de tuer à petit feu.

" HARD WORK "
THE PUNISHMENT OF OSCAR WILDE
In the prison of Pantonville. — The squirrel man. — Torture in England

Oscar Wilde, the English writer who was sentenced to two years of "hard labour" for having dreamed of ancient loves, is currently very seriously ill. He must be in the infirmary of the prison of Pantonville, where he is serving his sentence. We say "he must be", because no one, neither the friends who remain with the prisoner, nor the lawyers who defended him before the criminal jury, nor his family are informed in this respect: no connection can exist between the convicted person and anyone else during the first months of the sentence.

However, the high walls of this prison which looks like a fortress let some noises through. We know that on Sunday, May 26, a few days after his conviction, Oscar Wilde attended services; the next day he was working under the strict legal conditions. Tuesday morning, he declared to his jailers that he had not been able to sleep for three days and three nights and could not get up. He worked, however, until eleven o'clock in the morning; at that moment, he had to stop, taken by a fainting spell and was taken back to his cell, with an exemption from work until the following day. On Wednesday, he couldn't stand the "hard labour", he had to be sent to the infirmary.

His condition, they say in London, suggests the imminence of a fatal outcome. The strongest do not resist this terrible punishment.

THE SUPPLICE

What is “hard plowing”? It is the use of various means of torture. First the Discipline Mill, a most ingenious torture device. In the middle of the prison a gigantic wheel is placed; this wheel, eight meters in diameter, whose circumference is lined with narrow pallets, is flush with the bottom of a cabin which has no other floor than the pallets of this wheel. The prisoner introduced into the cabin, the wheel turning, is obliged to follow the movement and to walk with small rapid steps from one pallet to another, under pain of having his legs crushed between the pallets which leak under the heavy parts. of the scaffolding. He leans on two-ringed hands that hang above his head and, in this position, he presses, with his weight, on the steps of this strange winding staircase.

This wheel serves as the main engine for the various workshops in the prison. It rotates under a dozen cabins where as many convicts are locked up who activate the rotation movement. It's coal saving.

After two and a half hours of this gymnastics, the usual duration of this terrible daily drudgery, the man is in a state of physical and moral decay which prevents him from acting and thinking. Moreover, the law does not allow the judge to make this punishment last more than two years.

Experience has shown that no convict ever reaches term.

And day and night, the wheel turns, turns. If the condemned man pretends to stop, unable to take it any longer, the guards wake him up with a blow of a strap.

IN ORDER TO RELAX

The convict is weighed naked on the first day. According to the regulations, he must lose weight and he frequently goes over the scale so that the effect of the diet is regularly observed. If he does not lose weight fast enough according to the prescription, we increase his share of wheel revolutions.

The condemned man is resting, you think. In fact, when he leaves the disciplinary mill, he is dragged into a filthy cell, and there, seated on the ground, he unravels the old warped ropes of the navy. He must reduce them to tow; his hands suffice for this distressing task. The skin is torn on these tarred and hard meshes; nails break, blood flows, hand muscles stiffen.

If he refuses to work, whip him. It is not the banal and unkind whipping with which children are threatened in a vein of disobedience; it is a whip with five strips each ending in a knot. The unfortunate is stripped of his clothes; lying face down on the ground, he receives the blows on his back. The first removes only the skin, the second slashes in full living and bloody flesh.

Finally, when this day of torture is over, when it is no longer possible to demand the slightest effort from the human beast, the hour of rest arrives: dry bread, a piece of fat are thrown to the convict by a fanlight, as one throws a piece of meat at a beast behind a grid. And in a corner of the dungeon, a wooden camp bed, without a mattress, with a single blanket, awaits the unfortunate man who is falling asleep and would like not to wake up.

There used to be in large inns a spit-turning drum into which a poor devil of a dog was introduced, which, by its weight and walking at a regular pace, maintained the rotating movement of the drum.

This same principle was applied in the countryside to move the threshers. A mule was made to walk on the steps of an endless inclined plane rotating the axis of the beating cylinder.

Neither the hammer of the spit nor the mule of the threshers lasted long in this exhausting exercise.

This is “hard labour”; this is the punishment that struck Oscar Wilde, the worldly playwright who ran through the salons of London. Those who don't die remain dumbfounded, stupefied.

The English have, like us, forced labour, which they call penal servitude. There is no perceptible difference between their prisons and ours. Something else is “hard work”. Dreyfus is happy on earth with Oscar Wilde, who did not betray his country.

“Hard labour” is the “millstone” of the Romans who, in the past, condemned criminals to turn the millstone which ground the wheat from the public granaries, the flour of which was distributed to the plebs.

THE CIVILIZED

Like the ancients, the English, who present themselves as the masters of civilization, use and transform the pain of the unfortunate into a driving force. This does not prevent them from going to the four corners of the world, the Bible in hand, words of peace and forgiveness; they talk about their generosity, their philanthropy.

They protested against the treatment imposed on Russian nihilists exiled in Siberia and clearing wastelands, digging canals, building roads. What is that next to the "hard labour" which makes one think of the barrel bristling with spikes in which Carthage locked up the prisoners it punished for having fought it?

Oscar Wilde, deranged in sense and brain, was worthy of Charenton; his case fell under the correctional and struck for indecency or indecent assault, he deserved two years in a cell, during which he would have made selvedge slippers or lampshades. After which, his sentence over, he would have gone to drink his shame elsewhere, far from the men who despise him. By striking him with fantastic penalties, out of proportion to his faults, English justice utters a cry in favor of the sad sire; one feels moved to pity for this culprit who is no more than a happy misfortune.

English punishment is a monstrosity, no law in the world has the right to kill slowly.

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